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Quelles Institutions pour une Croissance Économique Soutenue?

3. Arguments théoriques de l’effet de « bonnes » institutions sur la CES

3.1 Des institutions pour la réduction des coûts de l’investissement privé

Les investisseurs privés en décidant d’augmenter leurs investissements visent à maximiser leurs profits. Une manière de réaliser cet objectif est de minimiser les coûts de leurs investissements. Dans une économie, les investisseurs privés font face à plusieurs types de coûts mais nous spécifions en particulier trois types de coûts, à savoir : les coûts liés à la

mise en œuvre de politiques économiques distorsives, les coûts de création de nouvelles entreprises et les coûts de réalisation des transactions économiques et financières dans un pays. Ces trois types de coût ne dépendent pas des entreprises privées et leur sont imposés par

les décideurs politiques. L’importance de ces coûts dépend de la qualité des institutions dans un pays, c’est la raison pour laquelle nous focalisons notre raisonnement théorique sur les institutions susceptibles de déterminer ces coûts dans un pays.

3.1.1 La démocratie : Une méta institution pouvant réduire les coûts de politiques économiques distorsives

La démocratie peut réduire le risque de mise en oeuvre de politiques économiques distorsives -inflation élevée, déficit public insoutenable, surévaluation de la monnaie, etc.-. Ce faisant, elle permet une réduction des coûts de l’investissement privé et favorise le développement de ce dernier. En favorisant le développement de l’investissement privé et une augmentation de la PGF, la démocratie pourrait contribuer à la soutenabilité de phases de croissance économique positive26.

Dans ce chapitre, en soutenant que la démocratie réduirait le risque de mise en œuvre de politiques économiques distorsives, notre argument se situe dans la lignée des auteurs qui défendent l’efficacité des régimes démocratiques dans le choix de politiques économiques. En effet, l’impact de la démocratie sur les politiques macroéconomiques est ambigu. D’une part,

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Certains auteurs comme Rodrik (1999), Acemoglu et al. (2003) et Quinn et Wooley (2001) montrent que la démocratie réduit l’instabilité de la croissance économique, en améliorant l’efficacité des politiques macroéconomiques. Par ce canal, la démocratie pourrait aussi contribuer à la soutenabilité de la croissance économique.

89 certains auteurs à l’instar de Nordhaus (1975) soutiennent que la démocratie risque d’entraîner des distorsions de court terme pour des motifs électoraux. De même Barro et Gordon (1983) évoquent des problèmes d’incohérence temporelle pour soutenir le risque d’inflation dans les régimes démocratiques. D’ailleurs, dans le chapitre III de cette thèse, nous développerons des arguments semblables, et analyserons plus en détail l’effet des institutions démocratiques sur l’inflation dans les pays en développement.

D’autre part, des auteurs comme Wittman (1989, 1995) et Baba (1997) soutiennent que, plus un régime politique est démocratique plus le processus de choix et le choix des politiques économiques sont transparents, ce qui réduit la probabilité de mise en oeuvre de politiques qui visent à servir l’intérêt personnel des dirigeants.

Barro (1996) concilie les deux effets possibles de la démocratie en mettant en exergue une relation non linéaire entre la démocratie et la croissance économique, du fait de l’impact de la démocratie sur les politiques de redistribution. Pour Barro, au delà d’un certain seuil, la démocratie affecterait négativement la croissance économique du fait de la demande par l’électeur médian pour la redistribution financée par une hausse des impôts qui pénalise l’investissement privé.

Le rôle de la démocratie dans le choix de politiques économiques pourrait mieux s’apprécier dans le contexte de pays en développement, où la mise en place de politiques économiques distorsives a de profondes causes socio-politiques, et est due quelque fois à la faiblesse des institutions politiques. En effet, dans les pays pauvres où les dirigeants politiques disposent de tout le pouvoir de décision et ne sont soumis à aucune contrainte politique et institutionnelle, ces dirigeants n’hésitent pas à mettre en place des politiques économiques socialement inefficaces, pour s’enrichir, enrichir leurs partisans, et s’assurer de leurs maintiens au pouvoir. Bates (1981) met en exergue cet argument pour les pays Africains en général, et pour le Ghana en particulier. Bevan et al. (1999) présentent le cas des dirigeants politiques Nigérians. Acemoglu et al. (2003), développent le cas des politiciens Argentins et ceux d’autres pays d’Amérique latine27.

Dans ces différents pays, pour ces différents auteurs, les politiques économiques distorsives sont mises en oeuvre dans le but de se maintenir au pouvoir et dans un contexte de faiblesse des institutions politiques. Ces exemples sur des pays spécifiques, permettent de

27 Acemoglu et al. (2003) soutiennent aussi que pour des raisons politiques, au Pérou le président Garcia (1985-1990) a décidé d’une augmentation des salaires dans la fonction publique qui a entraîné un doublement du déficit public qui était passé de 4,4% du PIB en 1985 à 9,9% du PIB en 1987. Au Chili le président Allende (1970-1973) en 1971, pour des raisons politiques aussi a décidé d’une augmentation de 37% à 41% du salaire des ouvriers, ce qui entraîna une hausse du déficit public de 3% à 10% du PIB.

90 renforcer l’argument selon lequel, la démocratie est un système politique dans lequel les dirigeants politiques ne devraient pas pouvoir mettre en oeuvre des politiques économiques distorsives et ce, pour au moins trois raisons évoquées dans la littérature.

D’abord en démocratie, normalement les dirigeants politiques sont soumis à des contraintes institutionnelles qui les empêchent de mettre en oeuvre toutes les politiques économiques qui les favorisent personnellement aux dépens de la majorité de la population. Un tel argument est évoqué par Acemoglu et al. (2003), et surtout par Rodrik (1999) qui soutient qu’en démocratie le choix de politiques économiques est issu normalement d’un consensus politique, ce qui limite la marge de manœuvre des dirigeants politiques à poursuivre des politiques économiques qui favorisent exclusivement leurs camps politiques. Ce faisant, des politiques économiques distorsives ont normalement moins de chance d’être mises en oeuvre dans les pays démocratiques à moins que ce soit la volonté de l’ensemble de la classe politique.

Ensuite, en démocratie, les dirigeants politiques mettent périodiquement en jeu leurs mandats à travers les élections. Dans cette situation, les dirigeants politiques n’ont aucun intérêt à poursuivre des politiques économiques distorsives susceptibles d’affecter négativement le bien être de la population au risque d’être sanctionnés lors des consultations électorales. De ce fait, la démocratie exercerait un effet dissuasif sur les dirigeants politiques pour la mise en œuvre de politiques distorsives. Un tel argument se retrouve chez Rodrik (1997) qui soutient qu’en démocratie, le choix de politiques économiques reflète les préférences de l’électeur médian.

Enfin, Person et al. (1997) soutiennent que la séparation de pouvoir entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif entraîne de la discipline réciproque des deux pouvoirs et les rend tous responsables à l’égard du peuple, en matière de choix de politiques économiques. Ainsi, le peuple est protégé d’un abus de pouvoir de la part des politiciens. En suivant la logique de ces auteurs, la mise en oeuvre de politiques économiques distorsives peut être perçue comme un abus de pouvoir et qui risque de ne pas exister dans un régime démocratique.

Théoriquement, il apparaît donc que les régimes démocratiques sont ceux qui poursuivraient des politiques économiques moins distorsives, empiriquement un tel résultat est obtenu par certains auteurs. A cet effet, nous citons le travail de Satyanath et al. (2004, 2007) qui montrent sur un échantillon de pays développés et pays en développement qu’à long terme, la démocratie est le déterminant le plus robuste de la stabilité macroéconomique -maîtrise de l’inflation-. De même Hamann et al. (2002), à travers 51 épisodes de stabilisation

91 réussie du taux d’inflation, montrent que la démocratie est l’un des facteurs qui contribuent à cette stabilisation. Enfin, Acemoglu et al. (2003) montrent que les politiques distorsives, les crises économiques, et les faibles taux de croissance ont leur profonde cause dans la faiblesse des institutions démocratiques.

3.1.2 Des institutions de régulation pour une croissance soutenue

Les coûts liés à la création d’une nouvelle entreprise et de réalisation des transactions économiques et financières, lorsqu’ils sont trop élevés peuvent constituer un handicap au développement de l’investissement privé. Ainsi, ces coûts peuvent constituer un obstacle à la CES. Nous soutenons alors, que des institutions assurant une régulation efficace des activités économiques sont nécessaires à la soutenabilité de croissance en permettant le développement de l’investissement privé. Par régulation efficace des activités économiques, nous entendons

une régulation réduisant les défaillances publiques et des marchés, tout en assurant un bon fonctionnement de ces derniers. Ainsi, une régulation efficace devrait réduire les protections

accordées aux entreprises les moins efficaces, tout en favorisant l’entrée sur le marché des investisseurs dynamiques et innovateurs. De même, une régulation efficace devrait réduire les coûts de transactions économiques et financières pour les entreprises qui opèrent déjà sur les marchés. Ce faisant, une régulation efficace accroît les rendements des investissements, incite les entreprises privées à saisir des opportunités favorables existantes dans l’économie.

En soutenant qu’une régulation efficace des activités économiques est nécessaire au développement de l’investissement privé, notre argument va dans le sens de celui défendu par Stigler (1971), McChesney (1987) et De Soto (1990), auteurs partisans de « public choice theory of regulation »28. Pour Stigler (1971) les entreprises privées déjà présentes sur le marché peuvent offrir aux décideurs politiques des avantages sous forme de financements de partis politiques, de campagnes, et de voies électorales pour recevoir en retour une protection de leurs marchés grâce à une forte régulation de la création de nouvelles entreprises. Dans ce cas la demande d’une forte régulation provient des entreprises déjà présentes sur le marché. Quant à McChesney (1987) et De Soto (1990), ils soutiennent que les politiciens régulent les activités économiques dans le but de créer des situations de rente et de les exploiter sous forme de financements de partis politiques et de campagnes électorales perçus de la part des

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Par contre, Pigou (1938) avec « public interest theory of regulation » se base sur l’existence des défaillances du marché (les externalités négatives comme la pollution, les positions de monopole sur les marchés) pour faire de l’intervention publique sous forme d’une forte régulation des activités économiques, une nécessité pour corriger ces défaillances et assurer un bon fonctionnement de l’économie. Pour une présentation et un test empirique des différentes théories de la régulation, voir Djankof et al. (2001, 2002).

92 entreprises existantes sur le marché. Dans ce cas, les décideurs politiques offrent de la régulation aux entreprises déjà présentes sur le marché dans le but de recevoir des compensations financières pour le développement de leurs activités politiques.

Sur le plan empirique, Nicoletti et Scarpetta (2006) montrent qu’une régulation flexible du marché des biens dans les pays de l’OCDE favorise le développement de l’investissement domestique et étranger dans ces pays. De même Besley et Burgess (2004) montrent que les Etats indiens qui ont modifié la loi sur la réglementation du marché du travail en faveur des travailleurs, sont ceux qui enregistrent une faible croissance de l’investissement, de la production, de l’emploi et de la productivité dans le secteur manufacturier formel. Plusieurs autres travaux montrent que la différence de régulation du marché du travail explique la différence de performances économiques au sein des pays de l’OCDE (voir Freeman, 1988 ; Blanchard, 2003 ; Nickell et Layard, 2000).

Ainsi théoriquement et empiriquement, il existe des fondements qui nous permettent de soutenir qu’une régulation efficace des activités économiques favorise le développement de l’investissement privé. En favorisant le développement de l’investissement privé, une régulation efficace des activités économiques est favorable à la CES grâce à la hausse de la PGF.

3.2.2 La protection des droits de propriété privée pour une CES

Les investisseurs privés en décidant d’investir se préoccupent du montant de la richesse qu’ils vont créer d’une part, et d’autre part de la possibilité de jouir de cette richesse. Ce sont les deux conditions préalables pour l’existence d’une activité économique privée, et si elles ne sont pas réunies, il peut avoir un sous investissement. Des institutions assurant la protection des droits de propriété privée sont donc nécessaires au développement de l’investissement privé et à la soutenabilité de la croissance. Lorsque la protection des droits de propriété privée est garantie, la crainte des investisseurs privés relative aux difficultés de jouir des fruits de leurs investissements se réduit. Ceci entraîne une augmentation de l’investissement privé, de la PGF et une croissance économique soutenue.

Théoriquement, Demsetz (1967), et Alchian et Demsetz (1973) soutiennent que la protection des droits de propriété privée est une incitation positive pour le développement de l’investissement privé. North et Thomas (1976), North (1981), et Jones (1981) montrent que la protection des droits de propriété privée permet une meilleure allocation des ressources économiques.

93 Sur le plan empirique, à travers une étude dans deux villages du Ghana, Besely (1995) trouve que la protection des droits de propriété privée accroît le taux d’investissement des paysans sur leurs parcelles de terre. De même Johnson et al. (2002), sur un échantillon d’ex-pays communistes d’Europe, montrent que la protection des droits de propriété privée est une condition nécessaire et suffisante pour le développement de l’investissement privé dans ces pays. Enfin, Svenson (1998) montre que dans un environnement d’instabilité politique et de polarisation sociale, les dirigeants politiques ont une faible incitation à assurer la protection des droits de propriété privée, ce qui entraîne un faible développement de l’investissement privé.

Comme Rodrik (2005), nous soutenons donc que de « bonnes » institutions sont nécessaires pour une CES. De « bonnes » institutions réduisant le coût des investissements et

garantissant l’appropriation du fruit des investissements, sont nécessaires pour l’augmentation de l’investissement privé et de la PGF. L’augmentation de la PGF améliore la compétitivité économique qui est un facteur nécessaire à la soutenabilité de la croissance.

Notre raisonnement théorique se résume schématiquement comme suit :

Ce raisonnement implique une séquence suivante des décisions :

1. À l’instant t, les investisseurs privés dans un pays observent le taux de croissance économique. Si le taux de croissance est positif, ceci est révélateur de l’existence d’opportunités favorables pour les investisseurs privés.

2. Les investisseurs privés prennent en compte le niveau de qualité des institutions avant de décider de saisir ou non ces opportunités favorables. Ils ont besoin d’être garantis que les institutions en place leur permettent de créer beaucoup de richesse et de s’approprier une part importante de cette richesse issue de leurs investissements. 3. Lorsque les investisseurs privés décident de saisir les opportunités favorables en augmentant leurs investissements, ils affectent positivement le niveau de productivité des facteurs et de compétitivité de l’économie. Ce faisant, la probabilité d’une croissance économique soutenue augmente.

Bonnes institutions → Hausse de l’investissement privé → Augmentation de la PGF → Gain de compétitivité économique → Croissance économique soutenue

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