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PARTIE 2 CADRE CONCEPTUEL

2. EXPERIENCE D’APPRENTISSAGE

Apprendre étant d’une part un processus et d’autre part un produit, un apprenant peut décrire comment il a procédé dans une situation d’apprentissage et ce qu’il a le sentiment d’avoir appris. Certains chercheurs considèrent que ces deux éléments constituent ce qu’ils qualifient d’expérience d’apprentissage (Marton et Booth, 1997; Marton, Hounsell et Entwistle, 1997; Marton et Booth, 1998). Celle-ci peut être appréhendée par des questions telles que : « Comment avez-vous procédé dans cette situation ? Qu’avez-vous le sentiment d’avoir appris ?».

Deux moments sont importants à envisager pour comprendre cette expérience d’apprentissage. Le moment de l’expérience elle-même et le moment de son expression dans le cadre d’une recherche telle que celle que nous menons. On utilisera le même concept de représentation pour désigner la construction mentale que l’apprenant sera amené à réaliser dans ces deux moments. Nous commencerons ce chapitre par préciser ce concept de représentation et son articulation avec les connaissances de l’apprenant, dans le champ théorique dans lequel nous nous inscrivons.

Nous nous demanderons ensuite ce qui caractérise le moment de l’expérience d’apprentissage et les variables qui l’influencent. Cela nous permettra de cibler ce qu’il sera intéressant de faire émerger lors de l’expression de l’expérience d’apprentissage, le deuxième moment.

En résumé, voici les questions qui ont guidé la construction de ce chapitre :

A quels types de données a-t-on affaire quand on analyse l’expérience d’apprentissage des apprenants ?

Quelles variables interviennent dans l’expérience d’apprentissage et nous permettent de mieux la comprendre ?

Comment atteindre l’expérience d’apprentissage à travers le discours des apprenants ?

Comme nous l’avons précisé dans l’introduction du cadre conceptuel, la question des interactions sociales dans cette expérience d’apprentissage sera traitée plus tard.

2.1 DES REPRESENTATIONS ET DES CONNAISSANCES

Pour répondre à la question : « A quels types de données a-t-on affaire quand on analyse l’expérience d’apprentissage des apprenants ? », commençons par faire le point sur le concept de représentation tel qu’il est défini en psychologie cognitive, en tant qu’activité cognitive et plus particulièrement dans l’orientation constructiviste et intentionnelle (Cordier, Denhière, Crépault et al., 1990; Bourgeois et Nizet, 1992; Ghiglione et Richard, 1993; Launay, 2004; Richard, 2004). La notion de représentation est utilisée en psychologie cognitive pour désigner la construction mentale produite par un sujet à propos d’une situation spécifique de formation et de la tâche qui lui est soumise. Il va devoir se représenter cette situation et cette tâche pour pouvoir la traiter et y répondre. On va utiliser la même notion pour désigner ce qui se passe quand on interroge un apprenant sur son

expérience d’apprentissage (Bourgeois et Nizet, 1992). On va considérer qu’il se trouve dans une situation (d’entretien) et devant une tâche (question sur son expérience d’apprentissage) qu’il va devoir se représenter pour la traiter. Une représentation est donc une construction mentale faite dans un contexte particulier et à des fins spécifiques.

Ainsi, que fait plus précisément l’apprenant face à la situation et à la tâche qui lui est proposée (que ce soit une situation de formation ou d’entretien) ? Différentes activités cognitives sont envisagées pour comprendre la construction de la représentation. Il y a un double mouvement entre les informations issues de la situation et les connaissances de l’apprenant. La représentation va se construire à partir d’une sélection d’informations perçues de la situation et de la tâche, et de l’interprétation de ces informations à l’aide des connaissances de l’apprenant. La représentation est donc une assignation de signification de la situation et de la tâche, cohérente pour l’apprenant en fonction de ses connaissances. A l’aide de cette représentation, les informations prises en compte peuvent être traitées et donner lieu à des modifications des connaissances (traitement interne) et des actions comme par exemple une verbalisation (traitement externe).

Comment distingue-t-on plus précisément représentation et connaissances ? Etant spécifique à une situation, une représentation est considérée comme circonstancielle. Si un élément de la situation change ou que l’individu prend en compte d’autres éléments de la situation, la représentation est modifiée. De plus, elle est transitoire. Une fois la tâche terminée, elle est remplacée par d’autres représentations liées à d’autres tâches. Comme nous le synthétisons dans le tableau 1, contrairement à la représentation, la connaissance est une construction plus permanente. Elle est donc moins dépendante de la tâche et du contexte. Elle va servir à la construction des représentations et se laisse donc voir dans ces représentations. En retour, elle pourra être modifiée suite à la construction de représentations successives d’une situation particulière. Parmi les connaissances construites, on peut distinguer les connaissances générales (classes d’objets, événements, actions, etc.) des connaissances spécifiques (objets, situations, événements qui ont fait l’objet d’une expérience dans un contexte défini). On considère également comme faisant partie des connaissances, les modèles, les croyances, les normes et les valeurs ainsi que les représentations sociales.

TABLEAU 1REPRESENTATION ET CONNAISSANCE

Représentation Connaissance Circonstancielle, dépendante d’un contexte

spécifique Pas entièrement dépendante de la tâche et

du contexte Construction transitoire, dure le temps de la

tâche Construction plus permanente

Émergeante A besoin d’être activée pour être efficiente S’élabore à partir des informations perçues

de la situation / tâche et des connaissances activées.

Se laisse voir dans et se construit à partir des représentations élaborées dans la répétition de situations particulières.

Caractère interactif de la relation représentation – connaissance

2.2 L’APPRENTISSAGE, DES VARIABLES EN INTERACTION

Tentons de répondre à présent à la deuxième question de ce chapitre : « Quelles variables interviennent dans l’expérience d’apprentissage et nous permettent de mieux la comprendre ? ». Que se passe-t-il quand l’apprenant est face à une situation de formation ? Quelles variables sont intéressantes à considérer pour comprendre cette expérience ? La littérature en psychologie cognitive considère de manière générale que, face à une tâche et une situation particulière de formation, l’apprenant va construire une représentation à partir de ce qu’il va percevoir des exigences de la situation (et de la tâche) et des connaissances qu’il va mobiliser. La perception de la situation (et tâche) est ainsi considérée comme une variable importante dans l’expérience d’apprentissage. La représentation de la situation (et tâche) va donner lieu à des activités mentales et des comportements qui vont transformer cette représentation et en retour vont avoir un effet sur les connaissances de l’apprenant. Différents concepts sont utilisés pour qualifier la manière dont l’apprenant va procéder. On parlera de processus, de stratégie ou d’approche, chacun de ces termes ayant un sens particulier que nous détaillerons plus loin en faisant le tour des recherches en enseignement supérieur.

Une autre variable est importante à prendre en compte pour comprendre l’expérience d’apprentissage de l’apprenant et plus particulièrement la qualité de l’apprentissage réalisé : sa conception de l’apprentissage. Il s’agit de la vision de l’apprentissage, du modèle ou de la manière privilégiée de considérer l’apprentissage, que l’apprenant a construite tout au long de ses expériences de formation passées. La conception de l’apprentissage est considérée comme une forme de connaissance, de caractère naïf. Cette construction mentale est considérée comme un « guide pour l’action » et s’apparente aux représentations sociales1 (Charlier, 1998). Ainsi, quand l’apprenant se trouve face à une situation et une tâche, il va construire une représentation à partir de ses connaissances et notamment sa conception de l’apprentissage. Celle-ci, considérée comme « guide pour l’action » va donc intervenir dans l’analyse de la situation d’apprentissage, dans sa perception, sur les informations que l’apprenant va sélectionner ou pas et comment il va les interpréter, et donc sur l’approche que l’apprenant va adopter. On peut considérer de manière générale et à ce stade de l’écriture que la conception de l’apprentissage est une connaissance construite par rapport à l’apprentissage en général et que l’approche renvoie à la manière de faire dans des situations spécifiques.

Ainsi, l’articulation entre la conception de l’apprentissage et l’approche que l’apprenant va adopter en fonction de ce qu’il perçoit des exigences de la situation/tâche est fondamentale pour comprendre la qualité de l’apprentissage réalisé (le produit).

Par ailleurs, si la représentation de l’expérience d’apprentissage s’élabore sur des connaissances spécifiques et sur une certaine vision ou conception de l’apprentissage, rétroactivement, la représentation construite dans un contexte particulier peut avoir un effet sur la connaissance, peut la faire évoluer. Ainsi, la conception de l’apprentissage peut se modifier dans la construction de représentations successives.

1 Même si nous nous intéressons aux interactions sociales, nous restons au niveau des représentations individuelles des apprenants et n’envisageons pas la perspective des représentations sociales.

A côté de ces variables « cognitives », la variable affective « motivationnelle » va avoir un impact important sur l’expérience d’apprentissage. En effet, la perspective constructiviste attribuant au sujet connaissant le rôle décisif dans la construction de la connaissance, on prend également en compte l’intentionnalité ou la finalité de ce sujet, donc son histoire (ses expériences d’apprentissage antérieures qui font sens pour lui, reflétant sa conception de l’apprentissage) et ses projets.

La Figure 1 schématise de manière encore très dépouillée les différentes variables en lien avec l’expérience d’apprentissage, variables qui nous permettront de mieux comprendre cette dernière. L’expérience d’apprentissage que les apprenants nous livrent sera investiguée, comprise à partir de leur perception de la situation et du dispositif de formation ainsi que des variables individuelles. Ce schéma se complètera et sera explicité au fur et à mesure de notre élaboration conceptuelle et notamment en ce qui concerne la place qu’y prennent les interactions sociales.

Figure 1 – Articulation entre les variables de l’expérience d’apprentissage

2.3 L’EXPRESSION DE L’EXPERIENCE D’APPRENTISSAGE

Nous allons maintenant répondre à la troisième question qui initiait ce chapitre :

« Comment atteindre l’expérience d’apprentissage à travers le discours des apprenants ? ».

Nous avons vu que plusieurs variables sont envisagées pour analyser l’expérience d’apprentissage : l’expérience d’apprentissage elle-même (processus et produit d’apprentissage), la perception de la situation/tâche, les expériences antérieures (et la conception de l’apprentissage) et la motivation.

Un certain nombre de questions peuvent être posées à l’apprenant pour faire émerger l’expression de ces variables comme par exemple « comment avez-vous appris dans cette situation ? Pour répondre à ces questions, comme nous l’avons vu plus haut, l’apprenant va construire une représentation, une construction mentale transitoire qui ne durera que le temps de l’entretien et ce à partir des informations perçues de la situation d’entretien et de la tâche (la question) ainsi que de ses connaissances, des constructions plus permanentes.

Quelles sont ces connaissances ? Les connaissances spécifiques liées aux situations de formation qu’il a vécues, les souvenirs qu’il garde de cette situation et ce qu’il a fait, et sa conception de l’apprentissage, etc. L’apprenant nous livre le sens qu’il donne à une

Variables individuelles Expériences antérieures

Motivation

Expérience d’apprentissage Processus-approche-stratégies

Produit

Perception de la situation et du dispositif de formation

Dispositif de formation

situation et une tâche (par exemple : comment avez-vous appris dans cette situation ?) à partir de ses connaissances. Pour atteindre ces constructions mentales, de représentation et de connaissance, on passe par le discours, les réponses aux questions. Ainsi, on dira qu’on met en évidence des représentations « propositionnelles » à travers les productions

« discursives » du sujet.

Cette mise en discours n’est pas neutre. Comme nous l’avons vu en traitant du caractère interactif entre représentation et connaissances, l’apprenant est amené à construire des représentations au cours de l’entretien, qui pourraient ainsi avoir un effet sur les connaissances elles-mêmes. Ainsi par exemple, le fait de mettre à jour dans son discours sa conception de l’apprentissage, amène l’apprenant à porter un regard, un retour réflexif sur cette conception et peut conduire ainsi à une modification de cette conception.

L’analyse des connaissances à partir des représentations va soulever certaines questions d’ordre épistémologique, théorique et méthodologique comme l’ont très bien analysé Bourgeois et Nizet (1992). Il faudra se demander notamment comment et si la situation d’analyse permet de mettre en évidence les connaissances ciblées à travers la représentation que l’apprenant construira et manifestera. Ainsi, comment faire émerger les conceptions de l’apprentissage de l’apprenant dans son discours ? Nous verrons plus loin que celles-ci sont habituellement approchées directement en posant la question « c’est quoi pour vous apprendre ? ». Avec un questionnement de ce type, on risque d’approcher plutôt le

« discours sur », et donc plus une théorie personnelle que ce qui mobilise réellement l’apprenant dans ses expériences d’apprentissage. Charlier (1998) a utilisé un autre type de questionnement pour mettre en évidence les conceptions de l’apprentissage de formateurs en formation continue : « au cours de cette formation, décrivez-moi une situation dans laquelle vous avez le sentiment d’avoir appris. ». Pour répondre à cette question, l’apprenant va sélectionner dans ses souvenirs une situation particulière qui fait sens pour lui en termes d’apprentissage. Il va ainsi mobiliser sa conception de l’apprentissage, tout en nous livrant son expérience d’une situation particulière dans un dispositif de formation spécifique. Nous parlerons d’expérience signifiante. Dans ces expériences signifiantes, nous pensons pouvoir approcher les interactions sociales que l’apprenant privilégie dans son expérience d’apprentissage. Avec ces données, nous pourrons également mieux comprendre l’expérience de situations particulières d’interaction dans le dispositif que nous aurons spécifiquement demandé à l’apprenant de nous livrer.

Enfin, s’intéresser à l’expérience d’apprentissage dans notre perspective, c’est explorer son évolution, la dynamique entre les différentes variables. Des questionnements à différents moments de la formation doivent donc être envisagés. La perspective longitudinale s’impose.

2.4 IMPLICATIONS POUR LA SUITE

Rappelons que nous souhaitons approcher les interactions sociales au cœur de l’expérience d’apprentissage d’apprenants de dispositifs de formation particuliers : Quel rôle prennent les interactions sociales dans leur expérience d’apprentissage ? Est-ce que ce rôle va changer en cours de formation ? Quelles interactions vont être vécues comme des obstacles ? Quelles interactions sociales vont-ils privilégier ?

Pour faire émerger cette expérience, nous nous centrerons sur l’expérience d’apprentissage que nous qualifions de signifiante, qui fait sens pour l’apprenant en termes d’apprentissage.

Cette expérience est approchée par un questionnement spécifique : « au cours de cette formation, décrivez moi une situation dans laquelle vous avez le sentiment d’avoir appris. » Pour explorer l’évolution de cette expérience signifiante, nous adopterons une perspective longitudinale. Pour comprendre cette expérience et son évolution éventuelle, nous investiguerons les variables en interaction à la Figure 1.

Avec ces données, nous pourrons également mieux comprendre l’expérience d’apprentissage de situations spécifiques d’interaction (« comment avez-vous procédé dans cette situation ?, qu’avez-vous le sentiment d’avoir appris ? »). En effet, ces deux types de données se complèteront, à la fois les situations signifiantes pour les étudiants et comment ils approchent des situations spécifiques que nous souhaitons étudier (en l’occurrence des situations que nous avons observées comme problématiques pour les étudiants, de collaboration à distance)

L’expérience d’apprentissage est rarement étudiée dans cette perspective constructiviste.

Charlier (1998) est à notre connaissance la première à avoir proposé un cadre de recherche constructiviste pour étudier les conceptions de l’apprentissage d’enseignants en formation continue. Voyons dans le chapitre suivant les travaux qui ont plus largement étudié l’expérience d’apprentissage des étudiants et ce qu’ils peuvent apporter à notre cadre. „

3. TRAVAUX SUR L’EXPERIENCE D’APPRENTISSAGE