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Généricité dans les noms de participants au procès en français

4. ASPECT ET STRUCTURE ARGUMENTALE DANS LES NOMINALISATIONS

4.3. La nature de l’aspect non dynamique

4.3.2. Généricité dans les noms de participants au procès en français

La source de l’interprétation stative est une question qui se pose pour une autre catégorie de noms déverbaux en français, à savoir les nominalisations dites agentives en –ant, en apparence comparables avec les nominalisations en –eur, dont nous avons déjà discuté précédemment (Chapitre 3, section 3.3.) au sujet des différents types d’interprétation événementielle.

Nous avons vu à ce sujet que les noms en –eur sont des noms événementiels au sens fort (grammatical) lorsqu’ils prennent une lecture épisodique ou une lecture dispositionnelle (à savoir, lorsqu’ils sont animés – des noms de participants et non pas des noms d’instrument). Dans (Roy & Soare 2012), puis (Roy & Soare 2013a-b), nous proposons des tests en faveur de cette analyse, en distinguant la modification par fréquent (ciblant uniquement l’interprétation épisodique avec des arguments spécifiques) et la modification par heureux/gros possible à la fois dans la lecture épisodique et dans la lecture dispositionnelle. Les deux types de modifieurs adjectivaux étant exclus dans les noms en –eur dénotant des instruments, nous concluons que ceux-ci ne sont pas événementiels au sens grammatical, et n’ont pas une structure complexe reposant sur des niveaux verbaux. Cela nous mène à distinguer ces trois classes en termes de structure, et à proposer une connexion entre la spécificité de l’argument interne et l’obtention de l’interprétation épisodique. Des projections dédiées (dans ce travail, nous utilisons le cadre de Borer qui fait reposer

la projection des arguments sur des catégories aspectuelles – AspQ) servent à capter cette corrélation.

(87) a. les consommateurs de cette drogue douce (épisodique) b. les consommateurs de drogue (dispositionnel)

Les instruments, en revanche, sont dérivés simplement sur une racine, et n’impliquent pas la présence d’un événement grammatical. Voir section 3.3 ci-dessus pour les détails de l’argument et de l’analyse. Dans l’interprétation des –eur animés, en revanche, un événement grammatical est présent, et la corrélation entre la projection de la structure argumentale et les niveaux de structure verbale est valide ; plus encore, la contribution de l’interprétation dispositionnelle est le résultat de la nature de la structure argumentale (voir l’objet exprimé par un nom nu en (87)b : les arguments internes non-spécifiques étant associés à une interprétation dispositionnelle). Dans quelle mesure cela relève d’une généricité construite dans les noms, c’est une question qui mérite d’être approfondie par des recherches ultérieures.

Le français en revanche dispose d’un autre type de noms dits agentifs, étudiés précédemment par (Anscombre 2001), à savoir les noms en –ant. Dans le cas des noms en –ant, on peut tout aussi bien que pour les noms en –eur, distinguer des noms reliés à une éventualité et les noms d’objet référentiels (i.e. instruments ou produits) qui ne le sont pas. Les tests indiqués ci-dessus démontrent le bien-fondé de cette distinction :

(88) a. les (bien)heureux accompagnants des élus locaux b. un gros gagnant du loto

c. les petits publiants

d. les vieux aidants des malades de Parkinson

(89) *un vieux tranquillisant ; *un gros amincissant ; *le petit détachant, *un heureux cicatrisant

On doit noter que les créations nouvelles en –ant, assez fréquentes aujourd’hui, apparaissent souvent dépourvues d’arguments et avec un sens générique :

(90) les écoutants ; le discutant ; un aidant ; les publiants ; etc.

Cependant, il est clair que lorsqu’une structure argumentale est héritée, une interprétation épisodique est possible, mais la corrélation spécifique – épisodique / non-spécifique – dispositionnel ne semble pas être respectée, ce qui constitue un contre-exemple apparent au système proposé dans [9], [10] et [11] – Roy & Soare (2012, 2013a-b) pour les noms en –eur.

(91) a. Le soignant de Henri Gomez connaissait parfaitement sa réaction aux antibiotiques.

b. Les aidants des malades de la chambre 304 sont au conseil administratif. Le problème semble aggravé par le test de la modification adjectivale, qui semble donner des résultats contradictoires (cf. 92 comparé à 93) et ne semble pas être conditionnée à la présence d’arguments internes spécifiques (94) :

b. un aidant occasionnel des malades de l’aile A (93) * le gagnant occasionnel / fréquent du gros lot (94) Un écoutant occasionnel de candidats au suicide

Il semble donc que l’interprétation des noms en –ant est un résultat d’un ensemble plus large de facteurs, par exemple le type aspectuel du prédicat (achèvement vs. accomplissement).

De surcroît, d’autres propriétés distinguent les noms en –ant des noms en –eur, par exemple leur absence d’agentivité. Si le sens de ces noms peut être très proche, comme dans les paires en (95), la distribution des deux types de noms est tout à fait différente ; les premiers rejettent, alors que les derniers acceptent, les bases inaccusatives (96) :

(95) a. un attaquant vs. un défenseur b. un enseignant vs. un chercheur c. un soignant vs. un guérisseur (96) a. un habitant vs. *un habiteur

b. un arrivant vs. *un arriveur

Roy & Soare (2012) font l’hypothèse que cette différence est reliée au fait que les nominalisations en –ant reposent sur une phrase entière dont ils nominalisent la position de sujet, alors que les nominalisations en –eur sont des nominalisations

d’argument externe.

Dans certains cas, les noms en –ant et les noms en –eur sont dérivés sur la même base mais avec des différences d’interprétation.

(97) a. un accompagnateur vs. un accompagnant b. un serveur / serviteur vs. un servant

c. un suiveur / successeur vs. un suivant d. un exécuteur vs. un exécutant

e. un débiteur vs. un débitant

D’autre part, les noms en –ant admettent également des bases statives, à la différence des noms en –eur :

(98) a. un voyant vs. #un voyeur (sens spécialisé uniquement, lié à ‘regarder intensément’, verbe d’activité, et non pas ‘voir’ statif)

b. un débutant vs. #un débuteur c. un apprenant vs. *un appreneur d. un savant vs. *un saveur

(99) a. se défendre / un défendant vs. défendre / un défenseur b. se plaindre / un plaignant vs. *un plaigneur

Le caractère statif des noms en –ant est confirmé par le fait qu’ils rejettent l’impératif (dans le contexte de la copule) – un test que nous adaptons de Lakoff (1966) :

(100) a. Embrasse Marie! b. *Aime Marie!

(101) a. Sois l’accompagnateur des enfants! b. *Sois l’accompagnant (des enfants)!

Le caractère non-agentif s’allie à cette stativité qui semble caractériser les noms en –ant ; en effet, ils rejettent la modification par des adjectifs orientés agent comme

délibéré, intentionnel – à nouveau, à la différence des noms en –eur.

(102) a. *un attaquant délibéré vs. un agresseur délibéré de la vieille dame b. *le fervent soignant vs. le fervent guérisseur de la vieille dame c. *un votant déterminé vs. un électeur déterminé de Sarkozy d. *des enseignants obstinés vs. des chercheurs obstinés

Nous avons donc proposé une analyse dans laquelle les noms en –ant sont des nominalisations de phrases participiales qui impliquent une projection PredP. La structure de la nominalisation est non seulement plus large que pour les noms en –

eur, mais contient plus que la structure participiale à proprement parler. L’absence d’agentivité est reliée à la présence d’une éventualité stative, induite dans la structure par la projection PredP. Le nom en –ant résultant de la nominalisation ne peut dénoter que le Siège d’une propriété ou d’un état, et non plus un agent à proprement parler. Concrètement, un soignant renvoie, donc, à celui qui a la propriété

de soigner, et non pas celui qui soigne; un militant à celui qui a la propriété de militer, et non pas celui qui milite, un apprenant à celui qui a la propriété d’apprendre et non pas

celui qui apprend. Par conséquent, l'unique rôle thématique auquel un nom en –ant peut renvoyer, c'est le rôle Siège d'une propriété dénotée par l'éventualité sous-jacente. Nous suggérons que la stativité ainsi que la prédication sont également contribuées par des niveaux structurels, probablement à associer à la présence d’un niveau PredP dans la structure de la nominalisation.

Cette idée rejoint un travail antérieur de Giurgea et Soare (2010a-b) sur les relatives réduites participales, où la présence d’un niveau PredP est également supposée35. Les relatives introduisent des informations de type propriété reçoivent également une interprétation stative, du type ‘qui a la propriété de’, par exemple dans : les femmes vivant en France.

La vision qui se dégage de l’étude des noms en –ant permet de supposer que la stativité n’est pas une notion simple ontologique, et ne se réduit pas à la caractérisation d’une classe aspectuelle de prédicats. Elle peut être, nous l'avons vu, induite dans les nominalisations qui dénotent des états, par la structure contribuant une variable d’éventualité stative (cf. section précédente), ou bien au niveau phrastique par la présence d’un PredP dans la structure. Des recherches futures devront aller plus en profondeur, pour vérifier ces hypothèses et examiner les relations qu’elles peuvent entretenir.

4.4. Conclusion et perspectives de recherche : structure de l’événement, structure