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A.4 L’ APPARENCE DENTAIRE

A.4.3 Impact de pratiques et coutumes sur l’apparence dentaire

Ce petit tour du monde des coutumes et rituels a pour but de montre la nécessité que nous avons de situer notre étude dans le monde occidental contemporain et de n’en tirer des conclusions concernant les critères de beauté ainsi que leur signification et leur perception uniquement pour la population occidentale qui a ses propres critères esthétiques différents de ceux de tous les peuples cités plus bas. À titre d’exemple, Tau & Lowental (1980) ont trouvé que les juifs occidentaux préfèrent une apparence dentaire naturelle tandis que les juifs orientaux préfèrent une belle apparence dentaire. Cependant, le soin apporté par chaque peuple à l’apparence dentaire révèle l’importance que cette dernière joue tant au niveau individuel que social.

En Amérique précolombienne, chez les Mayas, les empereurs, hauts dignitaires et nobles limaient leurs dents et y faisaient poser des incrustations de jades, de pyrite ou d’obsidienne sur les faces vestibulaires. Cela nécessitait un grand courage de leur part. Outre l’effet esthétique, ces ornements constituaient un code en rapport avec le rôle social ou spirituel dont le personnage qui les portait était investi.

Au Japon, comme l’explique Fukagawa (2002), une coutume nommée « ohaguro » a consisté à se laquer les dents en noir (Fig.

2047). Pendant l’ère Heian (794-1192), l’ohaguro devint populaire parmi les hommes, spécialement les nobles et les commandants.

Sous l’influence du Bouddhisme, le Japon attribuait à la couleur noire des qualités de robustesse et de dignité ce qui incita les samouraïs de haut rang à se convertir à cette pratique, preuve de leur loyauté à un seul maître. Cette pratique prit fin à l’ère Muromati (1558-1572) en ce qui concerne les hommes. Les femmes se l’approprièrent tout d’abord pour améliorer leur apparence dentaire lorsqu’elles se sentaient prêtes à se marier.

En effet, le contraste obtenu entre les dents laquées en noir (ohaguro) et le visage saupoudré de poudre blanche (oshiroi) réduisait considérablement l’expressivité des femmes tant et si bien que l’ohaguro fut le digne représentant de la culture qui cachait les expressions, ce qui était considéré à l’époque comme un critère de beauté ! La coutume se répandit pendant l’ère Edo (1603-1867). À partir de cette époque, l’ohaguro devint le symbole des femmes mariées. Les goûts de l’époque considéraient que les dents laquées en noire embellissaient une femme. Cette coutume disparut à l’ère Meiji (1868-1912) avec l’arrivée de cultures occidentales que les japonais désirèrent imiter.

Dans la forêt équatoriale, les Pygmées ont coutume de tailler leurs dents depuis des générations pour mieux déchiqueter leur viande mais aussi comme rituel pour devenir adulte (Fig. 2148).

47 Fig. 20 : http://www.printsofjapan.com/Index_Glossary_O_thru_Ri.htm

48 Fig. 22 : http://www.lardc.com/hellin/peripleverslest.htm

Figure 20 : Estampe de femme Edo

Figure 21 : Femme Pygmée

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Au Viêt-Nam, la coutume du laquage des dents (Fig. 2249) remonte au IIe millénaire avant J-C. À cette époque, les individus des deux sexes se laquaient les dents. Cette coutume s’est maintenue au travers des âges car elle était reconnue comme le symbole de l’élégance et du bon goût.

À ce sujet, des explorateurs français, il y a un siècle de cela, lors de leur visite au Viêt-Nam, se seraient fait railler et humilier à cause de leurs dents blanches ! Aujourd’hui, cette pratique concerne surtout les peuples du nord du pays qui sont plus traditionalistes que ceux du sud. Par exemple, les femmes de l’ethnie Lu et celles de l’ethnie Kammu se laquent les dents en noir non seulement afin de renforcer la dentition contre les caries et de cacher les traces noirâtres provoquées par le bétel mais aussi pour être belle et se sentir attirante ! (Tayanin & Bratthall, 2006). Toujours au Viêt-Nam, les femmes de la tribu H’mong portent des dents en or pour signifier qu’elle est mariée. De nos jours, à Bornéo, pour des raisons esthétiques, des couronnes en or avec ou sans fenêtre antérieure sont réalisées à la demande de la population (Jones, 2001). Au Zaïre, Kadiata &

Ntumba (1993) ont étudié le phénomène de mode actuel incitant au port de couronnes postiches en or. Ces dernières sont fabriquées par des personnes non formées à l’art dentaire, sans nécessité médicale, et sont simplement posées en bouche sans adaptation ni occlusale ni parodontale, ni utilisation de ciment. Les personnes demandeuses pour de tels bijoux sur leurs dents antérieures, en particulier l’incisive latérale supérieure (67 % des cas), sont en très grande majorité des femmes (98 %). D’après les chercheurs, la pose de ces couronnes postiches vise un double but : l’expression de la fortune et le snobisme. En ce qui concerne le Sénégal, un article extrêmement intéressant de Gaye & al. (1995) présente très bien toutes les coutumes liées à l’esthétique dentaire dans le milieu traditionnel. On y trouve donc décrits la taille des dents, attribut plutôt masculin dénotant une certaine virilité, le goût pour le diastème inter incisif supérieur que les dentistes reproduisent ou créent sur les prothèses dentaires ou encore certains artifices dentaires artisanaux comme les facettes en or, les couronnes en or (14 à 18 carats !) sur les dents antérieures jusqu’aux prémolaires supérieures et inférieures qui distinguent entre autre les pèlerins revenus de la Mecque. Sont également décrits les anneaux interdentaires en or sous forme de fils dorés intercalés entre les dents 31 et 41, le blanchiment artisanal, important critère de beauté, grâce à l’application topique d’acide sur les dents antérieures.

Les M’Nong, ethnie des Hauts Plateaux du Centre du Viêt-Nam continuent de perpétuer la coutume consistant à scier les dents comme preuve d’entrée dans l’âge mûr, c’est-à-dire à l’adolescence, entre 14 et 16 ans. Le fait de supporter ce rituel prouvera la force pour affronter la vie. Ceux qui n’y arrivent pas sont considérés comme lâches et ne trouvent pas de partenaire de vie.

Quant aux Ta-Oih, autre ethnie du Viêt-Nam, ils perpétuent une toute autre tradition très douloureuse mélange esthétique et rite initiatique et marque le passage à l’âge adulte et la possibilité de se marier. À Bali existe la cérémonie de limage des dents (Fig. 2350). C’est un prêtre brahmane, membre de la plus haute caste hindoue, qui la pratique.

Cette tradition, bien qu’importante pour l’esthétique des dents, a pour but premier une modification d’ordre spirituelle visant à débarrasser le corps des forces animales afin de permettre le passage vers le monde adulte. Les six dents limées correspondent aux six mauvais esprits à chasser : l’intempérance, la jalousie, la colère, la cupidité, la luxure et la folie. Par ailleurs, le limage des dents est obligatoire pour qui veut se marier51.

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Figure 24 : Femmes turkmens (Copyright © 2001 Frank K. Pettit)

Au Cambodge, la coutume du laquage des dents est éteinte depuis un siècle. Elle visait à conjurer le sort des dents blanches considérées comme portant malheur. Traditionnellement, le laquage des dents avait lieu à différents moments pour l’homme ou pour la femme. Pour l’homme, c’était lors d’une cérémonie précédant l’ordination et pour la femme c’était à la sortie de sa réclusion forcée chez ses parents lors de la puberté. À Bornéo, Pfeiffer décrit, en 1850, une pratique qui consistait à noircir les dents (Jones, 2001). Le résultat donnait l’impression d’un vernis noir sur les dents et son but, outre l’effet protecteur contre les caries, en était le refus d’avoir des dents blanches considérées comme convenables et seyantes uniquement pour les chiens et les européens !

À Bornéo existent diverses pratiques de mutilations dentaires. Par exemple, lors d’une cérémonie à la puberté, les dents antérieures sont taillées en pointes. Cette coutume a un but esthétique mais aussi religieux et social.

L’or représente un signe extérieur de richesse pour beaucoup de peuples. Les sourires affichant des dents en or sont très courants dans toute l’Asie centrale. Par exemple, au Turkménistan, les personnes soucieuses d'afficher leur appartenance à l'élite (Fig. 2452) troquaient leurs dents saines contre des prothèses en or et les jeunes filles privées de cette parure étaient appelées des "sans-dot".

52 Fig. 24 : http://www.doe-mbi.ucla.edu/~pettit/pix/pcd0130/tolkuchka_smiles.30-41.htm

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