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Chapitre 2 : Cadre d’analyse et méthodologique

2.1 Cadre conceptuel

2.1.1 Contrainte

La conception de contrainte tire ses racines dans la théorie structuro-fonctionnaliste de la sociologie des organisations. Cet aspect de la théorie, particulièrement développé par Talcott Parsons, stipule que les acteurs agissent dans un monde qui est structuré et normé afin d’encadrer les interactions des individus. Les règles posent ainsi des conditions à l’action et guident les comportements et les pratiques (Bernoux 2009). L’ensemble des sphères de la société est régi par de telles règles, qui ne sont pas forcément écrites. En effet, en plus des règlements juridiquement reconnus, il existe des normes sociales qui représentent des consensus ou des valeurs partagées par les acteurs d’une même sphère d’activité. Ces règles écrites et celles qui sont informelles constituent donc un cadre d’action. Goffman aborde cette notion de cadre lorsqu’il décrit les interactions sociales : il existe des règles, des codes et des rituels que les individus utilisent et qui forment le cadre, la base des interactions (Bonicco 2007). L’acteur est souvent dénué de prise sur ces règles et ces normes qui forment le cadre et qui lui sont imposées. L’acteur et la société reconnaissent et partagent ces normes, ce qui les amène à les intégrer, les intérioriser. L’individu agit ainsi à l’intérieur de ce cadre qui le guide dans la réalisation de ses actions. Il est toutefois libre de choisir les moyens à utiliser pour atteindre ses buts et de tenter de contourner ou de contester le cadre qui le régit.

Le sociologue Simmel parle quant à lui de formes sociales, lesquelles sont la « cristallisation des actions antérieures » (Lebeaupin 2010, 17). Ces actions sont celles qui sont socialement acceptées, qui ont prouvé un certain niveau de satisfaction de la part des différents

acteurs. Il identifie d’ailleurs l’organisation du travail, les relations interpersonnelles ainsi que la conception du travail bien fait comme faisant partie de ces formes cristallisées, lesquelles résistent aux transformations.

Quelques autres fondements théoriques furent observés, mais écartés en raison de leur inadéquation avec le contexte. La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud est l’une d’elles, abordant les contraintes par le concept de régulation. Celles-ci se construisent dans l’interaction entre les différents groupes. Ce sont les acteurs, par la discussion et la négociation, qui construisent les règles du jeu qui régiront leur travail et ces acteurs décident volontairement d’y adhérer; il n’y a donc pas d’imposition de règles par le système ou la société sur l’action des acteurs, tel que le stipule la théorie structuro-fonctionnaliste (de Terssac 2012, 6).

La théorie de la régulation sociale identifie donc trois types de régulation (Lebeaupin 2010, 23; Reynaud 1988). En premier lieu, la régulation autonome assure le bon fonctionnement interne d’un groupe. Les règles qui y sont associées peuvent être explicites ou encore informelles, non dites; elles régissent tout de même les comportements au quotidien. En second lieu, une régulation de contrôle peut être exercée par un groupe externe à un autre sur ses activités. Cela peut se traduire dans une relation hiérarchique, mais « une dépendance fonctionnelle peut créer des relations du même type » (Reynaud 1988, 11). Les acteurs soumis à de telles régulations auront tendance à interpréter les règles de contrôle, à s’en approprier certains éléments tout en en contestant d’autres afin de faire valoir leur désir d’autonomie. Finalement, la négociation entre deux groupes engendre une régulation conjointe qui montre la convergence des intérêts et des besoins de ces groupes. Elle constitue donc un compromis entre la situation de travail réel et ce qui serait prescrit de faire. L’ajustement des procédures de régulation et de contrôle aux pratiques informelles créées pour s’y adapter variera en fonction de l’ouverture des acteurs en contrôle à la négociation par rapport à ces régulations. De Terssac aborde la nécessité de s’entendre sur une régulation sociale dans le contexte où les acteurs sont interdépendants (de Terssac 2012, 10).

Face aux recherches documentaires effectuées sur les projets de verdissement montréalais, plusieurs éléments de la théorie de la régulation sociale ne semblaient pas convenir à la réalité vécue. Tout d’abord, les interactions entre les groupes en jeu n’étaient pas perçues comme égalitaires, et l’existence d’un espace pour la discussion et la négociation des règles n’apparaissait pas certaine. Au contraire, des règles claires existent et doivent être respectées dans l’action d’aménagement de l’espace urbain et dans l’utilisation du financement

accordé. Les groupes externes que constituent les arrondissements, les institutions et les bailleurs de fonds imposent donc cet ensemble de règles aux organismes environnementaux qui, bien souvent, ne semblent pas détenir de position de pouvoir qui leur permettrait de négocier ces règles. Cette différence d’influence fut d’ailleurs soulignée par le sociologue Norbert Alter dans sa critique de la théorie de Reynaud (Lebeaupin 2010). L’interdépendance entre les acteurs n’est donc pas garantie; les acteurs communautaires ne sont pas essentiels à leurs partenaires bien souvent, ni les projets qu’ils entreprennent, ce qui expliquerait qu’ils soient donc soumis au cadre de contraintes, et doivent apprendre à composer avec elles.

Un élément retenu de cette théorie est toutefois l’existence d’une règle effective, celle appliquée sur le terrain bien qu’elle ne soit écrite nulle part. Elle ne supplante pas la règle de droit, mais représente cette règle retravaillée pour être applicable dans le contexte d’action (de Terssac 2012). Il est attendu que les groupes disposent de telles règles avec leurs partenaires, notamment les instances municipales.