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III.3 Conclusion

IV.1.4 Influence de l’épaisseur des éprouvettes

Nos éprouvettes de fatigue possèdent une épaisseur très faible puisque caractéristique de celles rencontrées dans les tubes de radiateur de refroidissement (270 μm avant brasage). Comme indiqué précédemment, la littérature ne contient, à notre connaissance, que peu d’études sur le comportement en fatigue de structures aussi fines. Celles-ci ne concernent que des gammes d’épaisseurs supérieures (de l’ordre du mm et au delà). Certains auteurs se sont penchés sur l’influence de l’épaisseur dans la résistance à la fissuration et ce à partir d’essais monotones sur des éprouvettes entaillées3. Tel est par exemple le cas de Zerbst et al. [121] dont les travaux présentent différentes approches permettant de simuler la croissance stable des fissures ainsi que la rupture finale de matériaux de faible épaisseur.

La figure IV.6 illustre ainsi une très nette dépendance de la ténacité Kc, définie dans le précédent paragraphe, vis-à-vis de l’épaisseur des éprouvettes de fatigue et ce, en dessous d’une épaisseur notée Bs sur la figure IV.6-a (épaisseur de 3 mm dans l’étude proposée par Zerbst

et al. [121] - figure IV.6-b). Une telle variation de Kc est imputable d’après Broek [122], au passage, lorsque l’épaisseur diminue, d’un état de déformation plane à un état de contraintes planes. Lorsque l’épaisseur atteint la valeur optimale B0, la ténacité atteint alors son maximum. Selon lui, cette valeur maximale témoigne d’un état de contraintes planes unique dans toute l’éprouvette.

 

Figure IV.6: Evolution de la ténacitéKc en fonction de l’épaisseur -a) dans un cas général [122] -b) pour un aluminium 7075 à l’état T6 [121].

Une telle évolution de la ténacité a été observée et expliquée plus récemment par d’autres auteurs, notamment Pardoen et al. [123, 124, 125] et Pineau et al. [126]. Selon ces auteurs, l’augmentation de la ténacité en condition de contraintes planes s’explique par la coexistence d’une large zone plastique diffuse avec une zone plastique plus localisée en tête de fissure. Cette seconde zone plastique correspond alors à la combinaison d’un travail de striction, dépendant directement de l’épaisseur de l’éprouvette, avec un travail dit d’endommagement directement relié aux propriétés intrinsèques du matériau. La figure IV.7 met en évidence ces différentes contributions lors d’essais de traction réalisés sur des éprouvettes entaillées de type DENT (Double Edge Notched Tension).

Chapitre IV. Mécanismes d’endommagement en fatigue

Figure IV.7: Eprouvette de type DENT illustrant la présence d’une large zone plastique combinée à une zone plastique localisée (échelle macroscopique), d’un phénomène de striction en tête de fissure (échelle mésosco-pique) et d’une zone d’endommagement (échelle microscomésosco-pique) [125].

Cette approche en condition de contraintes planes apporte donc un complément d’explica-tion à l’existence du pic de ténacité observé sur la figure IV.6, pour une épaisseur de l’ordre du mm. En effet, l’énergie plastique dépensée par striction, dépendante de l’épaisseur, est souvent très supérieure à celle dépensée lors de l’endommagement du matériau (germination, croissance et coalescence de cavités) en condition de contraintes planes. Ainsi, partant d’une valeur théorique nulle de l’épaisseur, l’augmentation de la ténacité avec l’épaisseur est induite par une augmentation de la quantité d’énergie plastique dépensée par striction en tête de fissure [123]. Si l’épaisseur augmente encore, la modification du champ de contrainte en tête de fissure se traduit dans un premier temps par un maximum de ténacité puis, dans un second temps, par une réduction de cette dernière jusqu’à atteindre la valeur de ténacité représentative de conditions de déformation plane.

Dans le cas de matériaux possédant une faible épaisseur, il n’est pas garanti d’évoluer dans un état de déformation plane à coeur. Le rapport de la taille de zone plastique Rp sur l’épaisseur

B (équation IV.5) constitue un moyen de définir les états de contraintes en présence en fonction

des données matériaux (équation IV.6) et de l’épaisseur de l’éprouvette en question.

Rapport = Rp B (IV.5) Rp = 1  K σY 2 (IV.6) L’équation IV.6 met en évidence que pour une taille de fissure donnée (ie. K fixe), la taille de la zone plastique sera d’autant plus grande que la limite d’élasticité (σy) sera faible. De fait,

Chapitre IV. Mécanismes d’endommagement en fatigue

une épaisseur plus importante sera nécessaire pour maintenir un état de déformation plane à coeur de l’éprouvette. Expérimentalement, il a été déterminé qu’un état de déformation plane est assuré pour un rapport Rp sur B de l’ordre de 0,025. A contrario, si la taille de zone plastique est de l’ordre de l’épaisseur (Rp/B = 1), un état de contraintes planes intervient dans l’intégralité de l’épaisseur de l’éprouvette.

Dans le cadre de cette étude, aux vues des propriétés mécaniques des différentes configura-tions matériaux et des épaisseurs mises en jeu (0,270 mm), un rapide calcul via les équaconfigura-tions IV.5 et IV.6 témoigne d’un rapport Rp sur B très largement supérieur à 1 (de l’ordre de 100 pour des valeurs de K et σy respectivement égales à 25 MPa.m1/2 et 60 MPa). Un état de contrainte plane est donc susceptible de prédominer dans le cadre de ces travaux.

Broek [122] propose une analyse des différents mécanismes de déformation intervenant respectivement en condition de contraintes planes et de déformation plane via une étude menée sur les cercles de Mohr dans le cas d’une fissure se propageant en mode I (figure IV.8).

Figure IV.8: Plans des contraintes de cisaillement maximales en condition -a) de contraintes planes -b) de déformation plane [122].

Dans le cadre de cette représentation, les contraintes σy, σx et σz correspondent respective-ment aux contraintes principales σ1, σ2 et σ3. Il apparaît très clairement sur cette figure que, dans le cas d’un état de contraintes planes, la contrainte maximale de cisaillement τmax se situe dans un plan orienté à 45° par rapport aux directions des contraintes σ1 et σ3. A contrario, en condition de déformation plane, le cercle de Mohr révèle une très nette différence d’orientation et d’amplitude de la contrainte maximale de cisaillement τmax. Celle-ci se situe cette fois sur un plan orienté à 45° par rapport aux directions des contraintes principales σ1 et σ2. Elle est de plus inférieure à celle rencontrée en condition de contraintes planes. Ceci s’explique par le fait que les contraintes σ1 et σ2présentent la même amplitude quel que soit l’état de contrainte rencontré, pour une contrainte σ3 non nulle en condition de déformation plane (égale à ν(σ1 +

Chapitre IV. Mécanismes d’endommagement en fatigue

Les deux cas de figure présentés ici sont schématisés sur la figure IV.9. La différence d’orientation des plans de contrainte de cisaillement maximal selon l’état de contrainte induit des chemins de déformation très différents.

Figure IV.9: Chemins de déformation orientés suivant des plans orientés à 45° en condition -a) de contraintes planes -b) de déformation plane [122].

Dans le cas de matériaux élasto-plastiques, ces bandes de cisaillement peuvent également être la source d’un endommagement ductile, caractérisé par la germination et la croissance préférentielle de porosités suivant les différents plans précédemment définis en fonction de l’état de contrainte. La figure IV.10 illustre un tel endommagement.

Figure IV.10: Plans supposés d’apparition des porosités en condition -a) de contraintes planes -b) de déformation plane [122].

L’existence de tels plans de cisaillement orientés à 45° dans l’épaisseur de l’éprouvette en condition de contraintes planes se traduit par une modification très nette du mode de rupture : dit "flat" en condition de déformation plane, elle s’avère être de type "slant" en condition de contraintes planes, révélatrice d’un mode de sollicitation mixte I/III. En présence d’une fissure initialement sollicitée en mode I, la littérature identifie le passage d’un mode à l’autre par le

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terme "Flat-to-slant". La figure IV.11 rend compte d’un tel changement de mode de propagation d’une fissure en condition de contraintes planes.

Slant fracture Tensile mode Tunneling Δas a Crack front Fatigue surface B W 2

Figure IV.11: Vue schématique d’un faciès de rupture "Flat-to-Slant" sur une éprouvette de type M(T) [127].

Il est toutefois intéressant de noter que le seul état de contrainte n’est pas suffisant pour induire la modification systématique du mode de propagation. En effet, lors d’une étude menée sur un alliage 6082 sujet à durcissement structural, Pardoen et al. [123] ont mis en évidence une forte évolution des faciès de rupture en fonction de l’état thermique du matériau (T0, T6) et ce, à partir d’essais réalisés sur des éprouvettes de type DENT d’épaisseur comprise entre 1 et 6 mm. Alors que le faciès de rupture de l’alliage à l’état T6 consiste principalement en une localisation de l’endommagement dans des bandes de cisaillement orientées à 45° (slant), l’alliage à l’état T0 présente un faciès de rupture à forte dominante ductile caractérisé de plus par un important phénomène de striction. Les auteurs avancent comme principale raison à une telle différence, une limite d’élasticité et un coefficient d’écrouissage respectivement inférieure et supérieur de l’alliage à l’état T0 par rapport à l’état T6. Le mode d’ouverture/propagation des fissures est donc sensible aux propriétés mécaniques extrinsèques des matériaux (cf figure IV.3) : un mode I unique dans le cas de l’alliage à l’état T0 et une combinaison des modes I et III dans le cas de l’alliage à l’état T6. Selon Pineau et al. [126], il est même communément admis que les matériaux présentant ainsi une haute résistance du fait d’un laminage à froid ou d’un durcissement structural au pic, ainsi qu’un faible coefficient d’écrouissage présenteront un mode de rupture de type slant. De manière analogue, Sutton et al. [128] mettent en avant l’influence de l’anisotropie sur un alliage 2024-T3. Dans cette étude, les éprouvettes sollicitées dans la direction transverse au sens de laminage sont les seules à présenter un mode de rupture de type flat. Celles usinées et sollicitées dans le sens de laminage arborent un mode de rupture de type slant. Bien que non démontrée, la différence de coefficient d’écrouissage entre les deux directions de sollicitation semble responsable d’une telle différence.

La microstructure des matériaux est également susceptible d’influencer le mode de rupture. Ainsi, l’existence d’une seconde famille de précipités, de dimensions inférieures, dans un alliage 2024-T4 a été identifiée par Bron et al. [129] comme responsable du passage du mode flat au

Chapitre IV. Mécanismes d’endommagement en fatigue

mode slant. Selon ces auteurs, la seconde famille de porosités alors présente (provenant de la seconde famille de précipités) induirait une modification des mécanismes de coalescence, favorisant la rupture suivant un mode mixte I/III. Le nombre de grain dans l’épaisseur de l’éprouvette est également un paramètre influant sur le mode d’ouverture/propagation des fissures. Ainsi les matériaux ne présentant qu’un seul grain dans l’épaisseur exhibent très majoritairement une rupture de type slant [126].

Outre une approche analytique des contraintes induites par la présence d’une fissure en condition de contraintes planes, la compréhension des mécanismes d’endommagement passe, d’une part, par l’observation directe des fissures de fatigue et d’autre part, par une capacité à simuler la croissance des fissures ainsi que la rupture finale des matériaux. Les travaux de Zerbst et al. [121] présentent en ce sens un état des lieux des différentes approches existantes.

– Approche basée sur le facteur d’intensité des contraintes

Une des approches rapportée par Zerbst et al. porte sur l’adaptation au cas des structures fines de la notion de facteur d’intensité des contraintes K détaillée dans le paragraphe précédent et valable uniquement pour une approche dans le cadre de la MELR.

Du fait d’une taille de zone plastique non-négligeable par rapport à la longueur de la fissure, une correction peut être apportée au facteur d’intensité des contraintes noté alors

Kef f pour permettre son utilisation lorsque l’épaisseur diminue. Cette correction, valable uniquement dans des conditions de contraintes planes, correspond à la prise en compte de la taille de zone plastique en tête de fissure dans la définition de la longueur de fissure aef f utilisée dans le calcul du facteur d’intensité des contraintes tel que Kef f=K(aef f) avec :

aeff = a + 1  K σY 2 (IV.7) Cette approche est applicable pour un rapport Lr de la contrainte σ appliquée à la limite d’élasticité σe, égal ou inférieur à 0,84.

– Approche élargie élasto-plastique

Classiquement une approche énergétique de type intégrale J, définie par J.R. Rice en 1968 est préférée à l’approche basée sur le facteur d’intensité des contraintes corrigé. Cette approche permet de calculer, lors d’essais monotones, l’énergie de déformation dissipée par unité de surface nouvellement créée lors de la fissuration. Elle est directement reliée à l’énergie dissipée dans la création de nouvelles surfaces ainsi qu’à d’autres phénomènes tels que la plasticité. L’intégrale de la déformation en fond de fissure dépend de plus de l’ouverture de celle-ci [104], paramètre appelé CT OD (Crack Tip Opening Displacement), souvent noté δCT OD (figure IV.12)5. Ces deux grandeurs en question sont reliées propor-tionnellement entre elles par le facteur de Shih dn tel que :

dn= σ0δCT OD

J (IV.8)

où σ0 correspond à la limite d’élasticité du matériau.

4. Dans le cadre de la MELR, le rapport Lrdoit être inférieur ou égal à 0,5 pour être acceptable [121]. 5. Il existe d’autres définitions du CT OD selon la géométrie de la fissure et la complexité du chemin de fissuration [121].

Chapitre IV. Mécanismes d’endommagement en fatigue

Techniquement, la mesure de δCT OD est réalisée à partir d’éprouvettes entaillées normali-sées6. A noter que, selon les normes ASTM E 1820-01 [130] ou ISO 12135 [131], l’étude de structures fines par ce type d’approche ne s’avère pas complètement pertinente car elle ne respecte pas les conditions de déformation plane imposées. Un changement d’état de contrainte se traduit alors par une évolution non proportionnelle des paramètres J et

δCT OD [132]. Seule la mesure du paramètre δCT OD − 5 s’avère possible par cette approche

[121], paramètre que nous ne détaillerons pas dans cette étude.

Figure IV.12: Définition des paramètresCT OD et CT OA [133].

Le second paramètre défini sur la figure IV.12 correspond à l’angle d’ouverture de la fissure, noté Crack Tip Opening Angle (CTOA). Ce dernier est plus adapté pour caracté-riser la propagation stable des fissures en condition de contraintes planes. En effet, bien que pouvant souffrir d’une difficulté de définition en fonction des géométries de fissures, ce paramètre s’avère être constant à partir d’une certaine longueur de propagation stable de la fissure [121].

– Modèles de zones cohésives

Il s’agit là d’une approche numérique aujourd’hui couramment utilisée pour simuler la croissance de fissure dans des conditions de chargement monotone. Parfaitement détaillée dans les travaux de Zerbst et al., nous ne nous attarderons pas sur une telle méthode dans le cadre de cette étude. Cette méthode pourtant très efficace pour prédire numériquement la propagation des fissures nécessitent au préalable une connaissance précise du lieu de fissuration et ce, afin de paramétrer correctement le modèle. Nous verrons par la suite que tel ne sera pas le cas pour nos matériaux brasés.