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L’importance des études menées sur le facteur humain comme contributeur majeur dans les accidents maritimes

CHAPITRE I : REGARDS NOUVEAUX SUR LES PROBLEMES POSES EN MATIERE D’ABORDAGE

A- L’importance des études menées sur le facteur humain comme contributeur majeur dans les accidents maritimes

La navigation maritime s’intéresse de plus en plus à la technologie. Cela facilite la conduite des navires et permet par la même occasion de minimiser les risques de collision entre les navires. En dépit de ce progrès, il ne peut se substituer à l’ingéniosité humaine qui parfois montre ses limites dans la conduite des navires. Pour faire face à ces défaillances de l’homme, les grandes nations maritimes se sont engagées dans des études afin de réduire les erreurs humaines (1). Parmi ces nations figure, la France qui a contribué à ces études de manière particulière (2).

1- L’étendue des recherches étrangères

78. Certaines catastrophes maritimes ont pour cause des erreurs humaines. Ce fut le cas

du naufrage des navires Herald of Free Enterprise198, l’Exxon Valdez199, le Scandinavian Star200,

le Braer201 et plus récemment, le Costa Concordia202. L’examen de ces naufrages qui ont marqué l’histoire de la navigation a conduit certains auteurs à dire que le facteur humain est une des sources essentielles qui contribuent aux risques maritimes et il n’est pas rare de fixer ce taux entre 75 et 80% des accidents203.

198Une surcharge et les portes du navire grandes ouvertes au moment de quitter le port de Zeebrugge, comme cause

du naufrage.

199

L’une des plus grandes marées noires en date du 24 mars 1989 due au fait que le commandant du pétrolier a confié la conduite du navire au 3e officier qui n’était pas qualifié pour garder la passerelle.

200Le 7 avril 1990, un incendie ravagea le car-ferry Scandinavian Star. L’enquête a révélé que le ferry n’était pas

opérationnel pour naviguer avec des passagers lors de sa mise en service. Il a été aussi reproché au capitaine d’avoir abandonné son navire et de n’avoir pas tout fait pour sauver les passagers. Mais pire, l’enquête a permis de savoir que son équipage hétérogène trop rapidement constitué était incapable de se familiariser en un temps record avec le navire. L’équipage n’avait pas été entrainé aux techniques anti incendie.(Le marin, 14 février 1991)

201Le 5 janvier 1993, le pétrolier Braer s’échoua et se brisa sur les rochets des Shetlands en déversant toute sa

cargaison. Le comportement du commandant fut critiqué. L’enquête lui reprochait d’avoir manqué à son devoir de préserver la navigabilité la navigabilité de son bâtiment en ne prenant aucune mesure pour jeter par-dessus bord des tuyauteries se trouvant en pontée.

202

Lenaufrage du Costa Concordia est un accident de paquebot de croisière, survenu en Méditerranée, le vendredi13 janvier 2012, à proximité de l'île du Giglio, au large du littoral sud de la Toscane et faisant 32 morts. La cause du naufrage : Francesco Schettino : « Barre à gauche toute». Le timonier se trompe et met la barre à droite. Quelques instants plus tard il se ravise et met la barre à gauche, l'arrière du bateau ne va pas suivre (sous l'effet de l'inertie). Le navire se trouve à 150 mètres des rochers (le Scole).

203C. CHAUVIN, Le facteur humain et la sécurité maritime, Revue maritime n° 489, IFM, septembre 2010/ Voir

également F. LILLE et R. BAUMLER, L’intelligence de l’autre : prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun, ECLM, 2007 p. 118 Ainsi, ces auteurs menant une réflexion sur le tout technique pour s’en convaincre de la réduction des risques d’accidents ayant leurs sources dans le facteur humain ont estimé que : « Les hommes sont de moins en moins nombreux au travail. Cette élimination progressive trouve un

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En se référant aux enquêtes sur certains accidents, l’OMI a procédé à une classification des erreurs humaines204. L’observation qu’on peut faire sur cette catégorisation telle que reprise par ces auteurs, est qu’elle présente un réel chevauchement les unes sur les autres. Bien d’éléments d’une catégorie se retrouve dans l’autre montrant une fois de plus le caractère presqu’insaisissable et imprévisible du facteur humain en ce qui concerne son implication dans les accidents maritimes.

79. Antérieurement à une recherche approfondie en psychologie sur « Les facteurs

humains au cœur de la sécurité maritime : la gestion des ressources en passerelle du navire »205,

une description des facteurs contribuant aux incidents et accidents maritimes avait été faite par des auteurs206. Cependant, cette description présente une particularité et met en évidence une notion importante : celle des sciences cognitives207 qui ne sont pas du domaine des juristes mais dont ils doivent nécessairement se servir pour mieux appréhender les facteurs humains afin d’une prévention optimale des risques maritimes. Ce qu’on peut ajouter c’est que contrairement au secteur aérien où ces études sont très développées, elles sont encore récentes et marginales dans le secteur maritime comme le soulignent des auteurs208.

80. Inutile de le dire, le traitement du facteur humain comme contribuant à la réalisation

des risques maritimes échappe encore à l’ingéniosité humaine. C’est en raison de cela, qu’un auteur a fait le choix de nous consoler. 209 Faut-il, face à une telle réponse timide consistant

argument de poids dans l’analyse statistique des accidents qui fait apparaître l’élément humain comme intervenant entre 60 et 80% des cas. »

204 F. LILLE et R. BAUMLER, op.cit, p.115

205J-P CLOSTERMANN, Les facteurs humains au cœur de la sécurité maritime : la gestion des ressources en

passerelle du navire, Thèse de Doctorat, mention Psychologie, Université Bretagne-Sud, 2014, sous la Direction de Christine Chauvin

206HETHERINGTON, FLIN & MEARNS, 2006. Le facteur humain apparaît, en effet, comme la principale cause

des événements de mer. Ce sont : les facteurs entraînant une diminution de la performance (fatigue, stress et problèmes de santé), capacités techniques et cognitives insuffisantes, compétences interpersonnelles insuffisantes (difficultés de communication, de maîtrise d’une langue commune), aspects organisationnels (formation à la sécurité, management des équipes, culture de sécurité).

207 La psychologie cognitive met l’accent sur l’importance de la qualité de la représentation mentale dans la prise de

décision. Différents auteurs ont cherché à développer des exercices dits « de prise de décision » (notamment Pliske, McCloskey et Klein, 2001), visant à entraîner de jeunes professionnels à analyser une situation complexe de façon à pouvoir prendre une décision satisfaisante. Ces exercices ont été mis en œuvre et évalué dans le cadre de la formation des élèves officiers de 5 e année (Chauvin, Clostermann HETHERINGTON, FLIN & MEARNS, 2006. Le facteur humain apparaît, en effet, comme la principale cause des événements de mer. Ce sont : les facteurs entraînant une diminution de la performance (fatigue, stress et problèmes de santé), capacités techniques et cognitives insuffisantes, compétences interpersonnelles insuffisantes (difficultés de communication, de maîtrise d’une langue commune), aspects organisationnels (formation à la sécurité, management des équipes, culture de sécurité).

207La psychologie cognitive met l’accent sur l’importance de la qualité de la représentation mentale dans la prise de

décision. Différents auteurs ont cherché à développer des exercices dits « de prise de décision » (notamment Pliske, McCloskey et Klein, 2001), visant à entraîner de jeunes professionnels à analyser & Hoc, 2009)

208 BRUN et al, 2005 ; SALAS et al, 2006 ; HETHERINGTON, FLIN & MEARNS, 2006

209C. CHAUVIN, op.cit, p. 20 « Comme dans toutes les industries à risque, les facteurs humains et organisationnels

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essentiellement en la formation des équipages croire en la maîtrise des erreurs humaines ? En tout cas des études et actions ont été menées il y a des décennies.

En 1980, l’administration britannique a entamé les premières recherches sur l’influence de l’élément humain dans les accidents. Ces recherches ont présenté en 1982 des conclusions et leurs rapports finaux en 1988 faisaient état de ce que 90% des abordages et 75% des accidents et explosions survenus dans la marine marchande britannique entre 1970 et 1979 étaient dus à des erreurs humaines. Des recherches ont été aussi menées par le Département of Transportation and communication australien qui révéla en 1992 que près 75% des incidents ayant fait l’objet d’une enquête au cours des dix dernières années dus à l’erreur humaine et 25% seulement à des défaillances mécaniques ou structurelles.

Quant aux américains, par le biais de l’USCG, ils ont engagé un programme de recherche sur les facteurs humains en 1992, précisément dans cinq domaines : équipage, qualifications, diplômes, conception des systèmes automatisés, communication, données et procédures de sécurité, pratiques organisationnelles. Ces recherches ont permis de faire apparaître que plus de 80% de tous les événements de mer ayant des conséquences importantes pouvaient être directement ou indirectement attribués à l’erreur humaine.

Ajoutons qu’une étude menée sur 811 demandes d’indemnisation introduites par West of England, un club de P & I, entre 1987 et 1992 a montré que 65% des accidents de mer étaient dus à l’erreur humaine. Pour le Transportation Safety Board canadien, 84 à 88% des accidents de navires citernes survenus entre 1975 et 1992 seraient dus au facteur humain. En ce qui concerne le UK P&I Club, il a mené des études sur les demandes d’indemnisation qui lui ont été présentées entre 1991 à 1995. L’étude a permis en 1992 de montrer que 60% des accidents en général étaient dus à l’erreur humaine. Dans un rapport, en collaboration avec l’Institut de droit maritime de Southampton, le UK a démontré que la gestion active des équipages était un facteur de plus en plus important pour élever les normes et l’efficacité de l’exploitation des navires210.

81. Le droit maritime s’en est approprié quelques fois en mettant en place des méthodes d’enseignement et de formation211 mais aussi des moyens, des mécanismes d’évaluation des

compétences et aptitudes des équipages212 pour espérer réduire les catastrophes maritimes ayant leurs causes dans les erreurs humaines. Mais, les catastrophes maritimes impliquant des erreurs

d’analyse à des auteurs tels que Reason, Rasmussen ou Perrow pour élaborer ou conforter leurs modèles. Il appartient désormais aux chercheurs et aux acteurs du secteur maritime de tirer profit des expériences menées dans d’autres secteurs à risque, pour concevoir des artefacts, des formations et des organisations qui contribuent à l’augmentation du niveau de sécurité dans leur domaine d’activité. »

210

UK P&I Club : « Analysis of major claims 1993”. London, 1993

211 CODE STCW de 1978 et ses amendements successifs de 1995 et de 2010 212 Le code ISM

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humaines dont l’un des plus récents est le naufrage du COSTA CONCORDIA en 2012213 ne

cessent de se succéder. L’analyse des études étrangères nous a permis de nous rendre compte des efforts consentis jusqu’ici au traitement du risque que représentent les erreurs humaines dans les accidents en mer. La France dans une approche académique a apporté sa contribution en la matière.

2- La contribution des études françaises par une approche académique

82. La contribution de la France en ce qui concerne les recherches sur le facteur humain ont été essentiellement mise en œuvre dans l’ouvrage du Professeur Clostermann. Ainsi, l’auteur confirme le facteur humain comme contributeur majeur dans les accidents maritimes. Il a rappelé l’importance de l’expertise du domaine aéronautique et la formation aux facteurs humains qui ont été mises en place. A cela, un auteur a ajouté que grâce à ces formations, la part des erreurs humaines dans les crashs d’avions commerciaux est désormais en dessous de 55% et ce chiffre a encore toutes les chances de baisser214. M. Clostermann, pour aboutir à la compréhension des causes des défaillances qui menacent la navigation, a fait un croisement d’éléments de la psychologique cognitive et sociale, d’ergonomie215, de physiologie et même de sociologie. Enfin,

l’auteur propose des solutions notamment en s’appuyant sur celles qui ont été déjà approuvées dans le domaine de l’aviation.

83. Toujours dans le cadre des recherches françaises, un colloque a été organisé les 25 et 26 mars 2010 sur le thème : « l’homme au cœur de la sécurité maritime » à l’ENMM de Marseille. On comprend aisément que la question du facteur humain comme contributeur majeur aux accidents maritimes est prise au sérieux par les participants216.Cette rencontre a été une occasion pour rappeler les nombreuses actions entreprises par les acteurs français217.Enfin, ce fut une occasion pour attirer l’attention des élèves de l’ENMM sur l’importance des enseignements

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Sur demande du chef cuisinier, le capitaine décide de passer trop près des côtes de l’île de GIGLIO pour lancer un salut aux riverains. C’est ainsi que le navire s’est fait éventrer par un rochet sur une longueur d’au moins 70 m.

214 I. BOURBONNAIS-JAQUARD, op.cit, p.288 215

« Ce sont les processus d’activité mentale appliqués aux diagnostics des situations et à la prise de

décision », définition donnée par le Professeur Christine Chauvin, extrait de : l’homme au cœur de la

sécurité maritime, synthèse du colloque sur le facteur humain, Dossier IFM, janvier 2011, Revue maritime n° 490. p.65

216 Compagnies maritimes comme Louis Dreyfus, CMA et la SNCM ; les responsables de formation aux facteurs

humains tels que Mme C. CHAUVIN et M. CLOSTERMANN ;et des chercheurs

217La compagnie Louis Dreyfus prend en compte le facteur humain dans la conception de ses navires. Quant aux

sociétés SNCM et la CMA, elles se sont associées à la mise en place du simulateur de navigation à l’ENMM Marseille.

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aux facteurs humains. Indiquons que les études menées sur le facteur humain ont pour objectif de mieux amorcer sa prévention.