IV. Recherche fondamentale et POAN
2.3 Inflammation locale
2.3.1 Bone Morphogenic proteins
Ces 10 dernières années ont été marquées par l’identification des BMP comme des acteurs importants
de la régulation de l’ostéogénèse [234,235]. Des progrès ont été faits dans la compréhension des voies
de signalisation du BMP dans les ossifications hétérotopiques, notamment au travers de la
multiplication de modèles animaux visant à explorer les OH acquises [235]. Ces modèles
hyperexpriment généralement la voie de signalisation du BMP par l’utilisation d’implants d’hydrogel
ou des matrices en polymère disposées dans le muscle, par l’injection intramusculaire de BMP, ou
encore par l’administration d’un système permettant la transduction cellulaire des voies du BMP [18].
L’augmentation des concentrations locales de BMP permet à elle seule, l’apparition d’ossifications
ectopiques [18].
La voie de signalisation du BMP a été plus rarement étudiée dans le cadre des OHN. Seuls Kang et coll.
ont utilisé le BMP-2, à faible concentration, dans un modèle murin, permettant d’induire le
développement de OHN [218]. Ils ont montré une augmentation intramusculaire de plusieurs des
protéines de la famille du BMP après contusion médullaire isolée (sans injection combinée de BMP):
BMP-2, BMP-4, BMP-7, BMP-9 [218]. En revanche, l’expression des récepteurs du BMP 1 et 2 reste
similaire au groupe SHAM pour la lésion médullaire.
Dans le modèle de Genêt et coll., Kulia et coll. ont mis en évidence une importante augmentation des
BMP-2, BMP-4 et BMP-7 dans le muscle prélevé chez des souris à 2 jours de la lésion médullaire.
Les protéines du BMP semblent donc participer à la formation d’OHN mais les preuves ne sont pas
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suffisantes aujourd’hui pour l’affirmer.
Les BMP sont principalement sécrétées par les cellules stromales de l’environnement tissulaire mais
aussi par les macrophages [18].
2.3.2 Hypoxia inducible factor alpha
L’hypoxie et la nécrose cellulaire du tissu musculaire ont préalablement été évoquées comme des
piliers dans la survenue de POAN [221,224]. Pendant l’ostéogénèse, la réponse à l’hypoxie est régulée
par l’Hypoxia Inducible Factor alpha (HIF-1α), un facteur de transcription. Récemment, un grand
nombre d’études utilisant des modèles génétiques et acquis d’ossifications hétérotopiques ont indiqué
qu’une augmentation du taux de HIF-1α pourrait participer à leur formation [236,237]. Lorsque le
niveau d’oxygène devient insuffisant, HIF-1α est hydroxylé et devient une cible à détruire [238,239].
Pour cette hydroxylation, HIF-1α a besoin de fer et d’oxygène qui sont absents en cas d’hypoxie
[238,239]. De ce fait, on assiste à une accumulation rapide de HIF-1α qui atteint le noyau où il
augmente l’expression de Vascular endothelial growth factor alpha (VEGFα), le principal régulateur de
l’angiogénèse [239]. Angiogénèse et ostéogénèse sont fortement intriquées lors du développement des
os et de la réparation fracturaire. HIF-1α est alors nécessaire au maintien et à la différenciation des
préchondrocytes pendant l’ossification endochondrale [238].
A la phase précoce suivant une atteinte médullaire traumatique, HIF-1α a été retrouvé dans les lésions
inflammatoires médullaires et périphériques [65]. C’est également ce qui a été observé dans un
modèle animal de FOP par Wang et coll. [236]. Bien que le modèle d’ossification hétérotopique
reproduise une maladie génétique, le type d’ossification endochondrale est commune avec les OHN et
les POAN. Dans cette étude, les auteurs constataient que l’hypoxie au sein des lésions inflammatoires
était particulièrement importante et que HIF-1α augmentait l’intensité et la durée de la liaison entre
les BMP et leur récepteur. Le blocage de HIF-1α par un antagoniste, permettait de rétablir une lésion
physiologique entre BMP et récepteur. Les auteurs constataient aussi une réduction considérable de la
taille des ossifications hétérotopiques [236].
D’autres équipes ont également observé la réduction d’os ectopique dans des modèles de OH acquises
[237,240,241]. Dans un modèle de ténotomie, Zimmermann et coll. inhibaient HIF-1α par l’utilisation
d’un antibiotique, l’échinomycine qui bloque la fixation de l’ADN au facteur HIF-1α [241]. Son
utilisation réduisait de façon significative le volume des OH. D’autres inhibiteurs de HIF-1α ont été
testés, le PX-478, un traitement anti-cancéreux et la rapamycine, de la classe des immunosuppresseurs,
avec les mêmes résultats sur le volume des OH que l’échinomycine [237]. A l’issue de ces observations,
les auteurs suggéraient que l’inflammation et l’hypoxie provoquaient, via HIF-1α, une activation
exagérée du gène ACRV1, ce qui expliquait l’amplification de la voie de signalisation du BMP
conduisant à la formation d’OH [237].
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OHN. Le partage de la même voie d‘ossification endochondrale avec la FOP, fait penser que les
résultats seraient très probablement similaires. Cependant, l’importance de l’angiogénèse suivant une
lésion aiguë du SNC amène à reconsidérer l’utilisation d’inhibiteurs de HIF-1α qui pourraient aggraver
les lésions initiales et compromettre la récupération neurologique.
2.3.3 Récepteur nucléaire de l’Acide Rétinoïque
La voie de signalisation de l’acide rétinoïque régule la croissance et le développement du squelette
[242]. Pour engager l’ossification endochondrale, le taux d’acide rétinoïque doit baisser car une
activation continue des récepteurs nucléaires de l’acide rétinoïque (RAR) diminue la chondrogénèse et
la différenciation des précurseurs chondrocytaires [243]. Il existe plusieurs sous-unités pour ces
récepteurs dont les RARα et les RARγ.
La chondrogénèse étant le pivot de l’ossification endochondrale conduisant aux ossifications
hétérotopiques dont les POA, l’activation des RAR a fait l’objet de plusieurs études cherchant à
prévenir l’apparition de ces formations ectopiques [244–246]. Shimono et coll. ont montré que les
ossifications ectopiques créées par l’implantation d’un matrigel imprégné de BMP-2 dans la partie
ventrale de l’abdomen d’une souris, voyaient leur volume se réduire après administration d’un
agoniste des RARα, le NRX19518 [246]. Une analyse par microarray des gènes des OH, a révélé une
réduction de l’expression de gènes clefs dans la formation d’OH dont le VEGFα, certains gènes
impliqués dans la chondrogénèse (Sox9, collagène 10 et 11) et d’autres impliqués dans l’ostéogénèse
(famille des BMP et Runx2) [246]. Ces résultats suggèrent qu’un traitement par agoniste des RARα
pourrait réduire la taille des OH par l’inhibition de la formation de cartilage et de l’angiogénèse.
D’autres études récentes indiquaient que l’activation des RARγ aurait également un effet anti-OH
[245,247]. Dans un autre modèle animal développé par Shimono et coll., la combinaison d’un
traumatisme local et de l’implantation d’une éponge collagénique imbibée de BMP-2 dans le triceps
sural, résultait en la formation de larges ossifications ectopiques. Un traitement par agoniste des RARγ
permettait de prévenir leur apparition [246]. Pavey et coll. ont récemment examiné l’effet d’un
agoniste des RARγ, le palovarotène sur un modèle de rat développant des OH [245]. Ce modèle de
polytraumatisme cherchant à reproduire les blessures des soldats avec amputations traumatiques,
consistait en l’association de blessure par blast, fracture fémorale, compression musculaire du
quadriceps conduisant à l’amputation du membre dans la zone traumatisée et inoculation de
Staphylococcus aureus résistant à la methicilline [245]. L’analyse des gènes présents au sein du muscle
de l’extrémité du moignon après administration de palovarotène retrouvait une réduction de
l’expression de gènes importants dans la chondrogénèse (Sox9 and collagen2α1) et dans l’ostéogénèse
(ostéocalcine, BMP-2, BMP-4 et Runx2). De plus, le traitement permettait de réduire le volume des
POA formées sur le site de l’amputation lorsqu’il était commencé entre 1 et 5 jours suivant le
traumatisme.
Les études explorant l’activation des RARγ ont proposé l’hypothèse selon laquelle les agonistes des
RARγ agiraient en réduisant le signal des BMP. Ce qui aboutirait à l’inhibition de la différentiation des
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chondrocytes et donc la chondrogénèse conduisant à réduire l’apparition d’ossifications ectopiques. Ce
traitement parait prometteur devant le fort potentiel anti-ostéogénique et anti-chondrogénique
retrouvé dans les études précliniques. Il fait actuellement l’objet d’un essai clinique de phase 2 dans la
FOP. Les premiers résultats montrent une diminution significative du nombre et de la taille des
ossifications ectopiques chez les patients FOP traités par comparaison au groupe contrôle
(
http://clementiapharma.com/phase-2-part-open-label-extension-trialpalovarotene-treatment-patients-fibrodysplasia-ossificans-progressivacontinues-positive-trends/). L’efficacité du traitement
chez les patients à risque de développer des POA acquises n’a pas encore été étudiée mais devrait faire
l’objet d’études à venir.
2.3.4 Neuroinflammation
La neuroinflammation est présente à l’échelle locale mais aussi systémique.
L’équipe de Salisbury et coll. s’est beaucoup intéressée aux mécanismes inflammatoires médiés par le
système nerveux périphérique dans des modèles d’ossifications hétérotopiques induites par
l’administration de BMP-2 [248]. L’expression de BMP-2 intramusculaire, chez la souris, permettait la
formation d’os ectopique endochondral à 7 jours de l’injection. Les auteurs ont montré que le BMP-2
présent localement dans le muscle, stimulait des nerfs sensitifs via les récepteurs à la capsaicine
(TRPV1) permettant ainsi, le relargage de substance P (SP) et de calcitonin gene related peptide
(CGRP). Ces molécules entraînaient le recrutement de mastocytes et leur dégranulation. Les agents
ainsi relargués (rérotonine, tryptase et chymase) permettaient l’activation et la différenciation
cellulaire en ostéoblastes [248]. Cette expérience, reproduite à l’identique chez des souris dépourvues
de neurones sensitifs (TRPV1−/−), permettait une diminution majeure des OH. De même, lorsque la
dégranulation des mastocytes était inhibée par l’administration de cromolyn, la taille des OH était
significativement réduite.
Le rôle du système nerveux périphérique a spécifiquement été étudié dans le modèle de Genêt et coll.
Une première étude a consisté à sectionner les nerfs crural et ischiatique de la patte arrière droite,
également injectée par de la CDTX dans les suites d’une BM [249]. La patte controlatérale, servait de
contrôle et était injectée de CDTX seule. Contrairement à ce qui était attendu, les auteurs observaient
une augmentation significative du volume des OHN dans la patte arrière dénervée après section du
nerf crural et ischiatique (p=0,03). En effet, l’hypothèse en sectionnant les nerfs périphériques, était
d’obtenir une diminution de la neuro-inflammation locale via la sécrétion de substance P et donc une
réduction du volume des OHN. De façon tout aussi surprenante, 1 souris sur 2, du groupe SHAM pour
la BM mais ayant reçu de la CDTX associé à une dénervation périphérique par section des nerfs crural
et ischiatique de la patte arrière droite, a développé des OH (NS) [249]. Une seconde expérience
bloquant la jonction neuromusculaire par des injections de toxine botulique, retrouvait des résultats
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superposables (voir chapitre 2) [249].
Ma et coll. rapportaient une augmentation de l’expression du BMP-2 après lésion du nerf ischiatique
qui contribuerait à la régénération axonale des neurones sensitifs [250]. Cette observation permet de
relier les résultats de Salisbury à ceux de Debaud et Salga et pourrait expliquer l’apparition de OH dans
le modèle d’OHN avec dénervation périphérique.
L’altération de la barrière hémato-neuronale a également été évoquée pour expliquer l’apparition de
POAN. Une fois la cascade de neuroinflammation activée, se produit une migration de cellules
périneurales et épineurales provenant du nerf périphérique endommagé. Les cellules de la région
périneurale modulent l’expression et l’activation de la matrix metallopeptidase 9 (MMP9), une
protéine essentielle dans la régulation de l’ouverture de cette barrière [251]. La BMP-2 serait capable,
chez la souris, de passer cette barrière très rapidement après lésion, afin d’activer des cellules
spécifiques de l’épinèvre.
Les résultats suggèrent donc une implication majeure du SNP dans la modulation du signal conduisant
à la formation de POAN. Toutefois, d’autres études sont nécessaires de façon à préciser les mécanismes
de neuro-inflammation.
Dans le document
Inflammation et paraostéoarthropathies neurogènes
(Page 75-79)