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Chapitre 6. Discussion générale, conclusions générales et perspectives

6.1. Discussion générale

6.1.2. Analyse des usages et de la priorité à la sauvegarde de la diversité végétale

6.1.1.2. Dynamique des groupements en rapport avec ceux de Trochain (1940)

Comparant les groupements actuels décrits dans les Niayes et le Bassin arachidier à ceux de Trochain (1940), il apparait une nette ouverture de leurs végétations à la flore rudérale, culturale et post-culturale. Tous les groupements de Trochain (1940) ont connu sur 70 ans une évolution régressive (c’est-à-dire une disparition de la flore initiale remplacée par une flore plutôt anthropophile) excepté le groupement hydrophyte à Typha australis qui a évolué vers le groupement à Phragmites australis subsp. autralis et Paspalum vaginatum, et le groupement à

Aristida stipoides, une steppe qui a évolué vers une savane arbustive. Ces deux groupements sont

issus des Niayes. Cette situation met en évidence deux faits majeurs dans cette étude. Le premier est que la zone des Niayes malgré une forte perturbation et une dégradation de sa végétation est encore plus naturelle que la zone du Bassin arachidier dont tous les groupements sont en régression. Le deuxième est que la végétation aquatique peut revenir à une situation naturelle lorsque le niveau de pluviosité s’améliore sur plusieurs années, et que la savane herbeuse sauvegardée peut évoluer vers une formation où la présence de ligneux est plus importante.

6.1.2. Analyse des usages et de la priorité à la sauvegarde de la diversité végétale

La discussion des résultats ethnobotaniques porte sur les éléments issus de la série d’hypothèses posées au départ sur ce volet suivi de l’analyse concomitante des résultats saillants des volets phytosociologiques et ethnobotaniques. Cette analyse qui recherche un fil conducteur utile pour les propositions d’aménagement des terroirs sera articulée autour de l’interprétation phytosociologique et ethnobotanique des données globales sur les terroirs villageois, des relations entre richesse spécifique et valeur ethnobotanique (corrélation) et enfin de l’échelle de validité de ces relations ainsi que de leurs interprétations.

6.1.2.1. Diverses appréciations de l’évaluation ethnobotanique

Les zones des Niayes et du Bassin arachidier sont séparées sur les plans phytosociologique et ethnobotanique. Autant l’analyse globale des relevés sépare les deux zones autant l’analyse ethnobotanique les discriminent également. Les villages homologues ou non, ne sont pas clairement séparés sur le plan phytosociologie car les groupements sont formés de relevés issus généralement de plusieurs terroirs. Par contre, les villages homologues sont différents dans l’évaluation globale des catégories étudiées. Une sorte de parallélisme entre les analyses phytosociologiques et ethnobotaniques se dégage à l’échelle interzonale. Ce constat sur les deux domaines de recherches principales de cette thèse montre l’importance de deux branches influentes sur l’organisation de la végétation dans les zones d’étude : les conditions écologiques et les activités anthropiques. Cette deuxième branche est à la base de l’ethnobotanique. Autrement dit, la pression anthropique différente d’une zone à l’autre, se traduisant par des niveaux d’appréciation différents des usages à travers les fréquences cumulées des répondants (ou scores), discriminerait nettement les Niayes et le Bassin arachidier, de même que les villages homologues. Les scores des répondants sont supérieurs dans les villages du Bassin arachidier comparés à ceux des Niayes. Les scores font mieux ressortir les différences entre facteurs que la fréquence des répondants. Les effets terroirs existeraient sur

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l’évaluation ethnobotanique des villages homologues mais pas sur l’identification des groupements végétaux des terroirs.

6.1.2.2. Interprétation phytosociologique et ethnobotanique des données sur les terroirs

Un fait marquant est que les villages sérers occupent une position plus ou moins intermédiaire entre les villages peuls et wolofs du point de vue ethnobotanique principalement dans les Niayes. La signification phytosociologique est que la zone sérer serait floristiquement une transition entre milieux peuls et milieux wolofs, ce qui reste à être confirmé ; sur le plan ethnobotanique cela revêt deux significations, (i) pour les Niayes une augmentation du score d’évaluation des espèces au travers des catégories du terroir peul vers le terroir wolof en passant par le terroir sérer, c’est-à-dire suivant l’augmentation de la densité de population (respectivement 8, 40 et 58 hbts.km-2) ; dans les Niayes, plus la densité est importante plus le score d’évaluation des espèces est fort ; (ii) pour le Bassin arachidier, une évaluation forte dans le terroir sérer (plus dense avec 101 hbts.km-2) et moins élevée dans les terroirs wolof et peul (respectivement 52 et 77 hbts.km-2). Dans les deux zones la densité de population la plus forte correspond au score d’évaluation le plus élevé. Les scores d’évaluation des espèces plus forts dans le Bassin arachidier que dans les Niayes semblent être fortement liés à une densité de population plus forte dans le Bassin arachidier.

6.1.2.3. Relations entre importance de la diversité et importance de ses usages

Un deuxième fait saillant est que, dans les deux zones, les villages peuls (Toula et Diaoulé) sont, en valeur absolue, généralement les plus riches en espèces, en genres, en familles, en phanérophytes, en thérophytes, en sarcochores et en espèces soudaniennes et guinéo-congolaises que les autres villages mais pas toujours en espèces rares et endémiques. Cependant ces villages peuls, comparés aux autres villages, accordent moins d’importance ethnobotanique quantitative. Une corrélation négative entre importance de la diversité végétale et importance des usages de cette diversité pour les populations serait une hypothèse explicative. Cela n’est pas loin de la loi de l’offre et de la demande présentée dans les principes d’économie politique par Marshall (1890) où la valeur d’un produit est inversement proportionnelle à son offre. Autrement dit, puisque la diversité végétale est encore bien représentée dans les Niayes, les populations ont un choix plus varié que dans les conditions de rareté des espèces qui caractérisent le Bassin arachidier. Les populations peuls des Niayes et du Bassin arachidier sentent moins les menaces qui pèsent sur la biodiversité. Cette impression pourrait les amener à sous-estimer leur importance quantitative. Dans les autres villages, à l’exception de Keur Mary, c’est exactement le même comportement qui est noté, c’est-à-dire plus de biodiversité moins de valeur ethnobotanique ; moins de biodiversité plus de valeur ethnobotanique. Un résultat illustrant cette découverte à l’échelle d’un usage pris isolément, c’est-à-dire l’usage bois de feu, est celui de Lykke et al. (2004) qui signalaient, malgré la préférence des bois denses dans le Sahel, qu’en général lorsque les sources de bois sont rares, tout ce qui est disponible est utilisé comme bois-énergie pour la préparation journalière des plats. C’est ainsi qu’au Burkina Faso, des espèces comme Leptadeniahastata sont citées par les populations selon Lykke et al. (2004). Cette relation inverse entre rareté et importances des espèces a été plus tard confirmée par Faye (2005) et Faye et al. (2008) dans le Bassin arachidier en signalant l’utilisation de

Adansonia digitata comme bois de feu. De façon plus générale, d’autres auteurs avaient trouvé

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autres sont susceptibles d’être utilisées comme bois-énergie dans les zones dégradées (Smith et al., 1996 ; Ganaba et al., 1998 ; Lykke, 2000 ; Kristensen et Balslev, 2003).

6.1.2.4. Echelle de validité et interprétation de la corrélation négative

La diminution du score d’évaluation ethnobotanique quand la diversité végétale augmente (corrélation négative) a été mise en évidence à l’échelle interzonale. A l’échelle zonale, elle est vérifiée dans le terroir peul des Niayes plus diversifié par unité de surface mais avec le plus faible score d’évaluation globale des catégories au travers des espèces. Les autres terroirs, moins diversifiés ont enregistrés les plus grands scores. Dans le Bassin arachidier, la diversité par unité de surface important va de paire avec une augmentation du score d’évaluation ethnobotanique. Cependant, les terroirs du Bassin arachidier les plus diversifiés, ayant les plus grands scores d’évaluation, sont aussi les plus densément peuplés. Comme le terroir peul des Niayes, plus diversifié, avec le plus faible score d’évaluation, est moins dense, on peut penser que dans les deux zones, la densité de population, semble expliquer la forte évaluation, plus que la diversité. Cependant, à l’échelle interzonale, cet effet densité ne permet pas d’expliquer la forte évaluation ; la diversité l’expliquerait mieux que la densité. Dans tous les cas, diversité et densité de population expliqueraient ensemble la valeur plus ou moins grande importance accordée par les terroirs aux espèces végétales. En effet, entre les deux zones, de façon globale, la plus grande richesse floristique, le niveau plus élevé des critères biologiques de « naturalité » de l’environnement des Niayes comparé à celui du Bassin arachidier, et la densité globalement plus faible, vont avec une évaluation ethnobotanique moins importante. Tous les sites étudiés dans les Niayes ont enregistré des scores moins élevés dans l’évaluation cumulée des différentes espèces comparés au Bassin arachidier. Cela permet d’appliquer la loi de l’offre et de la demande au moins à l’échelle plus grande de la zone.

Ecologiquement, la corrélation négative interzonale évoquée dans le paragraphe précédent, signifierait que les zones dégradées continueront de l’être étant donné que la rareté des ressources appelle une diversification des sources alternatives d’approvisionnement, c’est-à-dire une importance accrue accordée à des espèces habituellement non ou peu préférées des populations (Smith et al., 1996 ; Ganaba et al., 1998 ; Lykke, 2000 ; Kristensen et Balslev, 2003). Celles-ci finiront par se raréfier, voire disparaître. Ce processus de parachèvement de la dynamique par la disparition des espèces avait déjà été évoqué ailleurs. En effet, selon Wezel (2004) plus que le facteur climatique, c’est le facteur humain qui parachève la disparition des espèces après que les changements climatiques auront entraîné la perte de densité des espèces ligneuses (Poupon, 1976 ; Gonzalez, 2001). La seule alternative dans une telle situation, c’est l’intervention des experts pour la réintroduction des espèces disparues et la sauvegarde des espèces menacées. Pour être efficace, cette intervention doit être accompagnée durant une phase transitoire par la promotion de produits manufacturés de substitution au bois, à la pharmacopée, etc. La promotion de produits nouveaux devrait aller de paire avec la vulgarisation d’un paquet technique garantissant l’utilisation d’un mode de prélèvement compatible avec la durabilité de la ressource végétale. Pour ce faire, la recherche appliquée se doit de fournir ces modes de prélèvements améliorés résultants d’expérimentation forestière en milieu réel, en rapport avec les pratiques locales.

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Par contre, dans les zones encore floristiquement riches, la corrélation négative renvoie à une faible importance accordée aux espèces « nouvelles », ce qui se traduit par une surpression sur un petit nombre d’espèces et une négligence sur les autres. Avec la modification de la densité de population, cette tendance pourrait changer. Dans tous les cas, cette négligence est un couteau à double tranchant car elle peut conduire à la sauvegarde de ces espèces nouvelles ou à leur destruction massive. La seule alternative devrait venir d’une recherche scientifique sur les vertus d’une gamme plus large d’espèces à proposer aux populations pour diversifier les sources d’approvisionnement en produits ligneux et non ligneux. Eromosele et al. (1991) avaient commencé l’analyse des teneurs en éléments minéraux et acide ascorbique des fruits de plantes sauvages. Herzog et al. (1994) l’ont poursuivi en Côte d’Ivoire en analysant la composition et la consommation de fruitiers forestiers de la zone Baoulé ; Baumer (1995) et Vivien et Faure (1996) ont respectivement recensé les espèces fruitières du Cameroun et les arbres, arbustes et arbrisseaux nourricier d’Afrique occidentale. Cependant cette recherche devrait être accompagnée d’une sensibilisation, formation et organisation des utilisateurs afin de sauvegarder les espèces encore abondantes ou simplement présentes.