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PARTIE I : LA STIGMATISATION ET LE TROUBLE BIPOLAIRE

1.2 LA STIGMATISATION EN SANTE MENTALE ET SES CONSEQUENCES

1.2.4 Intemporalité des stéréotypes associés à la maladie mentale

Vers la fin des années 1990, des études mettent en évidence que, malgré l’avancée des connaissances sur les pathologies mentales, les représentations lui étant associées restent malgré tout toujours aussi affirmées et négatives et que la maladie mentale reste encore fortement sujet au phénomène de stigmatisation. Phelan et al en 2000 soulignent que le taux de croyance concernant la dangerosité associée à la maladie mentale se majore de 2,3 fois entre 1950 et 1966(73). Pescosolido et al en 2010 comparent les opinions de la population générale à l’égard des maladies mentales entre 1966 et 2006 dans l’objectif d’évaluer l’impact des campagnes d’informations mises en places depuis une vingtaine d’années pour lutter contre la stigmatisation. Ils mettent en évidence une amélioration significative dans le domaine de l’attribution causale ou de la responsabilité (74). La croyance dans l’étiologique neurobiologique des maladies mentales par la population était significativement plus forte entre 1996 et 2006 et celles relatives à des étiologies comme « des hauts et des bas » ou « un mauvais caractère » étaient significativement plus faible. En revanche et malgré cela, les auteurs soulignent l’absence d’amélioration significative en ce qui concerne le phénomène de distance sociale et de dangerosité. 62% et 74% de la population se déclare incapable de travailler avec respectivement des personnes atteintes de schizophrénie et de dépendance à l’alcool. 69% et 79% d’entre eux se déclarent incapable d’avoir une personne de leur famille mariée à un individu atteint de schizophrénie ou de dépendance à l’alcool. Entre 1996 et 2006, le pourcentage de personne se disant incapable d’avoir un voisin atteint de schizophrénie est passé de 34% à 45%. En ce qui concerne les croyances sur le

potentiel de dangerosité entre 1996 et 2006 le pourcentage de personnes pensant que les individus atteints de schizophrénie sont dangereux envers les autres est passé de 54 à 60%.

Les stéréotypes négatifs associés à la maladie mentale restent d’actualité comme en témoignent des travaux récents. L’enquête La santé mentale en population générale : images et réalités (SMPG) est une enquête réalisée par le Centre Collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) (Lille, France) en collaboration avec la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) (75). Cette étude réalisée entre 1999 et 2003 sur 36105 personnes âgées de 18 ans et plus en France Métropolitaine avait comme objectif de décrire les principales représentations de la maladie mentale en population générale en les questionnant sur leurs perceptions du « fou », du « malade mental » et du « dépressif » et d’évaluer la prévalence des principaux troubles mentaux. Le stéréotype de dangerosité associé à la maladie mentale se révèle au premier plan dans l’opinion publique. Le terme de « dépressif », de « malade mental » et de « fou » est fréquemment associé et de manière croissante à l’idée de meurtre. Pour 45% de la population interrogée, commettre un meurtre est lié au fait d’être « fou » et pour 30% d’être « malade mental ». Le viol et l’inceste sont plus fréquemment associés au fait d’être « malade mental » (46%) que « fou » (moins de deux personnes sur cinq). En ce qui concerne les représentations des soins et de la prise en charge, on retrouve la notion d’incurabilité liée à la maladie mentale. Respectivement 69% et 55% des personnes interrogées pensent qu’il est impossible de guérir un « fou » et un « malade mental » ou du moins totalement pour 90% et 80% de la population. L’enquête révèle également que le risque que fait encourir le « fou » (considéré comme violent et dangereux) à ceux qui le côtoient justifie qu’il soit exclu de son travail pour 90% de la population, exclu de la société (82%) et rejeté par les membres de sa famille (68%).

Dans l’étude de Crisp et al en 2000, les opinions de 1737 personnes concernant les principaux stéréotypes comprenant la notion de dangerosité, de différence, de responsabilité et d’incurabilité de sept maladies mentales (dépression, anorexie- boulimie, attaque de panique, démence, schizophrénie, alcoolisme et toxicomanie) ont été recueillies (76). L’étude révèle que les stéréotypes sont plus marqués lorsqu’il s’agit de schizophrénie, d’alcoolisme et de toxicomanie. En effet, 77, 3% de la population

pense que le « schizophrène » est imprévisible, dangereux (71,3%) et incurable (50,8%). Le stéréotype de responsabilité est fréquent concernant le trouble de l’usage où respectivement 60 et 67% des personnes interrogées pensent que la personne souffrant d’alcoolisme et de toxicomanie ne peut s’en prendre qu’à soi même.

L’étude INDIGO (International Study of Discrimination and Stigma Outcomes) est une étude internationale réalisée dans 27 pays différents ou 732 sujets souffrant de schizophrénie ont été inclus(77). L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact de la stigmatisation et de la discrimination dans différents domaines de la vie quotidienne et d’étudier les relations entre discrimination anticipée et vécues par les personnes souffrant de schizophrénie. L’étude révèle que de manière homogène dans tous les pays, les personnes souffrant de schizophrénie font part de nombreuses expériences de discrimination pour des situations comme se faire des amis, entretenir des relations avec les proches, trouver ou conserver un emploi ou avoir des relations intimes. Mais ce qui est également intéressant est que plus de la moitié des personnes interrogées avaient anticipées une discrimination qu’elles n’avaient jamais subie. Giordano souligne que « la discrimination anticipée se révèle plus fréquente que la discrimination réellement expérimentée » et que la personne ayant une maladie psychique partage les mêmes représentations du « malade mental » que le grand public et qu’il a ainsi de lui même l’image que s’en fait la société »(30).

Ainsi, à partir des années 1950 et depuis l’ère de la désinstitutionalisation, de nombreux travaux ont permis de mettre en lumière l’ampleur du phénomène de stigmatisation liée à la maladie mentale. Malgré l’avancée des connaissances en santé psychique, les stéréotypes y étant fréquemment associés se pérennisent comme en témoigne des travaux plus récents, avec des conséquences non négligeables sur la vie des sujets souffrant de maladie mentale.

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