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Des diverses manières de dénoter un événement

3. LES NOMS DEVERBAUX DANS LA THEORIE SYNTAXIQUE DE LA

3.3. Sources de l’interprétation événementielle

3.2.3. Des diverses manières de dénoter un événement

Revenant maintenant aux problèmes, en partie similaires, posés par les noms d’événements simples et par les noms agentifs à une théorie unifiée des déverbaux événementiels, une observation importante est à faire, à savoir que les tests utilisés pour l’éventivité ne sont pas de la même nature. Il faut distinguer ceux qui identifient la dénotation événementielle, comme la possibilité de se combiner à un prédicat du type durer x temps ou avoir lieu, d’une part, et des tests qui identifient la structure événementielle, comme la structure argumentale et les modifieurs aspectuels qui eux, se rattachent à la nominalisation à certains niveaux de la structure, et ces niveaux doivent être de nature verbale.

Les premiers contextes identifient un événement faible ou conceptuel, tandis que les derniers identifient un événement fort ou grammatical. De ce pas, il ne s’agit nullement d’une dispute entre le point de vue syntaxique et le point de vue sémantique sur la notion d’événement dans les nominalisations, mais bien d’une source différente, et d’une nature différente de la dénotation événementielle. Les événements « simples » sont des objets abstraits au même titre que les objets dénotés par les noms comme table ; on ne doit pas être surpris de trouver que les prédicats avec lesquels ces noms se combinent ne sont pas les mêmes.

24 Je reviendrai sur la question de l’héritage de l’aspect, celle de la lecture dispositionnelle et de la généricité dans les noms déverbaux et dans les phrases au Chapitre 4. Le but de cette section est d’approfondir des questions générales liées à la dénotation événementielle des déverbaux et ce qu’elle nous dit sur leur analyse d’ensemble.

Si l’on doit maintenant distinguer, d’un point de vue sémantique, les noms dénotant des objets abstraits qui sont des événements (sans une structure évènementielle sous-jacente), et les noms dénotant des événements ‘forts’, on doit rendre compte de la manière précise dont la dénotation d’événement prend naissance. D’autre part, on doit également inclure dans le champ d’étude les noms reliés à des événements mais qui dénotent des entités, comme le sont les noms agentifs. Roy & Soare (2013b) proposent un système pour rendre compte, en termes sémantiques, de ces diverses dénotations.

On peut en effet faire sens de ces différences si l’on adopte l’idée que dans les différents types de nominalisation, l’interprétation va dépendre des propriétés des affixes nominalisateurs à l’œuvre. Dans le cas des noms en –eur, le suffixe est associé avec une dénotation de type individu, alors que pour les noms comme les déverbaux en –tion, le suffixe est associé à une dénotation événementielle.

Les AS-Ns en –tion sont donc dérivés avec un affixe nominalisateur qui introduit une variable événementielle. Elle est contribuée dans la structure par une tête Asp – conformément au cadre de Borer adopté dans ce travail25. Dans une structure fonctionnelle comme ci-dessous, la variable la plus haute qui se retrouve au niveau NP est une variable d’événement ; le résultat étant que le nom dans son ensemble va avoir la dénotation d’événement complexe.

(65) AS-nominals (-tion) : NP>N> F(Asp/Ev)P>VP …

En revanche, dans les noms ‘agentifs’, le suffixe –eur introduit un argument externe ; la variable la plus haute disponible au niveau NP est une variable d’individu. En revanche, on retrouve la structure fonctionnelle des ASNs à l’intérieur (à savoir, présence de la tête Asp-Ev) ; mais la variable événementielle est liée par un autre mécanisme, la quantification sur les événements.

On obtient ainsi un système dans lequel on peut avoir deux types de noms reliés à des événements, les noms en –eur qui dénotent des individus participants à un événement, et des noms en –tion, entre autres, qui dénotent le procès lui-même. Les deux classes de noms partagent une structure grammaticale événementielle, mais en vertu de la nature différente de la variable introduite en dernier par le processus de nominalisation, la dénotation d’ensemble est différente.

(66) AS-nominals (e.g., -ation)

[NP [N -ation <v,t> ] [AspEvP DP [AspEv -ation [AspQP DP [rootP ]]]]] (67) Eventive -er (French; English)

[NP [N –er <e> ] [AspEvP -er [AspEv <v,t> [AspQP DP [rootP ]]]]]

D’autre part, les noms d’événement simple sont des noms simples référentiels, qui dénotent des événements conceptuels – c’est-à-dire des objets abstraits ; ils ont la même structure que les R-Ns (dont les noms en –eur instrumentaux) et ne comportent aucune variable d’événement.

(68) [NP [N ] [rootP ]]

Les propriétés des différentes classes de déverbaux par rapport aux modifieurs aspectuels prépositionnels sont expliquées par une contrainte sur l’application de la règle de modification des prédicats (Predicate Modification, (Heim & Kratzer 1998)). Ces modifeurs étant des adjoints qui suivent cette règle, ils doivent respecter le type du prédicat avec lequel ils se combinent : ils peuvent par conséquent seulement s’adjoindre aux AS-Ns processifs, de type <v,t>.

(69) a. la destruction de la ville par l’ennemi (en trois jours)

b. NP

ep NP<v,t> PP<v,t>

V 4

N AspEvP en trois jours

! V -tion<v,t> DP AspEv’ V AspEv AspQP V DP … destruct- (70) a. le constructeur de la cathédrale (*en trois jours)

b. *NP

ep NP<e> PP<v,t>

V 4

N AspEvP en trois jours

! V

-eur<e> DP AspEv’ V

AspEv AspQP

V DP …

construct-

Dans les représentations ci-dessus, on voit que l’adjonction des modifieurs aspectuels suit les contraintes de localité de la règle de Predicate Modification.

Si en revanche des modifieurs d’événement s’adjoignent aux noms en –eur, ils prennent une interprétation intersective avec l’événement sous-jacent, et non pas avec les individus dénotés. Cependant, ils sont possibles seulement à condition de pouvoir dégager des sous-classes d’individus pertinentes.

(71) a. les pêcheurs sous la glace

b. les bricoleurs/ les coureurs du dimanche c. le commentateur radio du matin

Les noms en –eur présentent par conséquent deux types de modifieurs. Les modifieurs comme fréquent s’attachent localement au niveau où est introduite la variable basse, c’est-à-dire la variable d’événement, que l’on retrouve au niveau de AspP (ou VoiceP dans d’autres implémentations, cf. ci-dessous). Les modifieurs ‘hauts’ doivent respecter le type ‘individu’ qui est celui du NP.

Le système proposé par Roy & Soare 2013b est également à même de rendre compte de la classe beaucoup moins étudiée des SENs. Ceux-ci n’introduisent pas de variable d’événement mais seulement une variable d’individu de la même manière que les noms en -eur ; cependant, comme les objets qu’ils dénotent sont des événements conceptuels, ils peuvent se combiner avec des prédicats comme avoir

lieu. Dans cette même optique, on peut comprendre pourquoi la modification par

fréquent est possible seulement au pluriel : ce modifieur n’ayant pas accès à une structure interne pour pluraliser un événement ‘grammatical’, il peut seulement pluraliser l’individu et est donc introduit au niveau NumP, donc plus haut que NP, entraînant l’accord pluriel.

Cette étude contribue à une typologie plus fine et en même temps unificatrice des noms déverbaux, qui rend compte des diverses manières dont ils peuvent dénoter, ou bien tout simplement être reliés à un événement. Au terme de ces développements, nous avons une meilleure idée du comportement des différentes classes de déverbaux – événementiels ou agentifs-instrumentaux, et les tests originaux de Grimshaw 1990 sont revus sous un autre éclairage, et sont classés selon qu’ils ciblent un événement introduit (pour les AS-Ns) dans la structure grammaticale de la nominalisation, ou simplement indiquent un événement conceptuel dénoté par le nom.