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PARTIE I : LA STIGMATISATION ET LE TROUBLE BIPOLAIRE

1.3 LA STIGMATISATION DANS LE TROUBLE BIPOLAIRE

1.3.2 Impact fonctionnel du trouble bipolaire

Selon l’OMS, la santé ne « consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » mais est « un état de base de complet bien-être physique, mental et social ». La classification internationale du fonctionnement établie par l’OMS en 2001 propose de définir le fonctionnement comme un terme générique qui couvre les fonctions

organiques (fonctions physiologiques et psychologiques des systèmes organiques), les structures anatomiques (partie anatomique du corps), les activités (exécution d’une tâche ou d’une action) et la participation (implication d’une personne dans une situation de vie réelle). Comme le souligne Sanchez et Moreno (2009), le fonctionnement est un concept complexe qui implique différents domaines de compétence comme la capacité à travailler ou faire des études, à vivre de manière indépendante ainsi qu’à s’engager dans des activités récréatives et des relations interpersonnelles(2).

1.3.2.1 Altération du fonctionnement au delà des épisodes thymiques

Il est évident que les épisodes thymiques, dépressifs ou maniaques traversés par les patients souffrant de trouble bipolaire ont un impact direct sur leur fonctionnement qui constitue en soit un critère dans la classification DSM (« l’épisode s’accompagne de modifications indiscutables du fonctionnement »). Mais depuis plusieurs années, l’attention est également portée sur les périodes inter critiques appelées à tord normothymiques pour lesquelles ont pu être mis en évidence une altération du fonctionnement global des patients (113) (114). En effet, au delà de l’obtention d’une rémission clinique symptomatique (qui se définit de manière psychométrique avec un score à l’échelle de manie YMRS<5 et un score à l’échelle de dépression MADRS ou HDRS <5), les patients souffrant de trouble bipolaire présentent des difficultés à atteindre une rémission fonctionnelle complète qui implique le retour à un niveau de fonctionnement pré-morbide. Tohen et Alen (2003)(115) ont suivis 166 patients bipolaires après leur première hospitalisation pour un épisode maniaque ou mixte et ont constaté que, deux ans après le premier épisode, 72% des patients avaient atteint une rémission symptomatique mais que seulement 43% avaient récupéré leur niveau de fonctionnement antérieur. Dans l’étude de Keck et al (1998) et un an après la dernière hospitalisation, seulement 24% des patients avaient atteint la rémission fonctionnelle (116). Cette altération dans le domaine fonctionnel se situe à plusieurs niveaux. Dans l’étude de Rosa et al en 2009, 80% des patients bipolaires en phase euthymique voyaient leur fonctionnement altéré dans des domaines aussi variés que les loisirs, les relations interpersonnelles, l’autonomie ou le fonctionnement cognitif (117). Dans la revue de la littérature de Mac queen et al, les auteurs estiment entre 30 à 60% le nombre de patients bipolaires qui ne récupèrent pas un bon niveau de fonctionnement dans le domaine social et occupationnel sur une période de 3ans de suivi (114).

1.3.2.2 Altération du fonctionnement psycho- social

Dans l’étude de Calabrese et al en 2003, les auteurs mettent en évidence des difficultés significativement plus importantes dans les domaines du travail, des loisirs, des relations amicales et familiales chez les patients positif au questionnaire MDQ (Mood Disorder Questionnaire) que chez les patients négatifs au questionnaire (118). Dans leur revue de la littérature, Sanchez- Moreno et al (2009) mettent en lumière trois des principaux domaines d’altération du fonctionnement chez les patients souffrant de trouble bipolaires (2). Ces trois domaines recouvrent la notion de fonctionnement psycho-social qui est définit comme la « capacité à établir et maintenir des relations amicales et familiales ainsi que d’entreprendre des activités professionnelles et de loisir afin de faire face au quotidien jour après jour » (119).

Dans le domaine des relations sociales, l’impact fonctionnel est important avec des études qui mettent en évidence un réseau social amical significativement moins fourni chez les patients souffrant de trouble bipolaire (120) en comparaison aux patients ne souffrant pas de trouble psychiatrique. Ces difficultés persistent également à distance des épisodes. Dans l’étude de Goldberg et al (2004), sur une période de 10 ans de suivi, 30 à 40% des patients bipolaires ont déclarés souffrir de la persistance de difficultés dans le domaine du fonctionnement social (121). Celui ci semble avoir son importance dans la mesure où, selon certains auteurs comme Altshuler et al en 2002, un mauvais fonctionnement dans ce domaine pourrait faire le lit d’une symptomatologie dépressive (122). Selon Gitlin et al, une altération du fonctionnement psychosocial et plus précisément dans le domaine occupationnel serait prédictif d’un temps plus court entre les rechutes (123). Ainsi, il est établi que, d’une manière générale, les patients souffrant de trouble bipolaire souffrent de difficultés importantes en ce qui concerne leur fonctionnement social dans leurs relations interpersonnelles et l’engagement dans des activités de loisirs (2)

Concernant le fonctionnement professionnel, Sanchez et Moreno (2009) rappellent que le trouble bipolaire entravent également considérablement les performances des patients dans le domaine professionnel avec une inactivité pour environ la moitié des patients bipolaires (2). Dans l’étude de Morselli et al (2003) de la GAMIAN Europe (Global Alliance of Mental Ilness Advocacy Networks Europe) et sur 968 patients de 8 pays Européens, les auteurs retrouvent un pourcentage 21,5% de patients étant au

chômage ou travaillant de manière bénévole et un nombre de patients en temps partiels entre 27% et 56%. Parmi cette population, entre 13 à 34% déclarent présenter des difficultés dans leur profession(124).

Enfin, le trouble a également un impact sur le fonctionnement familial. Dans une étude australienne en population générale sur 10641 individus les auteurs retrouvent une proportion significativement supérieure d’individus séparés, divorcés ou veufs (125). Des résultats similaires sont retrouvés dans l’étude épidémiologique en population américaine de Judd et al en 2003 sur 18252 individus. Les patients ayant présenté des symptômes maniaques, hypomaniaques ou sub syndromiques de manie sur leur vie entière souffraient significativement plus d’un mauvais fonctionnement dans le domaine familial (proportion de divorce, de séparation, de veuvage ou patients jamais mariés). A titre d’exemple, on retrouvait une proportion de divorce chez 15% des patients ayant présenté des symptômes hypomaniaques contre seulement 7% chez les patients n’ayant jamais souffert de pathologie psychiatrique (126). L’impact de la maladie est également marqué pour l’entourage des patients bipolaires qui doivent faire face aux conséquences de la maladie. Dans l’étude de Dore & Romans (2001) avec un suivi longitudinal des aidants sur 2 ans ,92% des membres de l’entourage ont déclaré avoir eu des difficultés à conserver l’équilibre de leurs relations sentimentales en lien avec le trouble et pour 39% les difficultés persistaient même en dehors des épisodes thymiques (127). L’impact sur le plan familial a également son importance et se révèle être complexe comme le soulignent K.M Bailara et C Gay (Famille et trouble bipolaire ; Les troubles bipolaires, Lavoisier, 2015). En effet, via le concept d’émotion exprimée qui serait présent de manière plus important dans les familles de patients bipolaires (128), des études ont mis en évidence que celui ci pouvait être un facteur influençant l’évolution du trouble et notamment la précipitation des rechutes thymiques (129).

Enfin, depuis plusieurs années, des travaux ont mis en évidence le lien étroit entre les déficits cognitifs entrainés par la maladie bipolaire et la notion de récupération fonctionnelle des patients. Martinez Aran et al (2011) rappellent qu’à distance des épisodes thymiques, les patients peuvent souffrir de troubles neurocognitifs dans des domaines comme l’attention, la mémoire verbale et les fonctions exécutives. Ces dysfonctions cognitives peuvent représenter une entrave à la rémission fonctionnelle des patients bipolaires (130).

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