• Aucun résultat trouvé

2.3 Méthodes de calculs

2.3.1 Détermination de structures

La stratégie adoptée pour attribuer une structure à un spectre expérimental d’absorption dans l’infrarouge a été la suivante. Dans un premier temps, une exploration de la surface d’énergie potentielle du peptide est réalisée en effectuant des rotations aléatoires des angles dièdres 4, 5 et Χ représentés sur la Figure 1.3, puis en optimisant les géométries obtenues grâce au champ de forces Amber99 [16] implémenté dans le logiciel Hyperchem 8.0 [17]. Ce champ de force a été choisi en particulier parce qu’il a été conçu pour modéliser des systèmes proches de ceux choisis pour cette étude ; il a en effet été optimisé sur des structures de protéines et d’acides nucléiques en phase condensée. Cette méthode permet de réaliser rapidement un inventaire des structures que peut adopter le peptide, toutefois les géométries des conformères obtenus ne sont pas assez fiables pour mener à des fréquences de vibration directement comparable à l’expérience et sont donc réoptimisées par la suite par des méthodes de chimie quantique. Comme il n’est pas envisageable de pouvoir réaliser cette nouvelle optimisation sur toutes les conformations résultant de l’exploration, un premier tri est réalisé sur un critère structurel à l’aide d’un logiciel, développé au laboratoire, détectant automatiquement le nombre et la nature de leurs liaisons hydrogène. Un grand nombre de structures de chaque famille possédant des enchaînements de liaisons hydrogène compatibles avec les spectres IR expérimentaux est cependant conservé car les énergies prédites par les champs de force ne sont pas assez fiables pour constituer un critère de tri précis. Certaines structures de départ qui ne sont pas trouvées par le champ de force sont de plus quelquefois générées manuellement afin de s’assurer de l’exhaustivité de l’inventaire réalisé.

Les interactions intramoléculaires, qui jouent un rôle crucial dans les structures adoptées par des chaînes peptidiques, peuvent s’exprimer en fonction de quatre forces fondamentales : l’interaction électrostatique entre dipôles permanents (forces de Keesom) ; l’interaction entre un dipôle permanent et un dipôle induit (forces de Debye) ; l’interaction entre deux dipôles instantanés (forces de dispersion de London) et l’interaction répulsive entre électrons, également appelée corrélation électronique [18]. Les méthodes de chimie quantique utilisées pour calculer les structures de peptides doivent donc décrire ces interactions le plus précisément possible.

La méthode de chimie quantique la plus simple pouvant être employée pour calculer l’énergie d’un système est la méthode d’Hartree-Fock : une fonction d’onde électronique décrivant le système est d’abord postulée, sous la forme d’un déterminant de Slater, puis optimisée par un principe variationnel jusqu’à ce que son énergie converge vers une valeur

minimale [19]. Par construction, la méthode Hartree-Fock ne prend cependant en compte qu’une partie de la corrélation électronique : seul le mouvement entre électrons de spins parallèles est corrélé, celui entre électrons de spins opposés ne l’est pas [20] ; ce qui conduit souvent à des écarts importants avec les résultats expérimentaux.

Un certain nombre de méthodes, appelées méthodes post-Hartree-Fock, ont été développées dans l’objectif d’améliorer le traitement de la corrélation électronique. On peut notamment citer, parmi ces méthodes, la théorie de la perturbation de Møller-Plesset (MP) [21], l’interaction de configuration (IC) ou encore la méthode du cluster couplé (CC). Cette amélioration entraîne cependant une augmentation des temps de calcul : alors qu’il est proportionnel à N4 dans la méthode Hartree-Fock (où N représente le nombre de fonctions de base), le temps de calcul varie en N5 pour la méthode MP au second ordre (MP2) et en N7 pour la méthode CC. Dans le cadre de cette étude, seule la méthode post-Hartree-Fock la moins coûteuse, la méthode MP2, peut donc être employée en des temps réalistes pour réaliser des optimisations de géométrie et des calculs de fréquences de vibrations sur plusieurs dizaines de conformations de systèmes de la taille de petits peptides protégés. Malheureusement, la méthode MP2 produit des erreurs de superposition de base (BSSE pour Basis Set Superposition Errors) importantes lorsqu’elle est employée avec des fonctions de base de tailles moyennes, ce qui induit dans ce cas une surestimation de la force des interactions intramoléculaires attractives [22, 23, 24]. La BSSE peut toutefois être minimisée en augmentant la taille des fonctions de base, ou bien corrigée au moyen de la méthode de rééquilibrage (CP pour CounterPoise method), mais ces deux méthodes ont pour conséquence d’augmenter encore les temps de calcul.

Une alternative, moins coûteuse, aux méthodes post-Hartree-Fock sera donc employée pour déterminer les structures de peptides protégés : la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT pour Density Functional Theory). Cette méthode repose sur un principe différent des méthodes post-Hartree-Fock, l’énergie du système y est calculée en fonction de la densité électronique et non plus en fonction de la fonction d’onde électronique [25]; les temps de calculs sont donc réduits à une variation en N4 dû au fait que la densité électronique est seulement fonction de trois variables (au lieu de trois variables par électrons pour la fonction d’onde). D’après les équations de Kohn-Sham, l’énergie électronique du système peut s’écrire comme la somme de trois termes fonctions de la densité électronique : un terme d’énergie cinétique des électrons, un terme d’interaction électron-noyau et un terme d’interaction électron-électron [26]. Le principal inconvénient de la méthode DFT provient du fait que l’expression exacte de ce dernier terme n’est pas connue, la corrélation électronique doit donc être calculée au moyen de

fonctionnelles approchées. Ces fonctionnelles peuvent être classées en plusieurs catégories, selon le type d’approximations réalisées. On peut citer, par ordre de qualité croissante : les fonctionnelles reposant sur l’approximation de la densité locale (LDA pour Local Density Approximation), les fonctionnelles basées sur l’approximation des gradients généralisés (GGA pour Generalized Gradient Approximation) ou encore les fonctionnelles hybrides. En ce qui concerne le calcul des interactions intramoléculaires, la DFT est beaucoup moins sensible à la BSSE que la méthode MP2 [27] mais les résultats obtenus pour un même système peuvent varier considérablement en fonction de la fonctionnelle utilisée. En effet, la plupart des fonctionnelles (LDA, GGA ou hybrides) ne prennent pas en compte les forces de dispersion de London. Les géométries de complexes liés par des liaisons hydrogène obtenues à l’aide de certaines fonctionnelles, comme la fonctionnelle hybride B3LYP, peuvent être en relativement bon accord avec l’expérience mais il a été montré que ces bons résultats étaient surtout dus à une compensation d’erreur et ne pouvaient pas être généralisés au cas de chaînes peptidiques [28]. Plusieurs fonctionnelles et bases d’orbitales ont été testées au laboratoire et par Grégoire et al. en comparant leurs prédictions de spectres de vibration de peptides dans l’infrarouge [29, 30], la fonctionnelle que nous avons retenue à la suite de ces tests est la B97-D. Cette fonctionnelle est construite à partir d’une fonctionnelle de type GGA en lui ajoutant un terme correctif semi- empirique, pour tenir compte des interactions dispersives à longue portée, puis en ré-optimisant a posteriori la fonctionnelle pour tenir compte de l’ajout de ce terme supplémentaire [31]. Concernant les bases d’orbitales, la base triple-zêta de valence TZVPP [32] s’est trouvée être un bon compromis entre une précision suffisante pour décrire de faibles variations des fréquences de vibration des modes amides A et des temps de calculs raisonnables pour l’étude de peptides contenant jusqu’à cinq acides aminés. Enfin, pour réduire les temps de calculs, ceux-ci ont été réalisés en utilisant l’approximation de la résolution de l’identité (RI-DFT) [33].

Les géométries déterminées par le champ de force sont donc dans un premier temps ré-optimisées en utilisant la méthode DFT (RI-B97-D/TZVPP), par l’intermédiaire du logiciel Turbomole 6.4 [34]. Les fréquences de vibration harmoniques sont ensuite calculées avec la même méthode à partir des géométries optimisées.

Les fréquences de vibration d’élongation des groupements amides obtenues par cette méthode présentent néanmoins quelques défauts inhérents à la méthode choisie (choix de la fonctionnelle d’échange-corrélation et de la base d’orbitales) et également à la non prise en compte de l’anharmonicité de la surface d’énergie potentielle lors du calcul des fréquences dans

le cadre de l’approximation harmonique. Pour obtenir malgré ces approximations des résultats permettant une exploitation des spectres expérimentaux, les fréquences théoriques sont multipliées par un facteur correctif (facteur d’échelle). Les facteurs d’échelle utilisés dans cette étude ont été déterminés à partir des attributions déjà réalisées au sein du laboratoire sur plus d’une vingtaine de peptides. Les fréquences de vibration expérimentales des modes amides A de ces peptides ont été tracées en fonction de leur fréquence théorique attribuée (Figure 2.9). On peut remarquer que les trois modes de vibration d’élongation des liaisons N-H (élongation d’un groupement NH, élongations symétrique et antisymétrique d’un groupement NH2) présentent des comportements différents. Trois corrections affines seront donc appliquées aux fréquences théoriques, selon le mode de vibration d’élongation. Après application des facteurs d’échelle, les nombres d’onde calculés des différents modes présentent typiquement un écart de l’ordre de la dizaine de cm-1 par rapport aux valeurs expérimentales. Les conformations qui seront retenues pour l’attribution seront donc les conformations dont les nombres d’onde calculés, pour les différentes vibrations d’élongation des liaisons N-H, présentent des écarts inférieurs à 20 cm-1 avec les nombres d’onde expérimentaux.

Fig 2.9 – Tracé des fréquences expérimentales des vibrations d’élongation des liaisons N-H en fonction

de leur fréquence calculée par la méthode RI-B97-D/TZVPP.