II. Les différentes formes d’ossifications hétérotopiques
3. Les paraostéoarthropathies
3.2 Leurs divergences : prévalence et facteurs de risques
3.2.4 Atteinte du système nerveux central
Les POAN ont été largement décrites dans la littérature. Elles sont plus fréquentes chez les patients
blessés médullaires (20-29%) et traumatisés crâniens (5-20%) [57,58,61,140,141]. On peut également
les rencontrer suite à un accident vasculaire cérébral (5%) ou encore une anoxie cérébrale (1%) [57].
Certains cas de POAN ont été rapportés après une encéphalite [142].
Comme nous l’avons évoqué pour les POA secondaires à un traumatisme orthopédique, la grande
variation des chiffres de prévalence peut être attribuée aux critères diagnostiques cliniques vs
radiologiques mais aussi à la taille de la population, la méthodologie de l’étude (prospectif versus
rétrospectif) et enfin la durée du suivi des patients [121]. Les chiffres sont donc très hétérogènes mais
nous avons fait le choix, ici, de retenir les taux de POAN cliniquement ou fonctionnellement gênantes.
Si la définition de POAN semble claire, la sévérité de l’atteinte neurologique centrale requise pour faire
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la différence entre POA et POAN n’a pas été définie et n’est pas toujours bien détaillée selon les études
[65]. Toutefois, le TC comme la BM ont été identifiés comme étant des facteurs de risque indépendants
de survenue de POAN [65].
Concernant les patients lésés médullaires, on retient comme facteurs prédisposants au développement
de POAN, des caractéristiques en rapport avec l’état neurologique : le caractère complet de la lésion
médullaire, l’origine traumatique et le niveau lésionnel haut situé (>D6) [61,143–145]. Le retard de
mobilisation passive (< 7 jours post-traumatiques) [58,86,88] et l’admission tardive en centre
spécialisé [146,147] ont été également corrélés à l’apparition de POAN chez les patients BM. Quelques
études retrouvent un lien entre des situations inflammatoires (thromboses veineuses profondes,
escarres) et la présence de POAN [61,70,143,144,148] et d’autres ont mis en évidence la corrélation
entre infections (urinaires, pulmonaires) et développement de POAN [61,145]. La nécessité d’avoir
recours à une trachéotomie a également été retrouvée comme facteur corrélé à l’apparition de POAN
chez les patients BM [145].
Suero et coll. ont récemment développé un score prédictif de survenue de POAN à la hanche chez les
patients BM dans les 3 mois suivant leur accident [149]. Ce score sur 35 prend en compte le caractère
complet de la lésion médullaire, l’âge et le sexe du patient, le développement d’une infection urinaire
ou pulmonaire et la présence d’une hypertonie spastique. Le risque de développer une POAN
augmente avec le score. Ainsi, le risque est de 1 chez les patients avec un score entre 0 et 17 puis
augmente de 2.47 fois pour les sujets avec un score entre 1 to 21, de 4.75 fois pour les personnes avec
un score entre 22 et 27, de 6.95 fois pour les patients avec un score entre 28 et 31 et enfin, de 9.23 fois
chez les patients avec un score entre 32 et 35. L’établissement de ce score de risque est intéressant car
il permet de détecter précocement les patients à risque et de les suivre de façon rapprochée pour
proposer une prise en charge adaptée si nécessaire.
De nombreux critères cliniques sont corrélés à la formation de POAN chez les patients TC. Comme
pour les BM, certains sont en lien avec la gravité du traumatisme neurologique : l’importance du
traumatisme crânien [141,150], la durée de coma prolongée [141,150], la présence d’une parésie [59]
et de phénomènes dysautonomiques [141,150]. D’autres sont en rapport avec des atteintes associées,
survenant au même moment que le TC, tels que le contexte de polytraumatisme avec un Injury
Severity Score (ISS) élevé [58], la présence de fractures et le traitement chirurgical des foyers de
fracture [141,150,151] ; ou bien, survenant peu de temps après le TC comme les infections
pulmonaires [140,152]. Certains auteurs ont identifié des critères en rapport avec des soins d’urgence
vitale tels que l’admission en réanimation, la durée de ventilation mécanique et d’hospitalisation, la
nécessité d’avoir recours à une trachéotomie, comme étant des facteurs de risque de survenue de
POAN [113,141,150,151]. Enfin, il existe des caractéristiques attribuées au patient lui-même : l’âge
supérieur à 11 ans [153] et la participation génétique qui est d’avantage contestée selon les études
(HLA B 18, D.R. 7, HLA B27) [96,154].
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Bien que les POAN suite à un TC dans la population civile soient fréquents, il est apparu dans la
littérature de ces 20 dernières années de plus en plus de cas de POAN décrits après TC sur blast chez
les militaires revenant blessés des zones de guerre [7,114]. Pendant les derniers conflits en Irak et
Afghanistan, il a été estimé que 78% des blessures étaient liées à un engin explosif, c’est pourquoi les
TC par blast ont été appelé la « blessure signature » de ces opérations militaires [155]. Le terme blast
en anglais désigne une explosion et le souffle qu’elle provoque. Le blast génère des ondes
supersoniques de pressions à haute énergie, un champ électromagnétique, de la chaleur et des gaz
toxiques qui peuvent endommager le SNC et ainsi conduire au déclenchement des processus
d’ostéogénèse conduisant aux POAN [8,156]. Bien que la prévalence des POAN ne soit pas exactement
connue après un TC par blast du fait d’un nombre limité d’études, il semblerait que leur taux soit bien
supérieur aux POAN survenant pour d’autres causes de TC, notamment chez les civils [50,114].
Forsberg et coll. se sont intéressés à la prévalence des POAN dans les suites d’un polytraumatisme
causé par des combats militaires [7]. Dans la cohorte, les soldats avaient bénéficié d’au moins une
chirurgie orthopédique des membres et présentaient un polytraumatisme provoqué par un blast. Des
POA se sont développées chez 68% des patients sans TC et chez 86% des patients avec TC provoqué
par un blast [7]. Cette étude soulignait, comme pour les amputations traumatiques, l’augmentation du
taux de POA dans un contexte de blast mais a aussi permis de montrer que le TC par blast apparaissait
comme un fort facteur prédictif de la survenue de POAN [7].
Le lien entre hypertonie spastique et POAN est plus débattu dans la littérature. Certains auteurs
l’identifient comme facteurs de risque, d’autres le considère comme étant la conséquence du
développement de la POAN. En effet, il est impossible d’exclure que l’augmentation de l’hypertonie
spastique soit due au développement de la POAN, le mécanisme physiopathologique restant, à l’heure
actuelle méconnue. La lésion musculaire provoquée par le développement de la POAN intramusculaire
pourrait être à l’origine d’une augmentation de la spasticité en agissant comme une épine irritative
[60,61,143,145]. Cette hypothèse fait l’objet du Chapitre 2.
Comme nous l’avons évoqué, le caractère poly-traumatique, même chez les civils, représente un
sur-risque d’apparition de POAN chez les patients présentant une lésion du SNC concomitante [58,138].
Pape et coll. ont comparé deux groupes de patients polytraumatisés, avec ou sans TC. Ils retrouvaient
une prévalence plus élevée (> 40%) que lors de lésions neurologiques centrales isolées, sans qu’il
existe une différence significative de survenue de POA entre ces deux groupes (46,9% pour le groupe
de polytraumatisés avec TC et 42,7% pour le groupe de polytraumatisés sans TC). Ces chiffres élevés
semblent plus en rapport avec le contexte de polytraumatisme que lié à la présence d’un TC [157].
Bien que dans ce cas, on ne puisse pas parler de POAN, les patients victimes de polytraumatisme
semblent cumuler plusieurs facteurs de risques sus-cités : fractures, chirurgies, infections, thromboses
veineuses, escarres, …) et nécessitent généralement des soins complexes et une prise en charge
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prolongée en réanimation [50,65,158]. Ces patients peuvent également présenter différentes
pathologies conduisant au développement de POA (brûlures, fractures, séjour en réanimation…)
expliquant la forte prévalence des POA dans cette population de patients.
Il faut noter que la majorité de ces études sont rétrospectives et s’intéressent aux facteurs présents
lors du diagnostic des POAN. Les escarres, infections, phénomènes dysautonomiques, déficit moteur
des membres, hypertonie spastique, thromboses veineuses profondes ou encore escarres sont des
éléments fréquemment associés chez les patients atteints d’une lésion du SNC. Comme pour les grands
brûlés, certaines variables peuvent être considérées comme des facteurs confondants, c’est-à-dire
qu’ils apparaissent très fréquemment dans ces populations de patients et seraient donc faussement
corrélés à la survenue de POAN. De même, un long séjour en réanimation, une longue durée de
ventilation mécanique et les infections pulmonaires sont généralement liés les uns des autres et on les
retrouve comme facteur de risque de survenue de POA dans plusieurs situations (brûlures,
amputations traumatiques, atteinte du SNC et POA secondaire à un séjour en réanimation). Il apparait
évident que la gravité de la lésion neurologique prédispose au développement de POAN, toutefois, elle
n’est pas obligatoire. Par ailleurs, la gravité du contexte clinique et le cumul de facteurs de risques
semblent nettement augmenter le risque de développer une telle complication.
Dans le document
Inflammation et paraostéoarthropathies neurogènes
(Page 43-46)