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Chapitre 6. Discussion générale, conclusions générales et perspectives

6.1. Discussion générale

6.1.6. Implications pour la sauvegarde des espèces des terroirs

les mêmes conditions écologiques afin de mettre en évidence les différences dues au seul facteur ethnique. Bien que cette contrainte soit atténuée ou limitée dans le Bassin arachidier, où une homogénéité pédologique, topographique et climatique n’est pas impossible, elle demeure une limite importante dans les Niayes. C’est pourquoi, quoiqu’à l’échelle interzonale, les végétations soient bien séparées, cela n’a pas été toujours possible à l’échelle intrazonale. Autrement dit, le facteur terroir ou ethnique n’a pas été nettement discriminant. La conséquence de la variabilité écologique est la diversité floristique élevée, et l’importance des espèces à large distribution géographique, pouvant former un fond commun d’espèces entre différentes végétations. Cela a eu des effets directs sur la formation d’un grand nombre d’axes lors des analyses multivariées, le niveau faible des variances expliquées par ces axes et la faible séparation des groupements surtout dans le Bassin arachidier.

Une source de variabilité concerne les modes d’exploitation de l’espace agricole. Dans les Niayes comme dans le Bassin arachidier, une diversité des modes d’exploitation a été notée suivant la taille des exploitations, les types de cultures, les moyens humains, matériels et financiers. La zone des Niayes connaît de petites, moyennes et grandes exploitations spécialisées dans le maraîchage, l’arboriculture et l’élevage en modernisation alors que le Bassin arachidier garde une configuration traditionnelle des exploitations avec une rotation mil/arachide dominante. Les vergers des Niayes renferment encore une flore naturelle importante, surtout herbacée qui ne concurrence pas la strate arborée. Par contre, dans le Bassin arachidier, cette flore est constamment détruite dans les grandes cultures (mil, arachide). La culture attelée bien vulgarisée dans la Bassin arachidier contribue à l’élimination plus rapide des souches ligneuses, donc du potentiel de régénération végétative importante des espèces. Selon Donfack (1998), l’absence de labour permet de maintenir dans les parcelles pendant la phase de culture un potentiel de souches ligneuses qui favorise le retour des arbres après abandon cultural. Le plus fort niveau d’utilisation des engrais chimiques dans les Niayes, milite en faveur d’une culture intensive des mêmes parcelles, limitant ainsi le défrichement de nouvelles parcelles. Dans le Bassin arachidier, le front agricole, à tendance extensive depuis des décennies, a fini de dégrader les principales formations savanicoles de la zone. Il s’y ajoute que ses cultures pluviales, ont subi les effets de la sécheresse occurrente depuis des années. Cela pousse davantage les populations à l’exploitation forestière souvent frauduleuse pour trouver des ressources financières additionnelles. Ces différents facteurs socio-économiques seraient, entre autres, à la base d’une pression anthropique différente, d’un village à un autre, d’une zone à une autre. Cette pression pourrait jouer un rôle dans le niveau de la diversité floristique plus élevé dans les Niayes, et en particulier dans son terroir peul. Une étude plus poussée des modes d’exploitations devrait être entreprise pour mieux établir leurs liens avec la biodiversité.

6.1.6. Implications pour la sauvegarde des espèces des terroirs

Selon Koffi (2008), la réduction des superficies forestières, leur fragmentation et leur dégradation sont les trois composantes du processus de destruction des ressources végétales. Cette situation en vigueur au Sénégal a ainsi contribué à la dégradation des écosystèmes forestiers qui détermine la perte de biodiversité (Chatelain et al., 1995 ; Hill and Curran, 2005 ; Cramer et al., 2007) et la faible densité des arbres dans les zones cultivées (Sall, 1996). Cependant, les paysans perçoivent, de

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prime abord, les transformations des forêts environnantes en savanes comme des effets des feux de brousse intenses et fréquents et du déclin de la pluviosité selon Lykke (2000). Wezel (2004) note que la disparition d’espèces suite à la baisse de la pluviométrie est rare. Les espèces sahéliennes en période de sécheresse peuvent connaître une baisse de densité surtout dans la limite nord de leur zone de répartition et dans certaines unités géomorphologiques défavorables (plateaux, dunes, etc). Elles vont se réfugier dans les endroits favorables comme les dépressions et les vallées ou vers la limite sud de leurs zones de répartition (Breman et Kessler, 1995 ; Lykke, 1997). Le facteur humain reste le facteur dominant pour la plupart des espèces disparues dans le Sahel. Cet état de fait est souligné par Breman et Kessler (1995), Nicholson et al. (1998) et Le Houérou (2002). Ils ont constaté une relation entre baisse de pluviométrie et déclin des espèces mais la disparition finale est liée à la surexploitation humaine. Gonzalez (2000) signale aussi une perte de diversité.

En Afrique de l’Est, Bussman et al. (2006) ont déjà indiqué que la surexploitation des ressources végétales a conduit à leur déclin. C’est dans ce contexte que la conservation et l’utilisation durable des ressources biologiques est une question fédératrice de plusieurs disciplines (Thiombiano et al., 2006). Cette prise de conscience collective préoccupe la communauté scientifique dans son ensemble, mais aussi de plus en plus les décideurs politiques. Une des composantes rentables est la création de réserves naturelles (Balmford et al, 2002).

Aujourd’hui, la tendance globale en Afrique est de revenir à une gestion participative des forêts, des réserves et des parcs forestiers ou de faune. Associer les populations en amont est encore meilleur. Aussi celles appartenant aux trois grandes ethnies de la zone soudanienne et sahélienne du Sénégal ont priorisé 124 espèces ligneuses. Ce qui a permis de les regrouper en quatre classes de priorité décroissante suivant le poids des réponses des personnes interviewées (annexe 3.3). Un des objectifs était de sérier les espèces suivant l’ordre d’importance pour les populations afin de baser sur ces résultats une stratégie qui force l’adhésion des populations environnantes. L’autre objectif est de bâtir une stratégie de sauvegarde qui permet la conservation de la biodiversité afin d’éviter et la raréfaction et la disparition d’espèces. Les principes de gestion qui vont être décrits ci-dessous ne sont pas des principes de conservation au sens strict du terme mais surtout un moyen de retarder voire limiter la disparition des espèces les plus utilisées. Cela permettrait d’initier l’esprit de culture des espèces utiles par les utilisateurs comme ceux-ci cultivent les espèces alimentaires ou commerciales. Avec ce principe d’aménagement des terroirs, il est attendu une diminution de la pression sur les ressources naturelles dans les réserves et zones naturelles.

Pour créer un système agricole diversifié pouvant compenser la surexploitation des ressources et garantir la résilience (Tscharntke et al., 2005), il est donc nécessaire d’impliquer les populations locales dans le choix des espèces et la mise en œuvre des schémas d’aménagement y compris le renforcement de la biodiversité ligneuse dans les systèmes cultivés (aménagement agroforestier). Pour compléter la suggestion de Balmford et al. (2002), il est nécessaire d’interconnecter les systèmes d’utilisation des sols par des couloirs. Ceux-ci seront construits en plantant les espèces des différentes classes de priorité à la conservation (annexe 3.3) définie dans les terroirs. Les couloirs ou corridors sont des bandes de végétation naturelles ou artificielles renforcées ou créées avec les espèces des 3 premières classes de priorité ; l’affectation des espèces aux portions de corridors dépend des choix et des goûts des populations exprimés par le niveau plus ou moins élevé de la

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fréquence des personnes ayant fortement priorisé leur conservation, plus la priorité est forte plus l’espèce est proche du centre du village. Ainsi dans chaque terroir, les espèces de la première classe de priorité à la conservation seront plantées dans les habitations, les champs de case et les portions de corridors situées à proximité des terroirs. Dans les pleins champs et les champs de brousses, les espèces des classes 2 (espèces prioritaires selon 20 à 45 % des répondants) puis 3 (espèces prioritaires selon 10 à 20 % des répondants) seront plantées. Les espèces de la dernière classe, à faible intérêt, et à faible priorité pour les populations sont intégrées dans les réserves existantes ou nouvelles. Ces opérations se font dans une démarche participative mise en œuvre par un partenariat multi-acteurs dans lequel, les populations locales assurent l’essentiel de la main-d’œuvre. Les techniciens et chercheurs forestiers et écologues joueront le rôle de conseillers techniques et d’accompagnement. Les autorités politiques et les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux acceptent de financer un tel programme qui pourrait être généralisé à l’échelle sous-régionale voire régionale.

Dans cette dynamique de généralisation, il sera nécessaire de poursuivre les recherches sur la savane d’Afrique de l’Ouest pour déterminer le niveau de dégradation afin d’identifier les zones refuges de biodiversité et de pouvoir les interconnecter de sorte à permettre les échanges de gènes entre taxa spécialistes des systèmes cultivés et ceux des systèmes naturels. A ce niveau, l’agrobiodiversité et ses fondements écologiques occupent une place centrale. La diversité biologique agricole inclut toutes les composantes de la diversité biologique qui relèvent de l’alimentation et de l’agriculture et toutes celles qui interviennent dans le fonctionnement des agrosystèmes ou qui contribuent au maintien de leurs fonctions clés. On pourrait alors la situer à trois niveaux :

- les ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture : ceci comprend toutes les espèces cultivées et/ou domestiquées y compris leurs congénères sauvages ;

- les composantes de l’agrobiodiversité qui procurent des services écologiques : celles-ci incluent les organismes utiles qui contrôlent les ennemis des cultures, les organismes qui fertilisent le sol et les pollinisateurs ainsi que les plantes qui contribuent à la conservation des eaux et des sols ;

- les composantes de l’agrobiodiversité qui sont des ennemis des cultures et des récoltes : celles-ci comprennent les champignons, bactéries et virus pathogènes, les ravageurs des cultures comme les insectes, les nématodes, etc., et aussi les plantes adventices y compris les plantes parasites. Ces dernières composantes devront faire l’objet d’études approfondies afin de pouvoir assurer leur contrôle à chaque fois qu’elles constituent une menace au fonctionnement des agrosystèmes.

Pour alimenter la stratégie de création des couloirs ou corridors et affiner la démarche de généralisation sous-régionale voire régionale, des critères de choix des espèces dans chacune des classes de priorité à la conservation devraient être identifiés. Ce choix ne devrait pas se limiter simplement aux critères écologiques mais devrait aussi tenir compte des préférences et goûts des populations locales pour une plus grande chance d’adoption. Ces préférences varieront d’une zone à une autre, et d’un pays à un autre. La faisabilité des principes d’aménagement évoqués ici devrait faire l’objet d’études dans les zones ciblées. Elle dépendrait, entre autres, de facteurs écologique, socio-économique, technique, financier et politique qui ne sont pas spécialement abordés dans ce travail.

Discussion générale, conclusions générales et perspectives

   

Crédit photo E.Faye : 2009 (a et b forêt de Mbao),

2006 (c réserve de flore de Noflaye ; d vallée de Diambalo, Niayes). Photo 6.1. Aperçu sur la végétation actuelle des Niayes.