La 1-forme canonique sur P (1)
4.2 Les résultats de Gromov pour les parallélismes
4.2.1 Intégration des générateurs de Killing
Comme nous l’avons dit à la section 4.1.4, la preuve du théorème 4.1 se ramène à démontrer l’inclusion Ωn+2 ⊂ Intn+1(M, C). Le problème est donc le suivant : on s’est donné A∈ Killn+1(x0) un générateur de Killing d’ordre n+1 en un point x0∈ Ωn+2, et nous
voulons trouver un champ de vecteurs défini dans un voisinage de x0 qui commute avec les n champs de vecteurs du parallélismeP. Puisque ce problème est local, sans perte de généralité, nous supposons que M= U ⊂ Rnest un ouvert connexe tel que Ωn+2= M, ou de façon équivalente, tel que les fonctions k1, . . . , kn+2 sont constantes sur M . Le parallélisme
P nous fournit une trivialisation particulière de TM qui est l’application φ ∶ (x, v) ∈
T M ↦ (x, ωx(v)) ∈ M × Rn. Tous nos calculs et nos raisonnements seront faits dans cette trivialisation. Exemple notable, un champ de vecteurs sur M sera une application
M→ Rn. Si f est un difféomorphisme local, nous noterons f∗∶ M ×Rn→ M ×Rn l’action de sa différentielle, lue à travers φ.
Pour exhiber le champ de vecteurs du théorème 4.1, nous allons construire son graphe dans M×Rn. On identifie canoniquement T(x,u)(M ×Rn) et TxM×Rn. Notons(∂1, . . . , ∂n) la base standard du second facteur Rnet considérons ∆ le champ de n-plans dans M×Rn
défini par
∆(x,u)= Vect(Xi− ∑
jk
ujγijk∂k, 1⩽ i ⩽ n). (4.2) Nous nous intéressons à cette distribution en raison du lemme suivant.
Lemme 4.2.1. Soit X un champ de vecteurs sur M . Alors, X est un champ de Killing
si et seulement si son graphe dans M× Rn intègre la distribution ∆.
Démonstration. Soit ΓX = {(x, u1(x), . . . , un(x)) = (x, X(x)), x ∈ M} le graphe de X, lu dans la trivialisation φ. Alors pour tout x ∈ M, l’espace tangent (de dimensionn)
T(x,X(x))ΓX est engendré par les Xi(x) + ∑k(Xi.uk)(x)∂k∈ TxM× Rn, 1⩽ i ⩽ n.
Quand on développe les équations [Xi,∑jujXj](x) = 0 pour 1 ⩽ i ⩽ n, on obtient que
X est un champ de Killing si et seulement si pour tous 1⩽ i, k ⩽ n (Xi.uk)(x) + ∑
j
uj(x)γk
ij(x) = 0.
Ainsi, si X est un champ de Killing, l’espace tangent T(x,X(x))ΓX est en fait engendré par les
Xi(x) − ∑
jk
uj(x)γk
ij(x)∂k, 1⩽ i ⩽ n, ce qui signifie que T(x,X(x))ΓX = ∆(x,X(x)).
Réciproquement, si nous supposons que T(x,X(x))ΓX = ∆(x,X(x)), alors T(x,X(x))ΓX
contient Xi(x) − ∑jkuj(x)γk
ij(x)∂k pour tout i. Ainsi, nous devons avoir pour tous i, k, (Xi.uk)(x) = ∑juj(x)γk
ij(x).
Le lemme qui suit apparaît dans [Mel11] (Proposition 6.2). Il s’agit en fait d’une adaptation aux géométries de Cartan d’un lemme donné par Nomizu dans [Nom60] en géométrie riemannienne (Lemma 3), et l’idée de la preuve reste inchangée. Ce résultat est pour nous un ingrédient essentiel, nous en donnons donc une démonstration détaillée. Lemme 4.2.2. Soient x∈ M, X ∈ Rn dans le domaine d’injectivité de expx, A∈ Kills(x)
et γ(t) = expx(tX) = φt
̃
X(x), t ∈ [−1, 1]. Supposons que pour un s ⩾ 1, les applications ks
et ks+1 sont constantes et coïncident sur un voisinage de γ. Nous avons alors pour tout t
(φt
̃
X)∗A∈ Kills(γ(t)).
Démonstration. Par hypothèse, Kills(γ(t)) = Kills+1(γ(t)) et ces espaces sont de dimen-sion constante. Posons At= (φt
̃
X)∗A. Soit U ⊂ g un voisinage de 0 sur lequel expx réalise un difféomorphisme sur son image. Nous définissons un champ de vecteurs ˇA sur exp(x, U) en posant ˇA(exp(x, Y )) = (φ1
̃
Y)∗A. Notons que pour tous f ∈ C∞(M) et t on a (̃At.f)(γ(t)) = ( ˇA.f)(γ(t)).
Nous voulons prouver que pour tout 1 ⩽ r ⩽ s l’application t ↦ DrK(γ(t)) ⌞ At est identiquement nulle. Nous commençons par calculer ses dérivées
d dt∣ t=t0 DrK(γ(t)) ⌞ At= dtd∣ t=t0 (̃At.Dr−1K)(γ(t)) = dtd∣ t=t0 ( ˇA.Dr−1K)(φt ̃ X(x)) = ( ̃X. ˇA.Dr−1K)(γ(t0)) = ( ˇA. ̃X.Dr−1K)(γ(t0))
puisque [ ˇA, ̃X](γ(t)) = 0 ⇒ (LX̃LAˇf)(γ(t)) = (LAˇLX̃f)(γ(t)) pour tout f ∈ C∞(M). Nous obtenons ainsi
d
dtDrK(γ(t)) ⌞ At= ( ˇA. ̃X.Dr−1K)(γ(t)) = (̃At. ̃X.Dr−1K)(γ(t)) = (Dr+1K(γ(t)) ⌞ At) ⌞ X. Pour r⩾ 1, soit Cr
x ∶ g → Wr−1 l’application linéaire {X ↦ DrK(x) ⌞ X}. Nous obtenons finalement
d dtCr
γ(t)(At) = Cr+1
γ(t)(At) ⌞ X. (4.3)
Soient ns= dim Hom(⊗sRn, V) et (ws,1, . . . , ws,ns) une base de Hom(⊗sRn, V), pour s ⩾ 0. Il existe des formes linéaires fxi,j∈ (Rn)∗, i⩾ 0, 1 ⩽ j ⩽ ni telles que pour r⩾ 1,
Cr x= ∑
0⩽i⩽r−1 1⩽j⩽ni
fxi,jwi,j.
Puisque Killr = Ker Cr pour tout r et Kills est de dimension constante le long de γ, le rang de la famille (fij
γ(t), 0 ⩽ i ⩽ s − 1, 1 ⩽ j ⩽ ni) ⊂ (Rn)∗ ne dépend par de t. Enfin,
Kills(γ(t)) = Kills+1(γ(t)) implique que pour tout 0 ⩽ j ⩽ ns, Ker fγs,j(t)⊃ ⋂
0⩽i⩽s−1 1⩽j⩽ni
Ker fγij(t).
Par conséquent, les applications fγs,j(t) sont des combinaisons linéaires à coefficientsC∞
des fγi,j(t), i ⩽ s − 1, 1 ⩽ j ⩽ ni (par le théorème du rang constant). Ainsi, les équations (4.3) pour 1⩽ r ⩽ s nous donnent un système d’équations différentielles linéaires d’ordre 1 impliquant les fγi,j(t)(At), 0 ⩽ i ⩽ s − 1, 1 ⩽ j ⩽ ni. Puisque A∈ Kills(x), la condition initiale de ce système est nulle, d’où At∈ Kills(γ(t)) pour tout t.
Nous pouvons à présent passer à la preuve proprement dite. Soient x0 ∈ M et A ∈ Killn+1(x0). Il existe un entier s0⩽ n + 1 tel que
k1(x0) > ⋯ > ks0(x0) = ks0+1(x0).
Puisque les applications k1, . . . , kn+2 sont constantes sur M , ks0 et ks0+1 sont constantes et égales. On définit
Σ= {(x, v) ∣ v ∈ Kills0(x)} ⊂ M × Rn.
Notons que pour un champ de Killing arbitraire X, nous avons nécessairement X(x) ∈ Kill∞(x) partout où X est défini. Ainsi, le graphe que nous cherchons à exhiber est né-cessairement inclus dans Σ et contient le point(x0, A).
Lemme 4.2.3. Σ est une sous-variété de M× Rn.
Démonstration. Prenons x ∈ M et soit B = B(0, δ) ⊂ Rn une boule (pour une norme arbitraire) telle que expx est définie et injective sur B. Si Y ∈ B et y = expx(Y ), puisque Kills0(y) et Kills0(x) ont même dimension, on doit avoir Kills0(y) = (φ1
̃
Y)∗Kills0(x), par le lemme 4.2.2. Ainsi, Kills0(x) dépend de façon lisse de x et Σ est bien une sous-variété de M× Rn.
Nous prouvons à présent que ∆ se restreint en une distribution de Σ, et que cette distribution restreinte est involutive. À partir de maintenant, pour éviter les lourdeurs dans les calculs, nous noterons Vi= Vi(x, u1, . . . , un) = ∑jkujγijk ∂k.
Lemme 4.2.4. La distribution ∆ est partout tangente à Σ.
Démonstration. D’après le lemme 4.2.2, (φt
Xi)∗ ∶ M × Rn → M × Rn préserve Σ si t est suffisamment petit. Prenons (x, u1, . . . , un) = (x, u) ∈ Σ et posons c(t) = (φt
Xi)∗(x, u). Alors, dtd∣t=0c(t) ∈ T(x,u)Σ. Calculons ce vecteur tangent. Par définition de φ, nous avons
d dt∣ t=0c(t) = (Xi(x), ∑ j uj d dt∣ t=0ω((TxφtXi)Xj(x))). De plus, d dt∣ t=0ω((TxφtXi)Xj(x)) = (LXiω)x(Xj(x)) = (dω)x(Xi, Xj),
puisque ω(Xi) est constante égale à ei. La 2-forme courbure de la géométrie de Cartan associée au parallélismeP est Ω = dω+1
2[ω, ω] = dω puisque l’algèbre de Lie g = Rnest abé-lienne. Par conséquent,(dω)x(Xi, Xj) = Ωx(Xi, Xj) = K(x)(ei, ej) = −(γ1
ij(x), . . . , γn ij(x)). Finalement, nous obtenons
d dt∣
t=0c(t) = Xi(x) − ∑
jk
ujγijk(x)∂k= Xi− Vi∈ T(x,u)Σ. Ainsi, pour tout i, Xi− Vi est tangent à Σ et nous avons ∆(x,u)⊂ T(x,u)Σ.
Désormais, nous considérerons ∆ comme une distribution dans T Σ. Lemme 4.2.5. Restreinte à Σ, la distribution ∆ est involutive.
Démonstration. Calculons le crochet de X1− V1 et X2− V2.
[X1, V2] = ∑ jk (X1.γ2jk)uj∂k [V1, X2] = − ∑ jk (X2.γ1jk)uj∂k [V1, V2] = ∑ jklm γk1jγ2ml (δkmuj∂l− δjlum∂k), où δij = 1 si i = j, 0 sinon. On note Cp la composante de [X1− V1, X2− V2] sur ∂p, pour 1⩽ p ⩽ n.
Cp= ∑ j (∑ k γj1kγk2p + γk 2jγk1p ) uj− ∑ j (X1.γ2jp )uj+ ∑ j (X2.γ1jp )uj.
La relation de Jacobi qui fait intervenir X1, X2 et Xj nous donne ∀p, ∀j, ∑ k γj1kγk2p + γk 2jγk1p + γk 12γkjp = Xj.γ12p + X1.γ2jp + X2.γj1p .
Nous avons alors
Cp= ∑ j [(Xj.γ12p )uj− ∑ k γ12k γkjp uj] =⎛⎝∑ j ujXj⎞ ⎠.γ p 12− ∑ k γ12k ∑ j γkjp uj Par conséquent [X1− V1, X2− V2] = [X1, X2] + ∑ p Cp∂p = ∑ k γ12kXk− ∑ p ⎛ ⎝∑k γ12k ∑ j γkjp uj⎞ ⎠∂p+ ∑ p ⎛ ⎝∑j ujXj⎞ ⎠.γ p 12∂p = ∑ k γ12k ⎛ ⎝Xk− ∑ jp γkjp uj∂p⎞ ⎠+ ∑ p ⎛ ⎝∑j ujXj⎞ ⎠.γ p 12∂p = ∑ k γ12k(Xk− Vk) ´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶ ∈∆ + ∑ p ⎛ ⎝∑j ujXj⎞ ⎠.γ p 12∂p
Puisque (x, u) ∈ Σ, (u1, . . . , un) ∈ Kills0(x) est un générateur de Killing d’ordre s0⩾ 1 en
x, nous obtenons[(u1X1+ ⋯ + unXn).K] (x) = 0. Le second terme de la somme est donc nul. Ainsi [X1 − V1, X2− V2] ∈ ∆. Bien entendu, ce calcul reste valide pour un crochet arbitraire[Xi− Vi, Xj− Vj] et nous avons prouvé que ∆ est involutive.
Conclusion La distribution ∆ s’intègre en un feuilletageF de Σ. Considérons la feuille F0 qui contient (x0, A) et notons p ∶ Σ → M la projection sur le premier facteur. Puisque
X1, . . . , Xn sont partout dans l’image de l’application tangente de p∣F0, cette application est un difféomorphisme local de F0 vers M par inversion locale. Dans un voisinage suffi-samment petit de x0, prenons ̂A(x) = p∣−1
F0(x). Alors ̂A est un champ défini sur un voisinage
de x0 dont le graphe intègre ∆. Par le lemme 4.2.1, ̂A est un champ de Killing local et
̂
A(x0) = A.