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biologiques modèles par spectroscopie de double résonance IR/UV en phase gazeuse

4.1 Application à l’étude d’une chaîne peptidique modèle : la phénylalanine protégée

4.1.2 Intérêt de la sélectivité en masse

La sélectivité en masse est une composante essentielle de la spectroscopie d’IR2P, ce qui est un avantage nécessaire lorsque l’on souhaite s’assurer de la nature des molécules étudiées ou encore de la présence d’agrégats ou de fragments dans une expérience. Elle peut également être mise à profit pour étudier le cas particulier d’un mélange de molécules possédant des spectres d’absorption très proches mais des masses différentes, par exemple un mélange d’isotopologues obtenu après une réaction de deutération incomplète. En effet, les hydrogènes portés par les groupements -NH d’un peptide protégé possédant la même labilité, si on ne remplace pas tous les atomes d’hydrogène de ces groupements par des atomes de deutérium on obtiendra toujours un mélange de molécules différant par le nombre d’atomes de deutérium (des isotopologues) et par la position de ces derniers dans la molécule (des isotopomères). Il est impossible de deutérer sélectivement une telle molécule en une position précise afin étudier l’influence de ce changement sur ses propriétés photophysiques.

Fig. 4.3 – Spectres d’excitation IR2P-1C des isotopologues d0 à d3 de Ac-Phe-NH2 dans le domaine de la

première transition π 1 π* du cycle aromatique. Les spectres des isotopologues d1 et d2 sont constitués

des contributions des trois isotopomères (possédant la même masse) représentés à droite de la figure. Les bandes appartenant aux mêmes conformères sont indiquées par des pointillés de la même couleur.

La détection par un spectromètre de masse permet alors de manière très efficace de mesurer simultanément et sélectivement des spectres d’excitation des isotopologues d0 à d3 de Ac-Phe-NH2. Il suffit pour cela d’intégrer la partie du signal d’ions correspondant aux rapports m/z suivants: 206, 207, 208 et 209 respectivement pour les isotopologues d0, d1, d2 et d3. Les spectres d’excitation à l’origine de la première transition π7π* du cycle aromatique sont

présentés sur la Figure 4.3. Dans le cas du conformère B, seulement deux bandes distinctes à 37610 et 37615 cm-1 sont observées, avec des rapports d’intensité proches de 2 : 1 et 1 : 2 pour les isotopologues d1 et d2. Ces derniers correspondant à un mélange de trois isotopomères, ce résultat suggère que la deutération en un site précis (très probablement sur le groupement -NH impliqué dans l’interaction NH-π avec le cycle aromatique) provoque un déplacement spectral de la bande de ce conformère. Le cas du conformère A est un peu plus compliqué car un déplacement de la bande est observé à chaque ajout d’un atome de deutérium. Enfin, la fréquence de la transition ππ* du conformère C est très peu sensible à la deutération.

Dans l’objectif d’identifier le groupement -NH du conformère B responsable du déplacement observé sur le spectre UV, des expériences de double résonance IR-UV dans le domaine des vibrations d’élongation des liaisons N-H ont été réalisées sur chacune des bandes des différents isotopologues de ce conformère (Figure 4.4). La fréquence de vibration d’une liaison N-D étant comprise entre 2500 et 2600 cm-1, c’est l’absence de bandes de vibration dans le domaine 3300 – 3600 cm-1, comparée aux bandes vibration de l’isotopologue d0, qui apportera des informations sur la nature du site de deutération. Non deutéré, le conformère B présente trois bandes de vibration dans le domaine des élongations des liaisons N-H : la bande à 3342 cm-1 (bleu foncé) est caractéristique des liaisons hydrogène C7, celle à 3438 cm-1 (rouge) correspond à une interaction NH-π avec le cycle aromatique et celle à 3517 cm-1

(bleu clair) à une liaison N-H libre. Pour une énergie fixée du laser d’ionisation (37610 cm-1), les bandes du groupement -NH2 terminal associées à la liaison hydrogène C7 et la liaison N-H libre disparaissent progressivement avec le degré de deutération de la molécule. Seule la bande associée à l’interaction NH-π demeure dans l’isotopologue d2. A l’opposé, cette bande disparaît lorsque c’est la transition à 37615 cm-1 qui est sondée par le laser d’ionisation. Le déplacement de 5 cm-1 de la transition UV est donc bien causé par la deutération sélective du groupement NH de la première liaison peptidique, ce qui ne peut se comprendre que par un effet vibrationnel, puisque la deutération ne modifie pas la structure électronique. De façon générale, les transitions électroniques (ou vibroniques) impliquent une différence entre les énergies vibrationnelles du point zéro (ZPE) des états électroniques fondamental et excité. Les modes de vibrations de hautes fréquences (les élongations des liaisons C-H et N-H notamment) contribuant notablement à cette ZPE, la fréquence des transitions électroniques va donc dépendre en partie de la variation des modes de vibration des liaisons N-H entre état fondamental et excité, situation que l’on peut rencontrer lorsque ces vibrateurs sont impliqués dans des interactions de type π avec le cycle aromatique. L’excitation électronique modifie alors la force de l’interaction intramoléculaire, donc la fréquence du mode d’élongation de la liaison N-H et donc enfin la différence de ZPE. Cette différence sera ainsi dépendante de la nature de l’isotopomère (NH vs ND) : un bien moindre effet sera attendu si le groupement deutéré n’est pas impliqué dans une interaction susceptible d’être modifiée par l’excitation du chromophore électronique (cas du conformère C).

Par conséquent, malgré la présence d’un mélange d’isotopologues dans l’expansion supersonique, la sélectivité en masse et en conformation apportée par la spectroscopie d’IR2P permet de séparer les contributions de ceux-ci et d’étudier l’influence de la deutération en une

position précise. Cet effet sera notamment utilisé au chapitre suivant pour mesurer l’influence de la deutération sur la durée de vie du premier état excité ππ*.

Fig. 4.4 – Spectres de double résonance IR-UV des isotopologues d0, d1 et d2 du conformère B de

Ac-Phe-NH2 enregistrés en fixant le laser d’ionisation à 37610 et 37615 cm -1

. Les fréquences de vibration harmoniques calculées avec la méthode RI-B97-D / TZVPP, corrigées de facteurs d’échelle selon la méthode décrite au chapitre 2, figurent au-dessous de chaque spectre et les molécules y contribuant sont

représentées de part et d’autre de celui-ci.