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323. L‟étude de la convergence des juridictions de la CCJA et de la CJC invite à s‟interroger sur les conséquences de leur proximité géographique. Il apparaît que ces juridictions peuvent éprouver de rares mais réelles difficultés de voisinage.

En effet, en raison de l‟indépendance de chacune de ces juridictions qui n‟exercent que dans sa sphère de compétence, il n‟y a, à première vue, aucun risque

333 L‟avis de la Cour de justice de la CEMAC du 9 avril 2003 n‟a pas été suivi par les autorités

communautaires ; voir règlement 02103 CEMAC/UMAC/CM du 1er juillet 2004 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement dans les Etats membres de la CEMAC, Bulletin officiel CEMAC, novembre 2004, pp. 27 et ss.

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de conflit entre elles (1). Le rapprochement peut pourtant générer un risque d‟affrontement débouchant sur une guerre des juges (2).

1) La thèse de l’incertitude des conflits de juridiction

324. L‟OHADA rassemble tous les Etats membres de l‟UEMOA et de la CEMAC avant de s‟étendre jusqu‟à l‟Océan indien. La CCJA de l‟OHADA et les Cours de justice de l‟UEMOA et de la CEMAC exercent leurs juridictions dans les champs territoriaux des organisations qui les instituent. Le domaine de compétence ratione loci de la CCJA est donc plus vaste que celui des Cours de justice communautaire.

On peut penser sous cet angle que la dimension régionale de la CCJA lui donne une préséance sur les Cours de justice de la CEMAC et de l‟UEMOA. Il ne s‟agit que d‟une illusion car la supériorité géographique n‟est pas un élément décisif de la priorité des compétences juridictionnelles.

325. Les juridictions de l‟OHADA et de la CEMAC disent le droit

communautaire ou uniforme suivant des procédures et les mécanismes bien distincts. L‟application ou l‟interprétation du droit par chacune d‟elles ne porte que sur le droit propre à chaque organisation. Aucune d‟elles n‟a ni vocation, ni compétence à dire le droit qui n‟est pas spécifique à l‟ordre juridique auquel elle appartient.

Toutes ces considérations conduisent à exclure raisonnablement les risques de conflits de compétences proprement dits entre la CCJA et la CJC. Cette position est par ailleurs confortée par la difficulté, voire l‟impossibilité de réunir les conditions de réalisation de conflit entre les juridictions supranationales susvisées.

En conséquence, le principe de la différentiation des ordres juridiques uniformes et communautaires empêche à l‟une des deux juridictions de saisir l‟autre par la technique de renvoi préjudiciel par exemple. Par ailleurs, une décision de justice rendue par une instance communautaire ne peut faire l‟objet d‟un recours devant une autre instance juridictionnelle relevant d‟un ordre voisin334

.

326. Par contre, au nom de cette indépendance des juridictions supranationales, la décision de dessaisissement rendue dans une affaire par la Cour de justice de la CEMAC n‟empêche pas théoriquement à la CCJA de connaître du

334 A titre d‟illustration comparative, voir l‟avis précité de la Cour de Justice de l‟UEMOA en date du 2

même contentieux et vice versa. Il suffit que les questions posées relèvent du domaine de compétence normative de chacune des juridictions saisies.

Si par hypothèse les juridictions de la CCJA et de la CJC concomitamment saisies entendent retenir leur compétence, le conflit de juridiction initialement imaginaire, devient une réalité.

2) La thèse de la probabilité des conflits de juridiction

327. Dans le cadre élargi de la CEDEAO, de l‟UEMOA335 et de l‟OHADA,

Monsieur Georges TATY336 a soutenu que les conflits de juridiction ne sont pas une simple vue de l‟esprit.

Il reconnaît qu‟à première vue il n‟y a pas lieu de redouter la concurrence ou le conflit de juridiction dans la mesure où chaque juridiction est censée opérer dans un espace géographique limité aux contours territoriaux des Etats membres de la communauté dont elle est l‟organe juridictionnel. Pourtant, nuance-t-il, le conflit de juridiction peut exister pour deux raisons, la première, tirée du cadre géographique ci-dessus élargi à trois organisations et la deuxième, tirée des binômes CEMAC/OHADA et UEMOA/OHADA.

328. Il l‟illustre la première hypothèse en soutenant qu‟il n‟est pas « farfelu

d‟imaginer deux Etats ouest africains tous deux membres de la CEDEAO, de l‟UEMOA et de l‟OHADA, dont l‟un saisirait la Cour de la CEDEAO et l‟autre celle de l‟UEMOA et que chacune de ces deux juridictions se déclare compétente pour connaître de cette affaire qui porterait sur la violation des règles communautaires ou des dispositions des traités constitutifs des deux premières structures d‟intégration économique qui, sur bien des points sont tout à fait identiques ». Ce faisant, ces Etats ou leurs ressortissants soumettent sciemment ou inconsciemment les juridictions saisies à un conflit positif. Le conflit aurait également pu être négatif si toutes les juridictions saisies s‟étaient déclarées incompétentes.

335 La CEDEAO est un ensemble sans régional de l‟Afrique de l‟Ouest qui englobe tous les pays de

l‟UEMOA. Ces deux organisations ont chacune sa juridiction supranationale.

336

Voir, TATY (G) : « Les conflits de compétence entre les Cours de Justice de la CEMAC et de l‟OHADA », in acte du séminaire sous-régional, Douala, 16 - 20 décembre 2002, Ed. Giraf, 2003, p. 56 ; Voir également M. KAMTO Maurice, « les Cours de justice des communautés et des organisations d‟intégration économique africaines », Annuaire africain de droit international, 1998, vol. 6, p. 147.

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La deuxième hypothèse envisageable dans le binôme UEMOA/OHADA ou CEMAC/OHADA tient à la connexité de certaines matières pouvant amener les juridictions de ces espaces à être saisies simultanément par les parties.

329. En droit interne, on parlerait de litispendance c‟est-à-dire d‟identité des

litiges dont sont saisies deux juridictions compétentes appartenant au même degré de juridiction ou de connexité337 en ce sens que deux affaires pendantes devant des juridictions différentes sont unies par un lien étroit, de sorte qu‟il apparaît de l‟intérêt d‟une bonne administration de la justice de les faire instruire et juger ensemble. La litispendance et la connexité ayant été éludées, l‟impasse qu‟inspirent ces hypothèses en droit communautaire338 impose l‟élaboration d‟une méthode de rapprochement entre les deux juridictions supranationales de la CEMAC et de l‟OHADA par exemple.

En général, plus que les conflits de juridiction, les contrariétés des normes ont précédemment mis en lumière des tares qui pourront ruiner la fluidité des rapports entre la CCJA et la CJC et entraver le développement d‟une saine justice communautaire. Pour éviter un tel échec, il y a lieu de rechercher les voies d‟une coexistence harmonieuse entre ces juridictions.

Paragraphe 2 : Les solutions aux conflits

330. L‟impact négatif que les deux ordres juridictionnels coexistants laissent sur la vie juridique et sur le développement économique des Etats membres concernés justifie largement la nécessité d‟apporter des solutions immédiates et suffisamment opérantes pour ramener la cohésion et l‟harmonie dans les espaces d‟intégration sous régionale, notamment dans la coordination fonctionnelle entre les Cours de la CEMAC et la CCJA.

337

Sur la distinction entre la litispendance et la connexité, voir COUCHEZ (G.) : « Procédure civile », 13ème éd., Armand Colin, 2004, pp. 113 et ss.

338 Les droits uniformes et communautaires n‟ont pas traité de l‟exception de litispendance mais rien

n‟empêche aux parties de la soulever pour mettre à l‟épreuve la sagesse des hauts magistrats, dans l‟attente d‟une éventuelle réglementation de cette question traditionnellement délicate et source inépuisable des moyens dilatoires et des lenteurs judiciaires. En revanche, l‟article 33 du règlement de procédure de la CCJA évoque superficiellement la connexité et la procédure à y suivre en ces termes : « La CCJA peut, à tout moment, pour cause de connexité, ordonner la jonction de plusieurs affaires aux fins de la procédure écrite ou orale ou de l‟arrêt qui met fin à l‟instance ». La connexité ne sera alors possible qu‟après la constitution des multiples chambres de la CCJA conformément à l‟article 9 du règlement de procédure ou entre la CCJA et les juridictions de cassation nationales, statuant en matière répressive notamment.

Ces solutions peuvent être inspirées de l‟état actuel du droit international général (A) ou résulter des aménagements fonctionnels entre les trois Cours de Justice (B).

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