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CHAPITRE V – INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS – DISCUSSION

5.1 La régulation et l’institutionnalisation du CISSS

5.1.1 Action des acteurs et définition de nouvelles règles

5.1.1.1 Impact des réformes de la santé sur le réaménagement organisationnel

La théorie mobilisée dans ce travail fait état, autant de l’influence des grands courants, qui ont marqué l’organisation des systèmes de santé des sociétés occidentales industrialisées (le service national de santé, les assurances sociales et l’assurance privée), que de l’impact du contexte canadien et implicitement des relations fédérales-provinciales, sur le développement de l’intervention étatique dans le secteur de la santé au Québec. L’institutionnalisation du rôle fédéral au niveau provincial, par le développement de programmes, la définition de normes nationales ou l’investissement dans la recherche, influe sur l’évolution des systèmes de santé à travers le pays, tout en responsabilisant les provinces canadiennes, dont le Québec, à l’égard de l’administration de leurs secteurs de santé. Le développement de l’intervention étatique dans le secteur de santé au Québec a contribué à institutionnaliser le rôle du réseau.

L’instauration du système public de services de santé au Québec serait la conséquence de l’implication du gouvernement fédéral dans la réorganisation des systèmes de santé au niveau provincial, par l’établissement du programme d’assurance-maladie. Cette action constitue une source de conflit entre les acteurs du système. D’ailleurs le débat sur l’implication du privé dans le système public est loin d’être terminé. Une des questions soulevées par les syndicats, soulignée par la littérature spécialisée, et qui touche la problématique de notre étude, serait l’investissement fait par le gouvernement à l’égard des GMF, en y déployant une ressource professionnelle importante et cela en défaveur des CLSC, modèle qui représenterait une solution plus appropriée au développement de la 1ère

ligne, en ayant déjà développé des services à partir des besoins de la communauté, et cela, au sein du système public de santé. Les syndicats blâment l’orientation du développement de la 1ère ligne vers une approche médicale, alors qu’une approche multidisciplinaire serait en

mesure de mieux répondre aux besoins de la population, à ce niveau. Selon Laurion (2016), en dépit du choix gouvernemental à cet égard, les consensus dégagés du bilan des rendez- vous nationaux sur l’avenir du système public de santé, de 2014, laissent croire que des solutions innovantes existent afin de préserver les services de santé offerts par le secteur

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public. En effet, la rencontre entre plusieurs acteurs : la CSN10 et l’AQESSS11, en

collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde (INM)12, a permis de statuer sur certains

enjeux prioritaires auxquels le système de santé doit faire face. Et cela, dans le but d’identifier des solutions à mettre en œuvre prioritairement et de «convaincre le ministère de la Santé et des Services sociaux et le gouvernement du Québec de leur pertinence.» (AQESSS, CSN, INM, 2014 : 3).

Les politiques et les différentes Commissions d’enquête et d’étude qui se sont succédé, au fil des années, amènent au Québec une série de réformes qui visent l’amélioration quant à l’accessibilité des services, leur continuité, leur qualité et leur adaptation aux besoins de la population, tout en répondant aux exigences fédérales et en élargissant le rôle de l’État provincial. À travers ces réformes, dont les objectifs s’alignent à ceux visés par les pays développés, nait l’orientation des systèmes de santé vers la prise en charge globale de la santé du patient, tout en mettant l’accent sur la coordination et l’intégration des soins. Dans la nouvelle structure, au sein du système, les acteurs nouent des relations afin de répondre à des objectifs communs, l’hôpital passant de l’ancien grand décideur à un partenaire, faisant partie intégrante du réseau.

La création de l’organisation qui constitue notre terrain d’étude s’inscrit dans les objectifs visés par la Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de 2003, qui amène l’imposition d’une nouvelle réforme de la santé orientée vers la prestation des soins de base à la population et vers l’amélioration de l’accessibilité des usagers aux soins, par la création de corridors de services. Constituée tout d’abord dans un CSSS, faisant partie intégrante du réseau local de services (RLS) de sa région, tout en suivant le modèle d’organisation de services sur une base territoriale locale prévu par la loi, l’organisation devient, suite aux impositions prévues par le projet de loi 10, de 2014, un CISSS. Alignée toujours aux objectifs ministériels qui visent à améliorer

10«...l’organisation syndicale la plus présente dans le secteur de la santé et des services sociaux. Fondée en 1921, la CSN…regroupe plus de 325 000 travailleuses et travailleurs réunis sur une base sectorielle dans huit fédérations, ainsi que sur une base régionale dans treize conseils centraux, principalement sur le territoire du Québec.» (AQESSS, CSN, INM, 2014 : 28).

11«…regroupe 125 membres, soit les 92 centres de santé et de services sociaux (CSSS), les centres hospitaliers universitaires, les centres hospitaliers affiliés, les instituts universitaires et les établissements et CHSLD à vocation unique.» (AQESSS, CSN, INM, 2014 : 28).

12«…organisation non partisane dont la mission est d’accroître la participation des citoyens à la vie démocratique. L’action de l’INM a pour effet d’encourager la participation citoyenne et de contribuer au développement des compétences civiques, au renforcement du lien social et à la valorisation des institutions démocratiques.» (AQESSS, CSN, INM, 2014 : 28).

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l’accessibilité, la continuité et la coordination des soins et des services de santé, l’organisation, de par la nouvelle réforme de 2014, qui cherche de plus à simplifier le parcours de soins des usagers, se voit modifiée sa structure et implicitement sa gouvernance, par l’abolition de l’agence régionale de santé et la fusion de tous les autres établissements de santé de sa région, étant chapotée directement par le MSSS. Se profile donc une nouvelle structure organisationnelle, qui cherche à répondre au contexte actuel par la révision des rôles attribués auparavant aux éléments de sa structure. Ce réaménagement organisationnel implique aussi l’adaptation de ses mécanismes de gouvernance, que nous allons regarder dans ce qui suit.

5.1.1.2 Lois influant sur la composition de la structure organisationnelle et institutionnalisation de la gouvernance

Par souci d’amélioration des performances, les organisations et les gouvernements des pays développés ont dirigé leur intérêt vers la mise en place de bonnes pratiques de gouvernance. Les erreurs identifiées dans la prise de décisions de certaines organisations à travers le monde, au fil des années, et le besoin de contrer les détournements de fonds, se sont ajoutés aux défis induits par la mondialisation des marchés, la libéralisation des échanges, le développement des nouvelles technologies, de même que les changements par rapports aux besoins des citoyens, amenant les organisations à réviser leur mode de fonctionnement. À cette fin, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)13 publie en 1999 les Principes de gouvernement d’entreprise, mis à jour en 2004,

afin de divulguer les normes et les directives à l’égard du gouvernement de l’entreprise. Visant tout d’abord les entreprises privées, ses principes ont été aussi adoptés par les administrations publiques, en raison de leur contribution significative au produit interne brut des pays, vu les intérêts sociaux et économiques de leurs secteurs d’activité (Asselin et Vézina, 2007). Au Canada, l’importance accordée à la gouvernance des organisations a conduit à la naissance de plusieurs autres organismes, comme : le Vérificateur général du Canada, le Vérificateur général du Québec, la Corporate Governance et la Canadian

13«L'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est un forum intergouvernemental qui a la mission d’identifier, appliquer et évaluer les politiques publiques dédiées au développement économique soutenable et à la stabilité sociale. L’OCDE offre un cadre apolitique formé par plus de 250 comités, groupes de travail et groupes d’experts en différents domaines d’activité (investissements, agriculture, lutte contre la corruption, transports etc.) pour trouver des solutions aux problèmes économiques et sociales existantes et potentielles.» http://www.mae.ro/fr/node/18558

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Coalition for Good Governance, les deux derniers regroupant des chercheurs et des leaders de la société (Asselin et Vézina, 2007).

Le Québec s’inscrit dans la vague mondiale des années 80, quant aux préoccupations au sujet des pratiques de gouvernance de la fonction publique et de ses institutions. Le souci pour l’amélioration des services et l’orientation de la gestion publique sur l’atteinte des résultats, s’est concrétisé en 2000, par l’adoption de la Loi sur l’administration publique. L’intérêt pour la modernisation de l’État amène le gouvernement à redéfinir les programmes et les services publics, dans le but d’augmenter leur efficacité et leur qualité et de diminuer les coûts. Cela conduit, en 2006, à l’adoption de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, qui vise la modernisation des pratiques de gestion et dont l’objectif central est l’aboutissement à une saine gouvernance. Et c’est aux conseils d’administration que revient cette tâche primordiale. Comme «philosophie qui veut que la gouverne d’une organisation satisfasse à de hauts standards de transparence, d’intégrité et d’efficacité» (Asselin et Vézina, 2007 : 11), la gouvernance renvoie aux règles et aux pratiques de gestion d’une organisation, à la structure organisationnelle et au partage clair des responsabilités entre les différents acteurs. Le conseil d’administration devient l’instance décisionnelle supérieure de l’organisation. Il représente une entité juridique qui doit rendre des comptes au gouvernement et au ministre responsable auquel se rattache l’organisation et, afin d’accomplir ses responsabilités, il crée les comités statutaires (le comité de gouvernance et d’éthique, le comité de vérification et le comité des ressources humaines), ou d’autres comités, facultatifs ou ad hoc, selon les dispositions prévues dans la loi. Ces comités accomplissent les tâches reliées à leurs champs respectifs de compétence, tout en formulant des recommandations au conseil (Asselin et Vézina, 2007).

Cet encadrement légal nous permet de statuer sur l’alignement du CISSS, qui constitue notre terrain d’étude, aux exigences ministérielles, à l’égard de sa structure organisationnelle. En effet, l’organisation est dirigée par le Conseil d’administration qui, en conformité avec les dispositions légales, gère les affaires de l’établissement et établi la stratégie organisationnelle, en arrimage avec les orientations nationales et régionales. Des comités sont constitués au sein de l’organisation, toujours en conformité avec le cadre légal prévu à cet effet. Les membres du conseil d’administration sont tenus de respecter les dispositions prévues dans le Code d’éthique et de déontologie des administrateurs du conseil d’administration, dont le fondement légal s’appuie sur des dispositions prévues dans des lois qui régissent le système de santé, les organismes publics et les droits de la personne

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(Conseil d’administration, 2016). Selon des dispositions prévues dans la LSSS, la structure organisationnelle du CISSS inclut également les conseils professionnels (le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, le Conseil des infirmières et des infirmiers et le Conseil multidisciplinaire), qui accomplissent le mandat prévu par la loi.

La gouvernance repose sur la collaboration entre les différents paliers faisant partie de la structure organisationnelle, comme les comités, les différents conseils de professionnels, les directions clinico-administratives ou médicales, chaque palier ayant un rôle bien défini par la loi. Et la collaboration elle-même est encadrée par la loi. Au sein du CISSS, plusieurs directions clinico-administratives collaborent avec d’autres directions médicales afin de desservir un ensemble de services médicaux. Les conseils de professionnels, dont le mandat vise la formulation des avis et des recommandations concernant la qualité des soins et les règles qui régissent les professions qu’ils représentent, collaborent, entre autres, avec la direction générale et le conseil d’administration. Ou bien les comités, créés sur une base légale par le conseil d’administration et dont le rôle légale est d’accomplir les tâches reliées à leurs champs respectifs de compétence, collabore avec le conseil, tout en formulant des recommandations à ce dernier. Aussi le conseil d’administration, d’une société d’État, comme entité juridique, en plus de collaborer avec les différents paliers au sein de l’organisation qu’il gouverne, collabore également avec le gouvernement, devant rendre des comptes à ce dernier et au ministre responsable auquel se rattache l’organisation, exerçant, de par sa qualité d’instance suprême d’une organisation, un pouvoir décisionnel sur toutes les grandes orientations et actions de celle-ci, tout en s’assurant que l’organisation s’acquitte de ses obligations et atteigne le niveau de performance attendu.

Sans faire ici une analyse exhaustive de l’organigramme du CISSS, ni de l’ensemble des lois et règlements qui encadrent la composition et le fonctionnement de la structure des organisations de la santé, nous avons essayé tout de même de démontrer la portée des lois et implicitement des règles qui définissent la structure de ces organisations, en statuant sur leur gouvernance, qui repose d’ailleurs sur la collaboration entre les différents paliers faisant partie de la structure organisationnelle. Et les collaborations instituées entre les différents acteurs, qui interagissent dans le système, témoignent d’un partenariat entre l’administratif et le clinique, susceptible de favoriser l’institutionnalisation des changements, selon Contandriopoulos (2008). Ces exemples font état de l’importance du cadre législatif sur la définition de la structure organisationnelle et des rôles des acteurs qui la composent. Il en est

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de même en ce qui concerne la stratégie organisationnelle, qui fait aussi l’objet de notre analyse.