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Ce dernier terrain assume sa pleine importance en raison du passage d’un processus visant à représenter des phénomènes catastrophiques réellement déroulés, à celui qui, au contraire,

essaye d’imaginer, d’anticiper, des possibles désastres, imminents ou futurs. Ce dernier aspect

semble retracer le prolifique thème des eschatologies, qui, d’un domaine purement religieux, se

déplacent vers un terrain sécularisé. Le troisième point de vue vise un but encore plus profond

qui plonge ses racines dans les pratiques du symbolique. De ce point de vue, les représentations

des catastrophes assument des traits que l’on peut définir ontologiques, au sens qu’elles offrent

une visibilité allégorique ou métaphorique aux dysfonctionnements intrinsèques de la société

moderne et contemporaine. Cette posture est sans doute la plus récente et peut s’inscrire au sein

d’une démarche que le sociologue Edgar Morin nommait « crisologique », au sens d’une

interprétation du réel axée sur le concept de crise. Cette dernière approche convient bien au

terrain de l’urbain, qui, à tous les niveaux, exprime, incarne – actuellement et historiquement -

les pathologies qui sont à la source des angoisses et des inquiétudes collectives.

Une des conséquences directes de cette manière de concevoir le catastrophisme aura une

importance particulière, dans l’économie de cette recherche. La raison réside avant tout dans le

fait que l’approche crisologique conjuguée aux productions culturelles de masse tels que le

cinéma des catastrophes, participe activement à la définition des certains traits du climat culturel

du contemporain, notamment en relation aux rapports au temps historique et aux espaces

urbains.

1.1. Le sentiment de la catastrophe.

Pour faire face à toute forme de complexité – et ici c’est bien le cas – il vaut peut-être

mieux d’abord de partir de la face perceptible, des significations premières, de l’objet ou du

concept en question, qui, dans notre cas, correspond à deux mots. Selon le dictionnaire

étymologique de la langue française Trésor, la première attestation du mot « catastrophe »

remonte à la moitié du XVIème siècle, avec la signification de « fin » ou « dénouement ». La

première origine serait le latin catastropha, mot avec lequel on faisait référence au domaine de la

représentation théâtrale, « coup de théâtre ». En revanche la morphologie du mot renvoie bien

au grec ancien, au composé de kata + strofh, avec lequel on indiquait bien quatre concepts :

ruine ; soumission ; fin, dénouement, mort ; partie dans laquelle s’achève la représentation.

Pour ce qui concerne « désastre », l’autre terme auquel on peut faire référence, - et qui,

souvent, à tort ou à raison, est employé en guise de synonyme -, l’étymologie résulte plus simple.

Le philosophe de l’urbain Thierry Paquot, dans un de ses derniers ouvrages, Désastres Urbains.

Les villes meurent aussi (2015), nous rappelle que ce mot provient de l’italien disastro, qui à son tour

trouve ses racines dans l’expression latine dis+astrum, à la lettre « mauvais astre ». Dans une

acception plus moderne, le mot se réfère à un événement funeste, à un malheur d’une grande

ampleur.

Ce que l’étymologie, toujours précieuse, semble démontrer est une faible correspondance

synonymique entre « catastrophe » et « désastre ». En effet, si le champ sémantique que l’on

parcourt est le même, on est en revanche bien loin d’une véritable analogie de significations.

C’est probablement l’usage courant de ces deux mots, qui a, d’une certaine manière, cristallisé

cette correspondance. Le mot « désastre », en se référant à un événement tragique, funeste,

semble indiquer une récurrence phénoménologique, particulière et circonstanciée, bien que de

grande ampleur ; alors que catastrophe, dans son éventail plus large, indiquerait quelque chose

de plus généralisé, en liaison directe avec l’idée de fin, dénouement de quelque chose.

Peut-on affirmer, tout en gardant une certaine prudence, que la catastrophe est un désastre

dont la portée engendre la fin, la ruine, et peut-être la mort symbolique de quelque chose ? Et

de manière inverse, peut-on affirmer qu’un désastre n’est pas automatiquement une

catastrophe ? Si l’on tient aux seuls données étymologiques, ces questions sembleraient posséder

une réponse affirmative. Mais au-delà de tout souci sémantique, quand on se réfère à faire à ces

concepts, on est obligé à prendre en considération aussi les usages courants, populaires, qui,

comme on a vu, souvent confondent les deux mots. Cette prudence n’a pas le but de mêler les

registres linguistiques, ni de passer à côté des légitimes exigences de précision terminologique.

Elle répond tout simplement à la nature de l’objet que l’on analysera plus tard, le cinéma-

catastrophe, qui reste, avant tout, un produit culturel de masse, avec toutes les imprécisions et

les défaillances du cas.

Ce n’est pas non plus un hasard que les Anglo-saxons, pour se référer à ces films, font

recours, contrairement aux Français, au mot disaster (disaster movies). C’est probablement une

différence liée aux usages culturels. D’une certaine manière, les variations des nuances peuvent

être identifiées au sein des films qui sont inscrits dans ces catégories. Certains d’entre eux

racontent en effet des désastres, des événements précis, situés, circonstanciés. D’autres au

contraire, - on pense notamment au riche filon des narrations apocalyptiques et

post-apocalyptiques -, s’amusent à représenter fins et destructions plus ou moins définitives et

généralisées. Pourtant, les expressions anglaises et françaises n’assument pas cette distinction.

Un film comme par exemple The Towering Inferno (1974), – véritable icône -, reste ancré, en

français, à la catégorisation des catastrophes. De manière spéculaire, la plupart des films

post-apocalyptiques, en anglais, ne semble pas jouir d’une différenciation axée sur l’alternance des

concepts de catastrophe et désastre. La question est en revanche plus complexe et demande de

nous plonger au sein du problème des identités génériques dans le cinéma. Ce n’est pas encore

le moment.

Pour l’instant on se limite à remarquer le décalage entre une étymologie, somme toute

précise, et un usage quotidien, qui, au contraire, fait preuve d’une certaine ambiguïté. C’est donc

au sein d’une confusion linguistique qu’il faut s’orienter afin d’essayer d’envisager avec lucidité

les significations culturelles, politiques et philosophiques du couple catastrophe/désastre, dans

leurs ressemblances et dans leurs divergences. Mundus alter et idem.

Le premier pas est celui de distinguer, le désastre, comme récurrence phénoménologique,

de la catastrophe en tant que concept plus général. À cela s’ajoute une distinction cruciale qui

oppose l’histoire des désastres, - ceux qui ont réellement marqué les civilisations humaines au

cours des siècles -, et la culture des catastrophes, ou si l’on veut, le catastrophisme dans ses

connotations idéologiques, culturelles, représentationnelles, dont le cinéma des catastrophes (ou

disaster movies), serait une des manifestations les plus récentes. Cette précision est fondamentale

puisque notre but n’est pas celui de réfléchir sur les récurrences phénoménologiques des

séismes, des éruptions, des épidémies, etc., mais plutôt sur les instances représentationnelles,

notamment dans leurs liaisons avec les espaces urbains. Comme l’affirme Thierry Paquot « le

“cinéma-catastrophe” annonce depuis longtemps déjà l’effacement de villes entières, englouties

par des vagues ou englouties par la lave… » (2015, p. 11). Si donc, les désastres réels/matériels

ne sont pas le véritable objet en question, leur histoire, du moins culturelle, se veut pourtant

fondamentale.

À cela il faut bien rajouter la dimension narrative et imaginative qui est à la base de toute

fiction. La culture liée aux désastres et aux catastrophes ne surgit pas, bien évidemment, de nulle

part. Elle n’est pas le fruit d’un pur effort de fantaisie. Un des aspects peut-être les plus

intéressants des films que l’on s’apprête à analyser, est la capacité de réélaborer une longue

tradition culturelle en l’ancrant profondément au sein des ontologies du contemporain, qui, de

ce point de vue, semble trempé de désastres et catastrophes, tant dans leur récurrence matérielle,

que dans leurs significations métaphoriques et allégoriques. Pour le dire d’une manière plus

simple, la culture du désastre et de la catastrophe se lie, entre autres, à une interprétation

« crisologique » de la réalité. Elle s’ancre au sein des inquiétudes et des angoisses contemporaines

et se présente, donc, comme un puissant instrument pour sonder les rechutes culturelles des