• Aucun résultat trouvé

Agents, arguments externes et sujets

4. ASPECT ET STRUCTURE ARGUMENTALE DANS LES NOMINALISATIONS

4.2. La question des arguments dans la nominalisation

4.2.1. Agents, arguments externes et sujets

(Milner 1982) est l’un des premiers à avoir soulevé la question du sujet dans les groupes nominaux, dans ses travaux ayant trait aux génitifs en français. Il note que

les compléments adnominaux dans les nominalisations ne sont pas interprétés comme possessifs (qui selon lui occupent la position structurale de sujet dans un groupe nominal), laissant la place à une interprétation thématique (objective ou subjective). Il se pose alors la question de l’existence de cette position structurale au sein des groupes nominaux centrés sur une nominalisation, dans le but de vérifier si la Contrainte du sujet spécifié, définie pour les phrases et redéfinie par lui pour le possessif dans les groupes nominaux, est également valable dans les groupes nominaux construits sur les nominalisations.

La question de la réalisation du sujet est en effet l’une des plus intéressantes dans l’étude de la nominalisation. Dans les langues qui ont une position prénominale pour les possessifs, celle-ci a été exploitée pour étoffer le parallélisme entre phrases et groupes nominaux, menant à la formulation de l’hypothèse DP par (Abney 1987). Il faut évidemment distinguer entre position syntaxique (sujet ou objet) et rôle thématique : un ‘sujet’ dans les termes de Milner (1982) peut donc avoir une interprétation de Thème dans (48)a ou d’Agent dans (48)b.

(48) a. la description d’un suspect a. sa description

Mais la question que l’on s’est posée dans les travaux linguistiques modernes sur les nominalisations porte surtout sur l’héritage de la structure argumentale, qui était au centre des préoccupations des modèles linguistiques dans les années ’80-90.

Pour les nominalisations déverbales, par exemple les déverbaux en –tion, Grimshaw (1990) propose une règle lexicale selon laquelle le processus de nominalisation supprime l’argument externe. C’est la raison pour laquelle, dans les noms d’événements complexes (CENs/AS-Ns, cf. Chapitre 1), l’interprétation de l’argument en (49) n’est pas Agent mais Thème :

(49) l’évaluation des équipes pendant des jours entiers (les équipes sont évaluées) Dans une perspective syntaxique, cela se reflète dans des analyses des nominalisations en termes de mouvement syntaxique, corrélativement à la déthématisation de la position d’argument externe de la base. Dans une telle approche, par exemple, Borer (1999) propose que dans les nominalisations de l’anglais, la marque d’accusatif sur l’objet direct est absente en raison du fait qu’elles comportent un VP de type passif. C’est également ce qui se passe, selon Borer (1999), pour les structures nominalisées où le sujet génitif est présent (cf. 50) ; ici, le sujet prénominal est pragmatiquement identifié comme le sujet supprimé du VP passivisé par la nominalisation.

(50) the Vandal’s destruction of Rome

Un même type d’analyse est proposé par Alexiadou (2001), qui en revanche attribue le statut intransitif de ces noms non pas à leur caractère passif, mais à la présence d’un vP défectif qui ne peut pas prendre un argument externe et de ce pas ne peut pas assigner le cas accusatif. Pour Alexiadou (2001), le ‘sujet’ en (50) est interprété comme agent en raison du caractère de Spécifieur (A) de la position de sujet DP en anglais.

Dans les langues qui ne permettent pas le génitif dans la position prénominale, la co-présence des génitifs objectifs et subjectifs est souvent impossible. Selon Milner, elle est soumise à des conditions interprétationnelles : si le nom reçoit une interprétation processive, il est possible d’avoir un génitif agentif ; s’il reçoit une interprétation stable, il est non-agentif. Autrement dit, il suffit qu’un nom déverbal soit dynamique (et non statif) pour admettre un génitif agentif. Ce qui intéresse Milner, nous l’avons vu, c’est la nature du satellite nominal de NP ; son but premier est de distinguer entre PP et groupe nominal génitif.

Dans ce qui précède, ainsi qu’au Chapitre 1, j’ai survolé rapidement la question des arguments dans les nominalisations, en montrant notamment que dans les nominalisations ‘syntaxiques’, la réalisation des arguments était obligatoire et accompagnée par la réalisation d’un événement grammatical, et corrélativement par des spécifications aspectuelles afférentes. Cependant, le seul critère offert pour le statut argumental de ces satellites, la plupart du temps des arguments internes, était leur caractère obligatoire dans les contextes activant l’interprétation événementielle. On peut également noter le caractère indispensable de l’argument interne dans le contexte du complément d’agent en par :

(51) la construction *(de la cathédrale) par des milliers d’ouvriers

Si la présence de l’argument interne ne fait pas de doute, et par conséquent l’héritage de la structure argumentale dans les nominalisations transitives est facile à tester, l’argument externe pose plus de problèmes. Ci-dessus, nous avons vu qu’elle est possible pour le gérondif anglais dans la position de génitif prénominal. Comme on l’a noté depuis longtemps (cf. par exemple Milner 1982), le génitif dans les langues romanes ne bénéficie que d’une seule position, sauf lorsqu’il s’agit d’un clitique, qui lui peut se combiner avec un DP plein génitif :

(52) a. mon interprétation des Chats de Baudelaire

b. ?l’interprétation de Jackobson des Chats de Baudelaire

Ce qui est plus délicat en revanche, c’est de tester le caractère argumental d’un génitif qui accompagne un déverbal dérivé d’un verbe intransitif (inergatifs ou inaccusatifs). Si l’on peut être dérouté par le fait que le nominal en question peut apparaître seul, et que l’on ne sait pas si les PPs en (54) sont des arguments ou simplement des modifieurs, par exemple possessifs, on peut déduire de la présence de modifieurs aspectuels en (55), qui activent la structure événementielle, qu’un argument implicite est tout de même là :

(53) a. le rire est bon pour le moral a. l’arrivée est encore loin b. le jardinage est agréable

c. le bricolage est une activité typiquement masculine (54) a. le rire de Jean, l’arrivée de Pierre

a. ??le jardinage de Paul, ?le bricolage de Marie (55) a. le rire (de Marie) pendant des heures

Un test classique, initialement proposé par Grimshaw, est l’agrammaticalité de la position prédicative (qui est une propriété des arguments) :

(56) a. *le jardinage est de Jean b. *le rire est de Marie

Une autre manière de désambiguïser disponible en français (cf. [8] – Roy & Soare 2011), serait la paraphrase possessive non ambiguë par « à+DP » :

(57) a. son rire, à Jean, m’énerve

b. *son jardinage, à Pierre, dure vraiment trop longtemps.

Le même problème se pose d’ailleurs dans le cas des nominalisations d’état: (58) ??son inquiétude, à Jean, va gâcher notre fête

Dans le cas des nominalisations transitives dynamiques, comme je l’ai déjà mentionné, le génitif subjectif tout seul est en règle générale exclu ; la seule manière d’inclure l’agent étant le complément en par. (Kupferman 1991) formule la généralisation suivante :

(59) Le génitif subjectif marque le nominal comme non-événementiel.

On peut déduire que le ‘sujet’ génitif est possible seulement dans les noms résultatifs-référentiels (R-Ns), soit dans le cas des nominalisations statives. Cela semble se vérifier au moins dans les langues romanes qui manifestent les contraintes sur le génitif notées ci-dessus. On peut illustrer ci-dessous par un nominal événementiel en –tion en français et l’infinitif nominal en roumain. Dans ces exemples, le génitif adnominal est interprété comme un possessif, et le nominal n’a pas une interprétation événementielle, mais une interprétation référentielle d’objet : (60) a. la construction de cette équipe d’ouvriers est impressionnante

b. aceste manifestări ale studenților îngrijorează pe toată lumea ces manifestations des étudiants inquiètent tout le monde

En dehors des nominalisations d’état, il y a cependant des nominalisations dynamiques qui sont capables de projeter leur argument externe (en d’autres termes, acceptent un génitif subjectif). Il s’agit en premier lieu du gérondif verbal anglais (Snyder 1998) et du supin nominal roumain (Cornilescu 2001).

(61) The department’s electing (of) John surprised everyone (62) Pictatul Mariei la Paris ne costă o avere

peindre.Sup Marie.Gen à Paris nous coûte une fortune

On doit noter une coïncidence tout à fait intéressante : les deux types de nominaux sont également ceux pour lesquels nous avons soutenu la projection de l’aspect grammatical (outer Aspect, cf. section 4.1 ci-dessus) dans le domaine flexionnel ; ce ne sont pas des déverbaux dérivés par affixation mais des nominalisations phrastiques. Ces situations méritent donc plus d’attention.