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Influence du patron sur les propriétés de la nominalisation : le rôle de

3. LES NOMS DEVERBAUX DANS LA THEORIE SYNTAXIQUE DE LA

3.2. Architecture grammaticale des nominalisations

3.2.2. Influence du patron sur les propriétés de la nominalisation : le rôle de

Les dérivés affixaux (dérivés « lexicalement » selon Chomsky 1970), corrélativement à la présence d’un affixe nominalisateur, préfèrent la modification adjectivale à la modification adverbiale. Une partie des nominalisations, qui ne sont pas affixales à proprement parler, manifestent les propriétés inverses. L’un des fils rouges de ma recherche, de [1] (Soare 2007) à [14] (Soare 2013a), était de montrer que cette distinction se comprend justement à travers la présence où l’absence d’un affixe nominalisant. Cette intuition a pris des formes de plus en plus articulées et précises d’un point de vue formel, notamment à partir de [4] (Iordăchioaia & Soare 2008).

Les propriétés des déverbaux dérivés par affixation dépendent en effet de la position où l’affixe est généré (en position de tête, au niveau Class, dans une position de spécifieur), mais une distinction plus tranchante est à faire entre déverbaux affixés et déverbaux sans affixe nominalisateur, nominalisés par l’intermédiaire d’un D, qui se combinent avec une structure purement verbale.

Mes recherches, en continuité de la littérature syntaxique sur les nominalisations – cf. entre autres (Roeper 2005), contribuent à la vision selon laquelle les affixes introduisent des informations pertinentes au niveau grammatical et déterminent leur interpétation. L’un des apports principaux des affixes nominalisateurs est d’introduire l’information catégorielle, et c’est là un point sur lequel il y a un large consensus dans la littérature. Justement, comme nous l’avons vu ci-dessus, les approches de type « VP dans NP » s’accordent sur le fait que l’affixe nominalisateur, de catégorie N, se combine avec un domaine de nature verbale. Concernant le mécanisme par lequel l’information catégorielle est contribuée dans la structure, le consensus est moins évident, mais en général, par un moyen ou un autre, on arrive à la conclusion que l’affixation est celle qui a pour effet la catégorisation, et le résultat peut être représenté de manière générale comme ci-dessous:

(41) n/N [-tion/-ment/-eur…] + VP

Le trait catégoriel n, en revanche, n’est pas toujours le seul contribué par l’affixe. Comme on vient de le voir dans la section précédente, ces affixes peuvent introduire en même temps des informations sur la nature du procès (auquel cas ils seraient générés sous Asp/Ev et ensuite déplacés à dans un niveau n/N pour vérifier leurs traits catégoriels comme dans le cas de -tion) ; ou bien, dans le cas de l’affixe –eur, ils réalisent l’argument externe du procès verbal, par un mécanisme qui lui-aussi peut varier d’un cadre à l’autre20, et ensuite se déplacent sous n/N pour les mêmes raisons.

20 Chez (Schäfer 2011), -er introduit un argument référentiel (réminiscent de Grimshaw et Williams) qui, par un mécanisme de linking, est identifié comme l’argument externe dans le cas des

Dans une vision plus articulée, donc, n/N est combiné à des niveaux verbaux plus détaillés ; la nominalisation aura des propriétés différentes selon la structure nominalisée.

Une autre identité que l’on a donnée à cet élément de la structure est celle de classifieur ou classificateur ; (Picallo 2006) insiste sur l’importance de la présence de la catégorie de Genre, que ce niveau de ClassP est censé abriter, dans la projection de la catégorie de nombre. Si ce niveau Class fait défaut, alors le genre fait défaut, et le nombre également.

Si la structure générale d’un DP est la suivante (admise comme point de départ dans [4]-[6]-[14](Iordăchioaia & Soare 2008; Alexiadou, Iordăchioaia & Soare 2010; Soare 2013a)):

(42) DP>QP>NumP>Class/n/GenP… ,

alors le critère distinctif de la présence des catégories typiquement nominales est donné par la présence de flexion de nombre (singulier/pluriel), et la possibilité de la modification adjectivale.21

Comme nous l’avons vu, la présence des niveaux catégorisants ne fait pas consensus dans les approches syntaxiques à la formation des mots ; (Alexiadou 2001) ne les utilise pas, et ils sont par principe absents dans le format de Borer. Or, un résultat de mes recherches à partir de [1] (Soare 2007) et seq., était d’admettre, à la différence de tous les approches syntaxiques à la formation des mots, qu’il existe des patrons de nominalisation qui comportent des niveaux catégorisants dans la structure, et d’autres qui n’en comportent pas. Dans mes travaux consacrés à la nominalisation du supin roumain, j’avais justement proposé que cette forme est dépourvue d’affixe nominalisateur, la nominalisation étant réalisée par défaut à travers la combinaison du déterminant avec un thème participial (pour laquelle j’avançais l’hypothèse d’une nature aspectuelle), d’où ses propriétés verbales plus marquées. J’avais tiré de là l’idée qu’il faut distinguer entre deux grands types de patrons de nominalisation, avec affixe nominalisateur et sans affixe nominalisateur, qui mèneraient à des propriétés nominales plus typiques dans le premier cas, et défectives dans le second cas.

Cette distinction est soutenue en particulier par la comparaison entre la nominalisation de l’infinitif et celle de supin en roumain. J’ai développé cette hypothèse dans une étude plus poussée des propriétés aspectuelles de ces deux nominalisations, sur lesquelles je reviendrai au Chapitre 4 ; l’idée essentielle est la suivante :

(43) La nominalisation par affixation implique la présence d’un niveau Class/nP et détermine la nature plus nominale ou plus verbale du résultat.

nominalisations agentives. Dans [11] (Roy & Soare 2013b), l’affixe lie un élément (probablement une catégorie vide) qui se situe position argumentale, Spec Asp-Ev.

21 Dans une approche cartographique à la Cinque, les différents types d’adjectifs qu’une projection nominale peut accueillir suivent un schéma linéaire rigide, en fonction d’une séquence bien définie de catégories fonctionnelles.

(44) Patron verbal – le supin nominal DP>AspP>VP

(45) Patron nominal – l’infinitif nominal DP>NumP>nP>VP

Ces deux patrons se distinguent justement par l’information de nombre, absente dans le premier cas et présente dans le second, alors que les deux nominalisations passent tous les tests événementiels.

(46) a. L’infinitif nominalisé:

a cînta: cînta–r –e/cîntă–r–i chanter: chant.INF.F.Sg/chant.INF.Pl

a conduce: conduce–r–e/conduce–r–i conduire: condui.INF.F.Sg/condui.INF.Pl b. Le supin nominalisé:

a cînta: cînta–t/#cînta–t–uri chanter: chant.SUP/chant.SUP.Pl a conduce: condu-s/#condu-s-uri conduire: condu.SUP/condu.SUP.Pl

(47) a. interpretatul/*interpretaturile acestui rol de către diverși actori [CEN] interpréter.SUP.Sg/interpréter.SUP.Pl ce.GEN rôle par divers acteurs

(48) a. interpretările acestui actor sînt memorabile [RN] interpréter.INF.Pl cet.GEN acteur sont mémorables

b. interpretările acestui rol de către diverşi actori i-au schimbat stilul [CEN] interpréter.INF.Pl ce rôle.GEN par divers acteurs Cl.ont changé style.le

Comme on le verra au prochain chapitre, le patron nominal est également associé avec le trait comptable, la modification adjectivale, les déterminants discrets, etc. tandis que le patron ‘verbal’ a les propriétés inverses, présentant en plus des propriétés aspectuelles bien spécifiques.

Dans la première classe (patron verbal) se laissent ranger respectivement le gérondif ‘verbal’ anglais, le supin roumain, l’infinitif nominalisé en italien et espagnol (type (44)). Dans la seconde classe (patron nominal), on a tous les dérivés du type –tion/-age/-ment dans les langues romanes, qui acceptent une lecture de type événement complexe. Dans le premier cas on a ce que l’on appelle en morphologie des « convertis » : un thème verbal (participial) est directement nominalisé par l’insertion dans un contexte nominal – à savoir, le D°, qui est un nominalisateur par défaut à travers les langues. L’absence du nombre morphologique, traduite par l’absence de la projection fonctionnelle de Nombre, est donc attendue ; et les informations aspectuelles qui se manifestent, sont également expliquées par la nominalisation par défaut d’AspP, comme je l’ai proposé pour le supin roumain depuis [1], [2] (Soare 2007, Soare & Mardale 2008), et seq.

D’un autre point de vue, ces deux patrons de nominalisation semblent correspondre à un modèle ‘grammatical’ et à un modèle ‘lexical-affixal’, suggérant une distinction paramétrique de type lexical/grammatical au sein des nominalisations, dans l’esprit des travaux de (Chomsky 1970), (Picallo 1991), etc. Cependant, je conçois toutes les opérations de formation des mots comme étant purement syntaxiques et appartenant au même titre à la grammaire; la différence ici n’est pas entre lexical et grammatical, mais entre des niveaux dans la structure. L’affixe nominalisateur ‘nominalise’ parce qu’il assure les conditions d’une structure nominale, à savoir les traits de genre et les traits ±comptable. La présence en revanche de niveaux ‘verbalisants’ a les conséquences inverses ; les nominalisations ‘grammaticales’ sont du coup des nominalisations d’une structure verbale directement par D. Voilà dans quel sens certaines nominalisations seraient plus ‘grammaticales’ que d’autres.

Dans le prochain chapitre, le deuxième consacré aux nominalisations, j’aborde dans le détail la thématique du nombre et de l’aspect dans des nominalisations appartenant aux deux patrons respectivement, et je présente dans le détail les arguments, basés au départ sur la comparaison entre supin et infinitif nominalisés en roumain, que j’ai apportés en faveur d’une théorie syntaxique des nominalisations événementielles où les propriétés typiquement nominales proviennent de la projection ou non d’un niveau Class, et par conséquent Nombre.

La présence de la catégorie de Nombre est également manifeste pour les noms en –eur ; ceci confirme l’intuition que la dénotation d’individu (si l’on veut, l’introduction d’un ‘indice référentiel’ dans les termes de (Baker 2003)) a pour conséquence de conférer une nature plus nominale à ces noms, qui n’acceptent pas les adverbes ni les PPs (les CENs comme ceux en -tion, d’autre part, en règle générale, seraient moins nominaux parce qu’ils acceptent les PP). Mais en revanche, les noms en –eur préservent des propriétés d’événement grammatical, identifiées notamment par la nature de la modification adjectivale et par la structure argumentale obligatoire – cf. [11] (Roy & Soare 2013b) et prochaine section. On voit petit à petit, à travers ces contributions, se dessiner une échelle où les propriétés nominales et verbales sont graduellement distribuées entre différents déverbaux, et à laquelle correspondent des interprétations différentes de la notion d’éventualité. Au sein des divers déverbaux affixés, la présence des catégories nominales n’est pas incompatible avec la présence d’un événement grammatical, mais les propriétés héritées ne sont pas les mêmes ; elles se limitent à la structure argumentale et à des propriétés aspectuelles de type lexical.