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Le déclin du fordisme et l’essor de l’organisation en réseau – un modèle

CHAPITRE II – LE MODÈLE DES ORGANISATIONS EN RÉSEAU PARADIGME,

2.1 Le modèle de l’organisation en réseau, nouveau paradigme dans le monde du

2.1.2 Le déclin du fordisme et l’essor de l’organisation en réseau – un modèle

Le modèle «taylorien-fordien», ou «industriel», se profile comme le produit d’un processus de rationalisation du travail et de la production (Barré, 2012). Éclipsé notamment par les nouveaux modes de concurrence amenés par la mondialisation, ce modèle a laissé la place à une nouvelle forme de représentation des relations industrielles qui entraîne de nouvelles dynamiques, l’organisation en réseau. S’appuyant sur le besoin de l’ouverture des entreprises vers la collaboration et des alliances avec d’autres entreprises, de même qu’avec d’autres acteurs, le nouveau paradigme se dirige vers la constitution de «chaînes globales de

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valeur» (Bair, 2010). Une bonne communication entre ses composantes, ou bien sa «connexité», ainsi qu’un degré d’intérêt commun entre les objectifs du réseau et de ses composants, soit sa «cohérence», constituent, selon Castells (1996 : 207), la clé du succès du nouveau modèle.

2.1.2.1 L’ère fordiste ou le modèle industriel

Découlant des formes pré-industrielles d’organisation du travail et de la production, le modèle «taylorien-fordien», par son orientation vers le processus de déqualification des métiers, crée cependant une rupture fondamentale avec ces formes, dans lesquelles les ouvriers de métiers exerçaient leur pouvoir dans l’organisation du travail, un pouvoir acquis grâce à leurs qualifications. Apparu initialement aux États-Unis, à la fin du 19ème siècle, ce

modèle s’affirme ultérieurement dans d’autres pays industrialisés et devient dans la seconde moitié du 20ème siècle, un modèle dominant (Barré, 2012). Bien que l’évolution du modèle

«taylorien-fordien» soit influencée par les contextes institutionnels nationaux et les types des secteurs ou des entreprises existantes et malgré sa coexistence avec d’autres modèles, comme les réseaux locaux d’entreprises, «districts» ou «cluster» industriels (Piore et Sabel, 1989, cité dans Barré, 2012), un trait spécifique de l’ancien modèle se dégage. Ainsi, selon Barré (2012 : 10), «il est néanmoins possible d’identifier un noyau organisationnel commun qui réunit les différents modes d’organisation des firmes durant la période industrielle». Un regard sur l’ère fordiste nous amène dans un contexte du travail caractérisé par une production associée à la chaîne de montage, d’inspiration taylorienne, où l’accent est mis sur l’offre plutôt que sur la demande. Avec une organisation du travail basée sur la séparation entre la conception et l’exécution, de même que la supervision étroite des salariés, le modèle industriel se caractérise par la division et la déqualification du travail. Selon Barré (2012), le modèle d’organisation taylorienne vise la transformation du travail effectif des ouvriers en opérations «objectives», déroulées de manière séquentielle, sous un contrôle hiérarchique et motivées par un salaire au rendement. C’est ce que Veltz (2000) appelle le modèle de «l’opération», celle-ci étant séparable des individus susceptibles de la réaliser.

Dans le fordisme, la gestion des relations d’emploi constitue une dimension essentielle par sa contribution au développement des relations industrielles et de la gestion des ressources humaines. La conception des techniques visant la coopération des travailleurs à la production en série, de même que leur institutionnalisation par l’expansion du syndicalisme de masse et la négociation des conventions collectives «ont légitimé les formes dominantes

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de relations d’emploi» (Brody, 1980, cité dans Bélanger et al., 2004). De ce fait, l’ère fordiste a amené la nécessité de créer un «compromis général» entre les salariés, les employeurs et l’État, soit le compromis salarial, qui garantissait la sécurité d’emploi en échange de la collaboration des employés à la production en série. L’ère fordiste serait en fait responsable de l’institutionnalisation des rapports sociaux (Bélanger et al., 2004; Barré, 2012). Selon Barré (2012 : 19), «le compromis salarial du modèle taylorien-fordien instaure ainsi une institutionnalisation particulière des rapports sociaux de travail autour d’un strict partage des rôles qui reconnaît aux employeurs leur pouvoir de gérance et donc leur attribue un pouvoir presque total pour gérer l’organisation de la production et du travail comme ils l’entendent».

2.1.2.2 L’essor du nouveau modèle

Cependant, les nombreux changements socio-économiques qui ont marqué le domaine des relations industrielles ont contribué au déclin progressif du modèle industriel. La concurrence accrue due à la mondialisation, le développement technologique et l’innovation organisationnelle, le changement quant aux préférences des clients, de même que «l’érosion de la base matérielle et institutionnelle des compromis sociaux» (Veltz, 2000; Bélanger et al., 2004) spécifiques au fordisme, ont contribué à sa fragilisation, voir à sa «crise générale». Et cela, notamment en raison de la déstabilisation de la relation entre la production et la consommation et le réaménagement nécessaire des accords institutionnels en vue d’assurer une nouvelle période d’expansion économique. Dans le nouveau contexte, «les modèles nationaux de régulation ne peuvent plus soutenir les arrangements sociaux qui garantissent une négociation productive entre la sécurité et le contrôle du processus de production, à l’échelle locale ou nationale» (Bélanger, Giles et Murray, 2004 : 27 – 28). Selon Segrestin (2004), la culture des organisations a subi des transformations, l’ordre socio-politique qui avait assuré la légitimité de l’ancien modèle n’étant plus compatible avec le contexte actuel, où l’organisation est devenue une institution responsable du progrès collectif et où la main d’œuvre ne se positionne plus contre l’organisation, mais vit plutôt avec celle-ci.

La nouvelle forme organisationnelle qui se profile dans le domaine du travail, réorientée sur la demande plutôt que sur l’offre afin de mieux satisfaire les préférences des clients pour une meilleure qualité, affirme une production centrée sur la diversification et la qualité des produits ou services offerts, de même qu’une organisation du travail basée sur la polyvalence et la mobilisation des savoirs, dans un contexte de flexibilité productive. Promouvant une autonomie accrue des employés désireux d’un travail plus valorisant, mais augmentant en

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même temps le contrôle par les pairs, ce modèle place son accent sur les équipes interprofessionnelles et multidisciplinaires, ainsi que sur la coordination horizontale. Quant aux relations d’emploi, une réalité se profile à l’horizon, soit l’inadaptabilité des modes d’action collective au contexte actuel, en partie à cause de la fragmentation du travail qui a diminué la force collective, mais aussi peut-être en raison du changement des pratiques des ressources humaines afin d’éviter la syndicalisation, en offrant aux employés des avantages gagnés autrefois par les syndicats. De ce fait, selon Bélanger et ses collègues (2004), l’importance des politiques publiques visant à assurer l’encadrement du nouveau modèle, demeure une priorité.

Si le compromis salarial a été au cœur de l’ancien modèle, dans le nouveau contexte, traduit par une régulation collective, le compromis est fondé sur la «division sociale» entre employeur et salariés. Plus autonomes et engagés dans leur travail, les employés cherchent en échange la sécurité d’emploi et de bonnes conditions de travail. Cependant, selon Barré (2012), les contreparties liées à l’engagement des travailleurs à la performance organisationnelle s’avèrent particulièrement fragiles. La reconnaissance de nouveau compromis par le management devient indispensable.

Placé dans un contexte de contraintes financières et de réduction des effectifs, ce modèle n’est pas dépourvu de contradictions. Ainsi la flexibilité productive aux dépens de l’efficience, la polyvalence au détriment du savoir, l’adhésion sociale réduite en raison de l’insécurité accrue constituent autant de principes à surmonter. Toutefois, ces principes, bien que difficilement conciliables, demeurent au cœur de la plupart des efforts qui tentent à transcender les ententes de production fordistes et cela dans presque tous les secteurs des produits et services privés et même publics (Bélanger, Giles et Murray, 2004).

Un parallèle avec le système de santé nous permet de constater l’importance des défis à surmonter dans le nouveau contexte organisationnel. Le passage de l’ancien modèle, orienté vers l’offre, ou bien la prise en charge globale de la santé des populations et fondé sur le contrôle hiérarchique, où le grand décideur, l’hôpital, détenait l’autorité envers les centres lui étant subordonnés, vers le modèle de réseau, ne se réalise pas sans difficulté. Le besoin de répondre à de nouvelles problématiques avec lesquelles se confrontent les usagers, recentre l’action sur le patient, tout en exigeant la mobilisation des savoirs des différents acteurs au sein du réseau. De plus, l’orientation vers le développement des soins de première ligne constitue un défi de taille. Aussi, selon le rapport Romanow (2002 : 131), «un changement de

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cap vers les soins de santé primaires n’est pas une mince affaire, car la réorientation d’un système aussi vaste et complexe que celui de la santé, suppose une remise en question des décisions prises il y a de nombreuses années au sujet du mode d’organisation du système et du type de services offerts». La réorganisation du système de santé implique plusieurs changements qui touchent à la fois les niveaux de formation et le champ d’exercice des dispensateurs de soins de santé, l’organisation de soins de santé, l’attitude des patients, le degré de préparation des décideurs, les aspects financiers et les habitudes de vie (Romanow, 2002). De ce fait, selon Langlois et ses collègues (2003), des obstacles reliés aux modes de gestion et de fonctionnement au sein du système de santé restent à surmonter.

Les problématiques qui touchent actuellement au fonctionnement du système de santé portent notamment sur ces mécanismes de régulation. Les réformes successives du système des soins de santé au Québec ont en effet remis en question les rôles attribués aux différents acteurs qui le composent. Dans un contexte de décentralisation accrue, les acteurs politiques (les alliances partisanes, administrative, médicale, communautaire, industrielle)5 cherchent à

faire valoir les décisions les plus avantageuses qui permettent de mieux répondre aux besoins des usagers (Lemieux, 2003). Dorénavant les acteurs devront interagir constamment tout en tenant compte des effets que les actions de chacun ont sur les autres.

2.1.3 Les nouvelles technologies et la dissémination du savoir au sein du réseau