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L’effet des RIs de bas TEL (photons) sur le cartilage et plus particulièrement sur la production de MEC a été longuement étudié. Cependant, les modèles d’étude sont difficiles à comparer du fait de :

1. L’hétérogénéité des critères biologiques et/ou de la sensibilité des méthodes utilisées 2. L’irradiation en RX de faible kilovoltage par opposition à des RX de mégavoltage 3. L’utilisation de chondrocytes articulaires versus chondrocytes de la plaque de croissance

4. L’hétérogénéité des protocoles d’irradiation et de la cinétique post-irradiation (irradiation à haute dose et mesure à court terme versus irradiation fractionnée à faible dose et mesure plusieurs semaines post- irradiation)

5. Le très faible nombre d’études basées sur l’humain en comparaison aux études in vitro et in vivo

Les premières études de radiobiologie du cartilage se sont intéressées aux mécanismes moléculaires impliqués dans l’arrêt de croissance osseuse liée à l’irradiation, en se focalisant sur la balance synthèse/dégradation qui intervient dans la régulation de la composition de la MEC. Cependant, des résultats contrastés ont été décrits en fonction des modèles d’étude et des temps post-irradiation. En utilisant un modèle de tibia d’embryon de poulet, Cornelissen (Cornelissen et al., 1990) et De Craemer (De Craemer et al., 1989) ont décrit la synthèse de collagène et de PG comme un phénomène radiorésistant (dose flash de photons jusqu’à 150 Gy). La synthèse de GAG semblait être diminuée uniquement à des temps tardifs (4-7 jours post-irradiation). De manière contrastée, la diminution de la synthèse de GAG dans un modèle de cartilage articulaire canin (10- 500 Gy en photons) a été décrit comme un phénomène plus précoce (Hugenberg et al., 1989). Il a été suggéré que ces changements pouvaient être dus à un déséquilibre de la balance synthèse/dégradation de la MEC par les chondrocytes.

Des études plus récentes se sont focalisées sur l’altération du phénomène d’ossification endochondrale qui semble être la cause majeure du retard de croissance radio-induit. L’irradiation de la plaque de croissance dans un modèle murin abouti à une désorganisation de la structure en colonne, la disparition de la zone de prolifération et la différenciation terminale prématurée (hypertrophie) des chondrocytes suivie par la mort cellulaire (Amizuka et al., 1994). Ces effets délétères sur la prolifération et la maturation des chondrocytes de la plaque de croissance ont été liés à une perte des signaux de prolifération (voie PTHrP/Ihh) plutôt qu’à une altération de la synthèse de la MEC (Pateder et al., 2001). Les travaux de Damron et associés ont grandement contribué à l’étude du devenir du cartilage de croissance post-irradiation et par extension aux séquelles osseuses radio-induites chez l’enfant (Damron et al., 2009; Horton et al., 2008; Margulies et al., 2006).

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Cependant, ces données ne sont pas forcément pertinentes dans la radiobiologie du cartilage articulaire mature étant donné les différences dans la distribution cellulaire et l’état de différenciation (quiescence) des chondrocytes articulaires. Dans la suite de ce chapitre, nous nous focaliserons sur le cartilage articulaire mature.

L’exposition aux RIs des chondrocytes articulaires différenciés peut modifier leur métabolisme et aboutir à la dégénérescence tissulaire. En effet, les RIs peuvent perturber l’homéostasie du cartilage articulaire à plusieurs niveaux que nous décrirons brièvement ci-dessous. Pour une revue plus détaillée de l’impact des RIs de bas TEL sur le cartilage articulaire mature, nous avons joint une copie de (Saintigny et al., 2015) à la fin de ce manuscrit.

Maturation du cartilage : Des études ont montré que la sensibilité des chondrocytes de la plaque de croissance aux RIs de bas TEL dépendait de leur niveau de différenciation (prolifération, hypertrophie), alors que les chondrocytes articulaire l’étaient beaucoup moins (Hiranuma et al., 1996; Jikko et al., 1996). Matsumoto et associés ont montré que la synthèse d’ADN était plus radiosensible que la synthèse de MEC (GAG) dans un modèle de cartilage articulaire de lapin (2D en comparaison à des pellets, RX 2-10 Gy) (Matsumoto et al., 1994).

Survie et morts cellulaires : En plus de l’altération de la prolifération (arrêt permanent du cycle cellulaire) et de la différenciation cellulaires, les RIs peuvent accélérer les voies de morts cellulaires. Les RIs peuvent induire un ou plusieurs types de morts en fonction du type cellulaire, du type de rayonnement ainsi que de sa dose et son fractionnement. Plusieurs études ont décrit les chondrocytes articulaires normaux comme résistants à l’apoptose suite à une irradiation en bas TEL : 10 Gy en rayons γ (48h) (Toda et al., 2002), 5 Gy en rayons γ (Moussavi-Harami et al., 2006), 10 Gy en rayons γ (Kim et al., 2007), 30 Gy en RX (Takahashi et al., 2003). Par contre, l’apoptose radio-induite a été observée dans des chondrocytes articulaire ostéoarthritiques (Toda et al., 2002) et des chondrocytes de la plaque de croissance dans un modèle murin (Margulies et al., 2006).

En plus de l’apoptose, les RIs peuvent induire la sénescence caractérisée par un arrêt permanent du cycle cellulaire et associée à plusieurs phénotypes, à savoir la surexpression de la β-galactosidase, le raccourcissement des télomères et des modifications métaboliques. Les cellules sénescentes secrètent des facteurs spécifiques comme des cytokines pro-inflammatoires ou MMPs (Mirzayans et al., 2013). Une étude récente a montré que l’irradiation en RX (10 Gy) induisait l’accumulation de la protéine p53 et sa forme phosphorylée (Ser-15) et l’activation de p21 dans des chondrocytes articulaires (Hong et al., 2010). Une induction de la sénescence radio-induite accompagnée qu’une activation de la protéine pRb par p16 ont également été observés par ces auteurs, ainsi qu’une perte du phénotype chondrocytaire (baisse de l’expression de collagène type II et sox9). Une activation permanente de l’expression de la protéine pRb régule négativement E2F, facteur de transcription de gènes spécifiques à la phase S. Cette même étude

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(Hong et al., 2010) a démontré le rôle de la sirtuine (SIRT1), désacétylase NAD-dépendante impliquée dans le phénomène de vieillissement, dans la sénescence radio-induite des chondrocytes articulaires normaux. L’accumulation de cellules sénescentes post-irradiation du cartilage pourrait être responsable d’une accélération du phénomène d’ostéoarthrose.

Stress oxydatif : L’hypoxie est un facteur important qui limite l’efficacité de la RT. Comme nous l’avons précédemment décrit, le cartilage articulaire mature est organisé en plusieurs zones qui définissent un gradient d’oxygène qui va de 10% à 1% de la zone la plus superficielle à la plus profonde (Figure 15). Cette organisation peut influencer la quantité de ROS produite en fonction de la zone concernée par l’irradiation et ainsi modifier l’étendue des dommages faits au cartilage. Le facteur de transcription FoxO a été impliqué dans le contrôle de la mort cellulaire induite par un stress oxydatif (Akasaki et al., 2014). L’étude de (Hong et al., 2010) précédemment citée a également démontré une augmentation significative de la quantité de ROS post-irradiation probablement responsable de la sénescence radio-induite. Cependant, la majorité de ces études ont été réalisées en normoxie (20% d’O2), qui on le sait, ne représente

pas la physioxie tissulaire du cartilage articulaire. Enfin, l’augmentation de la production de ROS post- irradiation est potentiellement responsable de la baisse de synthèse de MEC (Henrotin et al., 2005).

Composition de la MEC : L’exposition aux rayonnements ionisants induit une dégradation active du cartilage et globalement une baisse de la production de MEC. En effet, Cornelissen et associés ont démontré qu’une irradiation en RX (20-100 Gy) induisait une baisse de synthèse de GAG et de collagène de type II (Cornelissen et al., 1993a, 1993b). La baisse de la synthèse de collagène de type II a été associée à une augmentation de la production de collagène de type I, surtout dans les espaces péri-cellulaires des chondrocytes ce qui induit une désorganisation de la structure fibrillaire et une perte des propriétés mécaniques du cartilage mature (Muhonen et al., 2006). Une autre étude a montré qu’une irradiation fractionnée à plus faible dose (5 Gy, 1 Gy/f/jour) d’un genou de lapin ne modifiait pas ces propriétés mécaniques à court et moyen terme mais altérait l’organisation des chondrocytes (Öncan et al., 2013). Tous ces phénomènes sont susceptibles d’induire ou d’accélérer l’ostéoarthrose.

Inflammation : L’inflammation est un phénomène complexe et central dans la survenue des effets toxiques immédiats lors d’une irradiation. Les cellules irradiées sécrètent plus de cytokines pro-inflammatoires comme les interleukines (IL-6) suite à la persistance des dommages à l’ADN (Rodier et al., 2009). Les chondrocytes sont capables de produire les médiateurs inflammatoires ainsi que leurs récepteurs (Houard et al., 2013) afin de maintenir un parfait équilibre entre la synthèse et la dégradation des composants matriciels du cartilage grâce aux cytokines. L’environnement inflammatoire du cartilage peut aboutir dans le cas extrême à la dégradation de la MEC (Maldonado and Nam, 2013).

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L’hadronthérapie par ions carbone offre de nombreux avantages balistiques et biologiques, comme nous développé plus haut (voir page 23). Cependant, les études de l’effet des ions carbone sur les tissus sains et sur le cartilage en particulier sont négligeables, ce qui pose la question de séquelles potentielles (Durante, 2014; Yanagi et al., 2010). Récemment, un cas de nécrose massive du larynx suite à un traitement par ions carbone [70 Gy(RBE) en 35 fractions] pour un carcinome squameux de la glotte a été décrit (Demizu et al., 2015). L’imagerie a montré l’absence de cartilage aryténoïde (qui entoure le larynx) et une exacerbation de la nécrose du larynx, ce qui a nécessité une reconstruction chirurgicale d’une partie des voies respiratoires (pharynx, larynx). Les auteurs ont conclu que des organes contenant du cartilage et qui se trouvent sur le trajet du faisceau d’ions carbone (comme le larynx dans ce cas) doivent être particulièrement épargnés lors de ce type de protocole.

A ce jour, un seul laboratoire s’est penché sur la question des effets des ions carbone sur le cartilage dans un contexte de traitement de CHS (Sawajiri and Mizoe, 2003; Sawajiri et al., 2003, 2006, 2007). En utilisant un modèle de rat “Wistar”, cette équipe a comparé les effets d’une irradiation à forte dose ou irradiation « flash » (15, 22,5 et 30 Gy) en ions carbone versus irradiation γ sur le métabolisme osseux et cartilagineux. Les auteurs ont conclu que l’irradiation à forte doses d’ions carbone pouvait affecter le métabolisme des ostéoblastes et des chondrocytes par la réduction de l’expression de MMP-13 ce qui a pour conséquence de supprimer la maturation du cartilage. Etant donné le nombre très limité d’études d’hadronbiologie du cartilage et au regard du nombre croissant de patients traités par ions carbone, il nous semble indispensable de développer des études in vitro et précliniques afin d’assurer la sécurité des patients et optimiser, au mieux, l’utilisation de cette technologie.

Comme nous en avons discuté plus haut (page 34), les modèles 3D sont de plus en plus utilisés en radiobiologie afin de mimer au mieux l’environnement le plus proche de l’homéostasie humaine. Ces modèles sont également très utilisés en ingénierie tissulaire du cartilage articulaire afin de maintenir le phénotype chondrogénique en vue d’une éventuelle greffe chirurgicale (Demoor et al., 2014).