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Chapitre 4 : Discussion

4.2 L’innovation dans les projets de verdissement

4.2.3 Institutionnalisation

Un autre point mérite d’être considéré dans l’analyse de l’innovation, soit l’apparente institutionnalisation des projets. Alter reprend Schumpeter pour décrire le processus d’évolution d’une innovation : la transgression par un individu d’une norme, la reprise de cette innovation par d’autres et sa transformation finale en la nouvelle norme dans le domaine (Lebeaupin 2010, 3). Ainsi, à la fin du cycle, une bonne part du processus de mise en place des innovations a été officialisée dans des règlements ou encore des procédures établies. Il était aussi pensé au départ que les organisations communautaires elles-mêmes pourraient avoir en quelque sorte institutionnalisé leurs actions en répétant maintes fois les mêmes pratiques et procédures.

D’emblée, les processus de création de ruelles vertes (cinq projets) se classent comme institutionnalisés, ayant été normés par les arrondissements ou les organisations communautaires à travers le temps. De ces projets de ruelles vertes, l’on retrouve trois des quatre projets jugés non innovants, ainsi que deux projets mis en œuvre avec des pratiques innovantes. Les entretiens ont confirmé que les intervenants de ce type de projet utilisent sensiblement le même processus année après année pour assurer la concrétisation des intentions. En effet, modeler leurs projets selon leurs expériences passées consisterait pour les interviewés en une stratégie pour diminuer les contraintes rencontrées lors de la mise en place, surtout pour les organisations qui doivent livrer annuellement des résultats (que cet objectif soit organisationnel ou imposé par un partenaire ou un bailleur de fonds). Cette stratégie présente certes un intérêt, les intervenants n’ayant pas besoin d’innover puisqu’ils connaissent d’avance les contraintes et les normes avec lesquelles ils doivent traiter. Toutefois, en reproduisant les expériences passées, les intervenants semblent réticents à amener des éléments innovants ou originaux dans la forme et le processus des projets; ces réticences reposent parfois sur de simples appréhensions d’une contrainte à venir ou d’une modification des pratiques, et pas seulement sur de mauvaises expériences vécues. Ainsi, la reproduction des expériences passées peut constituer une stratégie d’intérêt pour assurer la réalisation des projets, mais elle semblerait avoir une influence sur le goût d’innover des intervenants.

Aucun autre type de projet n’est apparu institutionnalisé. De plus, à deux exceptions près, tous les projets utilisant des stratégies innovantes se classent comme non institutionnalisés. Ces projets possèdent d’ailleurs une caractéristique commune : un financement qui ne se limite pas à l’arrondissement et qui contient dans son montage des enveloppes de divers grands programmes. Ainsi, bien que les appels de projets de grands

bailleurs de fonds réduisent l’autonomie de planification des organisations, ce fonctionnement force les groupes communautaires à inventer de nouveaux projets à soumettre et à se renouveler. Bien que le financement soit orienté sur certaines thématiques de travail et prive la création de projets dans des créneaux moins à la mode, il apparaîtrait tout de même que ces appels de projets sont des aides à l’éclosion de projets innovants.

Mandat éco-quartier

Qu’en est-il du mandat éco-quartier? Est-ce une plate-forme pour des projets innovants, ou est-ce que les actions des organismes porteurs de ce programme se font institutionnaliser et s’enlisent dans du confort? Germain et ses collègues mentionnaient dans un article sur le milieu associatif montréalais que l’institutionnalisation et la territorialisation des éco-quartiers leur faisaient perdre de l’autonomie ainsi que leur capacité à lutter et à revendiquer pour l’amélioration des conditions sociales (Germain, Morin et Sénécal 2004). En effet, compte tenu de l’origine municipale de ce financement accordé à des organisations environnementales, il semble pertinent de se questionner sur l’influence de ce soutien sur les organisations qui le reçoivent et sur la relation qu’ils entretiennent avec leur arrondissement. Schumpeter aborde dans ses écrits le risque pour un individu qui cesserait d’innover de ne devenir qu’un gestionnaire de programme ou de norme (Schumpeter 1991, 1946 cité par Lévesque 2002). Il est vrai que les quatre projets non innovants sont portés par des organismes détenant la subvention éco-quartier. Dans trois de ces situations, les intervenants communautaires semblent avoir diminué l’implantation d’éléments ou de stratégies innovantes pour se concentrer à la gestion du programme et à la réalisation annuelle de projets. Par ailleurs, des quatre projets portés par des organisations environnementales ne disposant pas du programme éco-quartier, deux figurent parmi les innovants tandis que les deux autres sont mis en place avec des stratégies innovantes. Cela amène à penser que ce type d’organisation plus indépendante dispose de davantage de marge de manœuvre et d’autonomie dans la création et la mise en œuvre de sa programmation d’activité que les éco-quartiers. Toutefois, six autres organisations rencontrées détenaient ce programme, ce qui ne les a pas empêchées de réaliser des projets contenant des pratiques innovantes. Tous considéraient ce financement comme une base et travaillaient à construire leurs propres projets et leur montage financier en répondant à des appels de financement variés. Il ne tient qu’à ces organisations de conserver leur autonomie de planification, de saisir les occasions de financement appropriées et de mettre en œuvre des idées plus audacieuses.

Si l’on tourne le regard vers les arrondissements, quatre projets semblent sous- contractés aux éco-quartiers à qui sont données les ressources minimales nécessaires ainsi que les limites et procédures à respecter. Alors que l’on pourrait conclure à une instrumentalisation de la part des arrondissements et à du verdissement délégué, trois intervenants rencontrés tournaient cette situation à leur avantage. Dans leur cas, des engagements politiques des élus ou des administrations les rendaient dépendants des groupes environnementaux, principal instrument pour l’atteinte de ces engagements. L’interdépendance entre les acteurs permettait alors une situation de travail où la négociation était possible, avec une meilleure communication et collaboration. Dans l’un des cas, cette situation négociée et collaborative prit un certain temps à se mettre en place, les manières de faire de l’arrondissement ne s’étant pas ajustées dès le départ. Face au constat que ces manières de faire ne mèneraient pas à l’atteinte de l’engagement, une priorisation des projets de verdissement à l’interne s’est effectuée et une personne compétente et motivée fut mise en charge. L’organisation ne fut tout de même pas en mesure d’utiliser des stratégies innovantes, contrairement aux deux autres situations, qui se classent comme ayant des pratiques innovantes (projets stratégiques). Dans ces deux autres situations, des contestations d’exigences jugées excessives et l’application molle de demandes et de règlements montrent que les chargés de projet disposaient d’une marge de manœuvre et d’une certaine indépendance face à l’arrondissement.

Ainsi, les informations recueillies ne permettent pas de conclure que le programme éco- quartier spécifiquement est une plate-forme d’innovation. Chose certaine, les organismes détenant cette subvention sont en mesure d’innover dans leurs pratiques et leurs stratégies et la plupart saisissent l’occasion. Rappelons que même les processus institutionnalisés présentent des avantages pour les organisations, réduisant les contestations de la population par une standardisation des interventions. L’instrumentalisation même des organisations peut être tournée comme un avantage si un engagement politique existe, créant ainsi une interdépendance et une situation de collaboration. Concluons en mentionnant que l’institutionnalisation d’un processus de mise en place n’est pas un gage de non-innovation puisque deux des cinq projets dans cette catégorie ont réussi à mettre en place des stratégies innovantes malgré tout.