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315. Si les buts et objectifs assignés aux traités OHADA et CEMAC sont quasiment les mêmes, les procédés pour les atteindre ne sont pas toujours identiques et parfois même sont contradictoires322.

Les contradictions qui ont été décelées procèdent d‟une analyse théorique des normes concurrentes (1) et d‟une consécration pratique des conflits (2).

1) Les hypothèses théoriques des conflits

316. La notion de conflit de normes devant les juges communautaires est délicate parce qu‟elle suggère à première vue le recours à la technique dite des conflits de lois.

Le conflit des lois en droit international privé désigne « une concurrence entre plusieurs normes dont la résolution procède d‟un choix d‟une des normes en conflit par le juge saisi d‟un litige comportant plusieurs éléments constitutifs inter étatiques »323. Le juge étatique saisi d‟un tel litige comportant des éléments d‟extranéité résout ce conflit des lois ou moyen de sa règle de conflit.

Le juge communautaire n‟a pas à résoudre un conflit de lois d‟une telle nature. Il est simplement juge de sa propre compétence. Autrement dit, il doit seulement vérifier si la solution qui se présente à lui entre dans le champ d‟application du droit

322 A propos de l‟Europe, voir DELMAS-MARTY (M.) « Critique de l‟intégration normative » ; PUF,

2004, pp. 55 et ss.

323

Voir MEYER Pierre : « Les conflits de juridictions dans les espaces UEMOA, CEMAC et OHADA », actes du séminaire de Ouagadougou sur la sensibilisation du droit communautaire, octobre 2003, p. 2. www. Ohada. Com.

communautaire qu‟il promeut et, dans l‟affirmative, appliquer les dispositions pertinentes dudit droit. Si tel n‟est pas le cas, il se déclare incompétent sans déterminer quel autre droit que le sien est applicable puisqu‟il n‟a ni capacité, ni qualité, ni intérêt à donner efficience à un autre droit. Dès lors se dégage la distinction fondamentale entre la méthode des conflits de lois et la technique de délimitation du champ d‟application des lois communautaires communément désignée sous le vocable de conflit des normes324.

317. L‟identité des objectifs économiques de la CEMAC et de l‟OHADA et l‟enchevêtrement des domaines d‟action des deux organisations entraînent à l‟évidence des conflits des normes pouvant entraîner des interprétations divergentes ou contradictoires du droit communautaire.

Les confits entre le droit uniforme OHADA et le droit communautaire CEMAC peuvent naître de la rencontre des domaines initialement conférés au droit uniforme avec ceux du droit communautaire. Plus concrètement, la rencontre entre le champ initial de l‟harmonisation et les domaines dans lesquels le droit communautaire est déjà intervenu ou est susceptible d‟intervenir est source de conflit.

Faudra-t-il procéder à un éclatement du procès en autant de parties invoquant différents droits applicables devant diverses juridictions « compétentes », avec les risques d‟incohérence que cela comporte ?

Les hautes juridictions de l‟OHADA et de la CEMAC peuvent-elles, au mépris de leurs limites de compétence, statuer dans un litige en prenant en compte l‟application ou l‟interprétation d‟un droit communautaire issu d‟une organisation tierce qui se définit comme autonome et spécifique ?

La CCJA, en tant que juridiction de la cassation des Etats membres avec pouvoir d‟évocation peut-elle être considérée, dans le cadre des recours préjudiciels de la législation CEMAC, comme une juridiction nationale de dernier ressort ?

Inversement les cours de la CEMAC peuvent-elles utiliser la voie de la consultation ouverte aux Etats membres et à leurs juridictions nationales pour consulter également la CCJA ?

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Il résulte de ces interrogations que l‟imbrication du droit OHADA avec le droit CEMAC peut apparaître indissociable dans la solution d‟un litige325

. Elle peut se justifier lorsque les normes nationales ou communautaires complètent les législations OHAQA, ou lorsqu‟ elles les contredisent.

C‟est ainsi que l‟interprétation faite par le juge interne d‟une norme dérivée de l‟OHADA peut résulter d‟une combinaison des règles relevant d‟autres ordres juridiques nationaux ou communautaires, compatibles ou contraires au droit substantiel OHADA.

318. Le recours en cassation contre une telle décision peut amener la CCJA à ne pouvoir donner une interprétation idoine de son propre droit uniforme qu‟après s‟être prononcée directement ou incidemment sur la portée des autres ordres normatifs, dès lors que son pouvoir d‟évocation après cassation l‟engage à juger en fait et en droit.

Deux hypothèses sont alors envisageables : Si la norme OHADA est en contradiction avec la norme de référence, la CCJA fera valoir le droit uniforme en éliminant la solution inspirée par les autres ordres étant entendu qu‟il n‟est pas imaginaire que le juge national ait pu décider après avoir reçu l‟avis de la CJC préalablement saisie par voie de renvoi préjudiciel ; Si au contraire le juge national s‟est inspirée d‟une norme extérieure à l‟OHADA mais qui lui est complémentaire ou compatible, de telle sorte que la décision rendue eût été la même si le droit harmonisé avait reçu application, la CCJA peut soit casser pour défaut de visa de son texte, soit rejeter le pourvoi pour défaut d‟intérêt. Dans le premier cas, elle aura protégé son autonomie en insinuant qu‟elle avait seule compétence et qu‟aucune autre juridiction communautaire n‟avait à statuer et dans la seconde hypothèse, elle aura donné effet à une norme qui ne relève pas de son ordre juridictionnel.

Pour subtiles qu‟ils soient, les conflits des normes dans un environnement où règnent deux ordres juridiques sont probables et même potentiels. Il en est d‟autant ainsi que l‟analyse théorique est suivie d‟hypothèses de réelle concurrence entre les normes OHADA et CEMAC.

325 ZONOU (B.) : « La hiérarchie des normes communautaire au sein de l‟UEMOA, de la CEMAC, de

la CEDEAO, de la CEEAC et de l‟OHADA » ; Acte du séminaire sous régional de sensibilisation du droit communautaire, Ouagadougou, 6 octobre 2003, p. 44.

2) Les applications réelles des conflits

319. Il s‟agit ici des hypothèses où une situation serait créée par deux règles juridiques OHADA et CEMAC concurrentes voire contradictoires, mais simultanément applicables à une situation concrète.

A titre d‟ exemple tiré de l‟article 2 du traité de l‟OHADA qui inclut dans le domaine du droit des affaires, l‟ensemble des règles relatives au droit des sociétés, au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés, au régime du redressement des entreprises, au droit de l‟arbitrage, aux voies d‟exécution, au droit du travail, au droit de la vente et des transports …, on constate que dans certains de ces domaines, la législation communautaire de la CEMAC est déjà intervenue.

Ainsi, l‟UDEAC a adopté en 1975, un code des sociétés multinationales326

. De même, l‟UDEAC devenue CEMAC a pris de nombreux textes dans les domaines du transport327, de la concurrence précédemment étudiée, des banques 328 et de la législation comptable329.

Concrètement l‟OHADA a également adopté des textes dans le domaine du transport330 et de la comptabilité331. Par ailleurs, le conseil des ministres de l‟OHADA a aussi entrepris d‟orienter l‟harmonisation vers le droit de la concurrence et le droit bancaire.

Les pays ayant adhéré à l‟OHADA et à la CEMAC se trouvent ainsi devant un embarras dans les cas faisant appel aux législations concurrentes précitées.

320. Toutes ces hypothèses de conflit peuvent se rencontrer devant le juge national comme devant le juge communautaire mais avec des variantes.

326

Acte 3/75-UDEAC-183 du 3 décembre 1975, J.O.UDEAC,1976 n° 1

327

Convention règlementant les transports routiers (15/24-UDEAC-146 du 19 décembre 1984) ;Code UDEAC de la marine marchande (acte 6/94-UDEAC-594 du 22 décembre 1994) : Code de la navigation intérieure ; Réglementation des conditions d‟exercice de la profession de transporteur routier des marchandises (acte 5/96-UDEAC-612 du 5 juillet 1996)

328

Sur la réglementation bancaire dans la zone CEMAC, voir par exemple KALIEU ELONGO Y. » le contrôle bancaire dans la zone de l‟union monétaire de l‟Afrique Centrale « Rev. Penant, 2002,n°841 p.112

329

Plans comptables généraux (acte 3/70-UDEAC-113 du 27 novembre 1970) et sectoriels (banques et établissements financiers, agriculture, postes et télécommunications).

330 Il s‟agit de l‟acte uniforme du 22 mars 2003 relatif au contrat de transport de marchandises par

route.

331 NEMEDEU(R) « Présentation critique du texte de l‟OHADA en matière comptable par rapport au

texte de la CEMAC » in actes du séminaire sous-régional de sensibilisation au droit communautaire de la CEMAC, Douala 16 décembre 2002(Paris, GIRAF-AIF, 2003, p 61)

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Nous avons déjà relevé que le juge national fera, sans doute, appel au droit international qui connaît diverses techniques de résolution des conflits de normes. La convention de Vienne sur le droit des traités propose des solutions pour résoudre les conflits entre Traités successifs portant sur une même matière332.

321. Qu‟en sera-t-il devant le juge OHADA ou le juge CEMAC ?

La situation est variable suivant que le juge intervient dans le cadre de sa fonction juridictionnelle ou de sa fonction consultative. Cette double démarche est mise en lumière à l‟examen de la jurisprudence de la Cour de justice de la CEMAC.

Dans le cadre de la fonction juridictionnelle, le juge communautaire n‟a pas à résoudre un conflit de normes ; il ne peut opérer un choix entre les normes OHADA et CEMAC en concurrence. Il doit uniquement vérifier si la résolution du litige qui lui est soumis entre dans le champ d‟application du droit communautaire dont il assure la régulation. Si la réponse est positive, il déclare qu‟il faut lui appliquer les dispositions pertinentes du droit communautaire concerné.

En revanche, la démarche du juge communautaire procède d‟une autre logique lorsqu‟elle intervient dans le cadre de la procédure consultative.

Un Etat ou une Organisation peut lui soumettre une difficulté d‟interprétation ou d‟application de deux normes concurrentes ou contradictoires et solliciter son avis. Le juge communautaire est tenu d‟apporter une réponse à la contrariété des deux normes. C‟est à cet exercice que s‟est livrée la Cour de justice de la CEMAC dans un avis du 9 avril 2003 émis à la suite de la demande du Gouverneur de la banque des Etats de l‟Afrique Centrale sur l‟avant-projet de règlement CEMAC relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement.

Parmi les questions posées au juge communautaire, il y avait celle relative à la compatibilité de cet avant-projet de règlement relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement avec les autres dispositions de la législation OHADA notamment l‟acte uniforme sur les procédures collectives d‟apurement du passif.

Le juge communautaire a utilisé la règle de la primauté du droit OHADA sur le droit CEMAC pour résoudre la question de la compatibilité de l‟avant-projet de règlement avec les autres dispositions du droit OHADA.

332

Les articles 30 et suivants de la Convention de Vienne sur le droit des Traités prévoit des modalités d‟application de traités successifs sur la même matière, mais cette solution n‟est pas totalement satisfaisante telle que nous le verront plus loin.

Il rappelle d‟abord les stipulations de l‟article 10 du traité OHADA selon lesquelles « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats, nonobstant toute disposition contraire de droit interne antérieure ».

Il poursuit sa construction en affirmant « que cette disposition contraignante pour les Etats concernés s‟applique aux normes primaires et dérivées issues de la CEMAC ».

Quel est le fondement d‟une telle hiérarchisation entre les normes OHADA et les normes CEMAC alors même que les ordres juridiques sont autonomes et spécifiques et qu‟il n‟existe pas entre eux de mécanismes articulatoires ? Pour ces raisons, le renvoi à l‟article 10 du traité de l‟OHADA est critiquable333

.

322. Heureusement que dans un précédent avis plus convainquant du 2 février 2000, rendu à propos du projet de code communautaire des investissements, la Cour de justice de l‟UEMOA faisait remarquer d‟une part, que la Cour commune de l‟OHADA ne peut saisir la Cour de Justice de l‟UEMOA en renvoi préjudiciel parce qu‟elle n‟est pas une juridiction nationale et d‟autre part, que l‟interprétation par la Cour de justice de l‟UEMOA des actes uniformes de l‟OHADA porterait atteinte à l‟exclusivité de la Cour Commune de justice et l‟Arbitrage de l‟OHADA dans l‟application et l‟interprétation des actes uniformes.

On constate donc que la convergence entre les organisations communautaires dans un pays donné peut entraîner une abondance de textes débouchant sur un affrontement des normes et corrélativement sur un conflit entre juridictions à priori équivalentes et indépendantes.

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