CHAPITRE 5 : Création d’une banque de données clinico-biologiques chez des patients hospitalisés
VI. Discussion, perspectives, conclusion
Cette thèse a cherché à préciser en partie, les mécanismes inflammatoires conduisant à la formation
des POAN. Nous nous sommes basés sur la pathologie humaine et les études cliniques pour réaliser le
premier travail de cette thèse. En effet, les études cliniques étant rétrospectives avec une
méthodologie très hétérogène, il est difficile de faire précisément la différence entre facteurs
inflammatoires impliqués dans la survenue de POAN et facteurs confondants, dépendant d’autres
variables. Nous avons donc utilisé le modèle murin développant des OHN créé par Genêt et coll. afin
d’étudier plus précisément l’effet de l’inflammation locale et systémique sur la survenue et le
développement de OHN (Chapitre 1). Une première expérience a permis de montrer qu’une
inflammation locale, induite par un composant de paroi d’Escherichia Coli ou de Staphylococcus Aureus,
en plus de la cardiotoxine, augmente de façon significative le volume des OHN et cette augmentation se
fait selon un effet-dose. Il semble donc que le niveau d’inflammation local influence de façon
importante le volume des OHN. De plus, la provenance de ces agents de paroi bactérienne fait
supposer que l’inflammation pourrait être spécifiquement induite par des pathogènes infectieux qui
contribueraient ainsi au développement des OHN. De façon intéressante dans cette expérience, on
pouvait également observer l’apparition de OH dans le groupe contrôle pour la section médullaire
après injection de cardiotoxine et d’un agent de paroi bactérienne. Il semblerait donc qu’il existe un
niveau inflammatoire seuil à partir duquel, la section médullaire n’est plus obligatoire pour la
survenue de OH. C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans les pathologies non neurologiques à haut
niveau d’inflammation dans lesquelles se développent des POA (grands brûlés, amputés,
polytraumatisés, long séjour en réanimation).
Dans une autre expérience sur le modèle murin développant des OHN, l’inoculation d’agent de paroi
bactérienne se faisait par voie systémique et non pas en intramusculaire afin de se rapprocher des
conditions rencontrées en pathologie humaine (Chapitre 1). On observait une augmentation du
volume des OHN confirmant qu’une inflammation, même systémique, contribue à la croissance des
OHN.
Toujours dans le même modèle murin, nous avons cherché à montrer l’effet du blocage de la jonction
neuro-musculaire sur le volume des OHN (Chapitre 2). L’injection de toxine botulique, habituellement
utilisé comme traitement de l’hyperactivité musculaire après lésion du SNC a montré une
augmentation du volume des OHN. Nous sommes arrivés à la conclusion que la jonction
neuro-musculaire semble réguler le développement des OHN dans un muscle pathologique chez la sourie BM.
Il est possible que cette régulation s’effectue via un mécanisme de neuro-inflammation locale. Cette
hypothèse reste à démontrer.
Suite à ces découvertes en recherche fondamentale, nous sommes retournés au monde clinique pour
rechercher des facteurs pourvoyeurs d’inflammation, notamment infectieux qui pourraient être
présents à une phase très précoce suivant l’accident neurologique (Chapitre 3). Nous avons comparé
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des patients TC avec POAN versus sans POAN, hospitalisés dans le même service de réanimation puis
en rééducation neurologique. Cette étude a été la première à montrer que les patients avec POAN
présentent de façon plus importante des infections à bacilles gram négatif et plus particulièrement à
Pseudomonas Aeruginosa. Comme dans d’autres travaux, la présence d’un polytraumatisme associé et
de chirurgies était corrélée à la survenue de POAN, tout comme une longue durée de la ventilation
mécanique, de coma, du séjour en réanimation et la présence d’une trachéotomie. En revanche, aucun
critère neurologique n’a été retrouvé comme augmentant le risque de POAN. A gravité neurologique
égale, il semble donc que les patients développant des POAN soient plus fréquemment infectés avec
des bacilles gram négatifs, dans un contexte de polytraumatisme, de chirurgies multiples et
nécessitant des soins aigues prolongés, comparativement aux patients sans POAN.
L’inflammation parait être très présente tout au long du développement des POAN, même à la phase
chronique. C’est pourquoi, nous avons imaginé, comme pour certaines pathologies articulaires, injecter
des dérivés cortisonés localement, dans le but de traiter les douleurs induites par certaines POAN
(Chapitre 4). Dix-sept patients présentant des douleurs spontanées induites par des POAN ont ainsi
reçu une infiltration de dérivé cortisoné sous contrôle radiologique. Un mois plus tard, 80% des
patients présentait un soulagement des douleurs. Dans le cas de la hanche, le succès était plus
important lorsque l’infiltration était réalisée dans une zone de conflit osseux provoqué par
l’entrechoquement de deux pièces osseuses. Pour les douleurs induites par des POAN au coude et au
genou, les infiltrations faites au contact de la POAN étaient plus efficaces. Les infiltrations de dérivés
cortisonés au site de développement des POAN parait donc être une alternative intéressante et peu
invasive dans la prise en charge antalgique des POAN douloureux.
Les POAN posent toujours, à l’heure actuelle, le problème du diagnostic et de prise en charge trop
tardive et trop invasive lors de l’apparition de complications. L’enjeu actuel est d’identifier les patients
à risque de développer des POAN, le plus tôt possible après leur accident neurologique de façon à leur
assurer un suivi et une prise en charge adaptée et précoce. En se basant sur les études cliniques et les
données issues du modèle murin développant des POAN, nous allons relever des critères cliniques et
biologiques reconnus comme étant corrélés à l’apparition de POAN dans une base de données
clinico-biologique BENTHOS qui verra le jour courant 2020 (Chapitre 5). Ce tout premier travail prospectif
sur les POAN permettra de repérer les patients à risque de développer des POAN et peut être à terme
d’identifier des cibles thérapeutiques qui permettrons de prévenir ou de guérir les POAN.
Ce travail de thèse comporte des limites comme nous l’avons détaillé dans chacun des articles. Les
études précliniques ont parfois été réalisées sur un nombre inégal d’animaux (Chapitre 1). Ceci
s’explique par la compilation des résultats provenant de deux études différentes, la première ayant
généralement été répétée. Cependant, pour certains groupes, notamment les SHAM pour la BM, nous
avons fait le choix de ne pas répéter l’expérience par soucis de réduction du nombre d’animaux
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utilisés, dans les cas où les résultats étaient homogènes dans le groupe et permettaient de conclure à
une différence.
Dans le travail sur le blocage de la jonction neuro-musculaire, nous n’avons pas directement montré
que le signal inflammatoire était modulé par la toxine botulique (Chapitre 2). Une étude
complémentaire pourrait consister à doser la substance P et certains cytokines inflammatoires (OSM,
IL-1) localement après administration de toxine botulique. Il s’agirait également de déterminer si c’est
le blocage de la jonction neuro-musculaire ou l’administration de toxine botulique qui est à l’origine
d’une augmentation de l’inflammation et donc du volume des POAN. Dans le modèle murin, on
observe, quel que soit l’expérience, une variation du volume des OHN. Cette variation est également
retrouvée en pathologie humaine, expliquant pourquoi certains patients sont symptomatiques alors
que d’autres ne le sont pas. La symptomatologie clinique dépend du volume mais aussi de la
localisation des POAN. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les OHN du modèle animal ne sont
pas péri-articulaires mais intramusculaire. Nous n’expliquons pas bien ce phénomène et malgré un
grand nombre de similarité histologique, nous préférons ici les différencier des POAN en terme de
terminologie.
L’étude clinique conduite chez les patients TC en réanimation pose le problème du faible effectif de
patients avec POAN (N=6) (Chapitre 3). Il se peut que certains résultats soient non significatifs à tort
par manque d’effectif dans le groupe « cas » avec POAN. Une analyse multivariée n’a pas pu être faite
pour les mêmes raisons. Le design rétrospectif est également une limite même si les dossiers cliniques
de réanimation sont très complets.
L’étude BENTHOS, au design prospectif, va reprendre une grande partie des critères cliniques
préalablement étudiés dans l’étude rétrospectives, notamment infectieux. Les données recueillies dans
cette database permettront de confirmer les résultats obtenus mais aussi de préciser si les tendances
retrouvées dans l’étude rétrospective se trouvent en lien avec la survenue de POAN. Enfin, un plus
grand nombre de patients avec POAN permettrait de réaliser une analyse multivariée et ainsi, de
différencier les facteurs identifiés comme étant en lien avec l’apparition de POAN et les facteurs
confondants. Concernant l’infiltration, au site de développement de POAN, de dérivés cortisonés
comme alternative d’un traitement antalgique, il faudrait maintenant réaliser une étude contrôlée,
randomisée, versus placebo de façon à confirmer l’effet positif de l’infiltration de corticoïdes sur la
douleur.
La partie recherche fondamentale a été réalisée de novembre 2015 à octobre 2016 dans le laboratoire
du Pr Jean Pierre Levesque, responsable de l’unité “ Stem Cell Biology Laboratory” (Cancer Care and
Biology Program, Mater Research, University of Queensland, Woolloongabba, Queensland, Australia)
avec l’aide d’un financement du gouvernement australien (National Health and Medical Research
Council). C’est au sein de cette équipe que le modèle murin développant des POAN après section
médullaire et injection de cardiotoxine a été créé 3 ans plus tôt [221]. Une collaboration étroite se
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poursuit depuis avec notamment la soumission courant 2019 de deux appels à projets auprès de
l’Unité de Défense des Etats Unis (US DOD) et du gouvernement australien (National Health and
Medical Research Council) qui permettront de financer l’étude BENTHOS. Cette collaboration est
rendue possible grâce à un accord cadre, renouvelé tous les 3 ans, entre l’Université de Versailles-Saint
Quentin en Yvelines et l’Université du Queensland. Le modèle murin a été importé par le Pr François
Genêt dans l’équipe 3 de l’UMR1179 (UFR des Sciences de la Santé, Université Versailles Saint-Quentin
en Yvelines). Cette unité collabore également avec une équipe française de l’UMRS-MD-1197 «
Interactions entre les cellules souches et leurs niches en physiologie, cancérologie et dans la
réparation tissulaire”. C’est une unité mixte de recherche INSERM, Université Paris 11 (Dr
Marie-Caroline Le Bousse-Kerdilès) et ministère des Armées (Pr Sébastien Banzet). Depuis 5 ans, cette
équipe analyse les POAN issus des résections chirurgicales réalisées par les chirurgiens orthopédistes
de l’hôpital Raymond Poincaré. Le travail de nos trois équipes a conduit à des résultats majeurs déjà
présenté dans ce manuscrit de thèse dont la mise en évidence d’une niche hématopoïétique ectopique
pleinement fonctionnelle au sein des POAN et un rôle majeur des macrophages, de l’inflammation et de
l’Oncostatine M dans la physiopathologie des POAN [3,221,249,264,325].
Sur le plan clinique, nous disposons à l’hôpital Raymond Poincaré de la plus grande série mondiale de
patients opérés pour résection chirurgicale de POAN gênantes (545 patients, 784 chirurgies en juin
2018). Une dizaine d’études ont été publiées depuis la création de la base de données BANKHO en
octobre 1993 dont les principaux résultats sont présentés dans l’introduction de ce manuscrit de
thèse. La gestion des patients avec POAN chirurgicaux relève d’une prise en charge pluridisciplinaire
de neuro-orthopédie constituée de médecins de médecine physique et de réadaptation, de chirurgiens
orthopédistes, d’anesthésistes et rééducateurs. Le développement de la neuro-orthopédie sur ce site
hospitalier permet depuis plus de 30 ans de prendre en charge les complications orthopédiques liées à
une pathologie neurologique de patients vivants en France mais aussi à l’étranger. Ce concept de
travail pluridisciplinaire va être matérialisé en novembre 2020 par la création du premier service de
neuro-orthopédie sur l’hôpital Raymond Poincaré. Ce service proposera une prise en charge médicale
et chirurgicale adaptées aux patients présentant des complications neuro-orthopédiques dont des
POAN.
Enfin, le projet BENTHOS est ambitieux et requiert une bonne méthodologie, un financement, un
accord éthique. Toutefois, le réseau hospitalier et universitaire actuel nous permet aujourd’hui
d’établir un lien bidirectionnel entre la pathologie clinique et la recherche fondamentale. Cette
collaboration parait primordiale pour prétendre à une meilleure connaissance des mécanismes
physiopathologiques conduisant à la formation de POAN. L’étude BENTHOS est le fruit de cette
recherche translationnelle et internationale. Nous espérons au travers de cette étude découvrir des
facteurs cliniques et marqueurs biologiques clés dans la formation de POAN dont le but est double : 1/
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établir un score de risque de survenue de POAN permettant de diagnostiquer les patients à risque le
plus précocement possible ; 2/ élaborer à terme, des thérapeutiques ayant pour but de prévenir ou de
guérir des POAN.
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Dans le document
Inflammation et paraostéoarthropathies neurogènes
(Page 155-160)