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Les cellules immobilisées peuvent être définies comme une population microbienne contenue dans un espace limité et dont les propriétés métaboliques demeurent fonctionnelles. Chez les microorganismes, l'immobilisation cellulaire est un phénomène répandu qui offre une protection supplémentaire contre les stress environnementaux et qui favorise, dans plusieurs cas, la survie du groupe. Les populations bactériennes libres ne représentent qu'un très faible pourcentage des écosystèmes naturels (Gauthier & Isoard, 1989). La croissance sessile engendrée par l’immobilisation cellulaire a été mise à profit en médecine, en pharmacologie et en biotechnologie, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire pour la fabrication de vinaigre, de nisine ou lors de la production d'alcool. Notons également son utilisation dans le secteur de l’environnement pour l'épuration des eaux usées (Chibata & Tosa, 1981; Scannell et al., 2000; Schmitdt, 1999).

L'exploitation de l'immobilisation cellulaire pour la production de bactériophages n'a pas encore été décrite dans la littérature. Cette technique vise à protéger la population hôte contre l'attaque rapide des phages et à diminuer les coûts de la production de particules virales à l'échelle industrielle. Elle se veut un moyen plus sécuritaire de produire certains bactériophages impliquant la manipulation de cellules hôtes pathogènes qui présentent un danger pour la santé des opérateurs. Comme la mise en marché de produits bio-assainisseurs à base de bactériophages, de phagoadditifs ou de phagobiotiques demeure encore limitée, l'immobilisation de bactéries en vue de produire différents types de phages offre des avantages tels qu’une production rapide, une récupération simple des phages dans le milieu et une réutilisation de l'inoculum bactérien. Cette méthode de production en continu facilite les opérations, assure l’obtention d'importantes quantités de phages à concentration élevée dans le milieu; ce à quoi s'ajoute une économie de temps due à une activité supérieure, parce que plus concentrée, des cellules hôtes.

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1.11.1. Techniques d'immobilisation

Un grand nombre de méthodes physiques et chimiques peuvent être utilisées pour favoriser une immobilisation microbienne. Les systèmes de cellules immobilisés peuvent être classés en quatre catégories : l’adsorption, la polymérisation, l’inclusion et l’agrégation (Fig. 1.33).

Les informations qui suivent présentent un aperçu de ces différentes techniques, incluant celle qui offre le plus d’intérêt pour la production de bactériophages, l’inclusion.

1.11.2. Adsorption

Cette technique d'une grande simplicité fait intervenir le recouvrement (ou colonisation) d'une surface par les microorganismes, qui sont maintenus à l'interface par un simple contact physique ou par des forces non-covalentes (liaisons électrostatiques ou interactions hydrophobes) (Rosevear, 1984). En général, cette technique nécessite le contact entre une phase solide et une phase liquide. Le procédé est réalisé en laissant, par exemple, une culture cellulaire en présence d'un support (gel, verre, PVC, acier inoxydable etc.), et ce dans des conditions physico-chimiques déterminées. La croissance cellulaire qui a lieu à la surface du support se transforme progressivement en biofilm. Cette technique, très ancienne, est utilisée pour produire des bactériophages à l'échelle pilote. Le procédé consiste à imbiber d'une culture bactérienne une gélose nutritive. Le support poreux (agar) est ensuite recouvert d'un film de bactériophages. Suite à un temps de production, prédéterminé, la surface est inondée

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d'un tampon et soigneusement grattée pour déloger les particules phagiques produites. Cette technique ne permet cependant pas la réutilisation du gel et les volumes récoltés par plaque sont faibles, soit de l'ordre de 3-10 ml. Le temps de production, les manipulations préliminaires et le temps requis pour la récolte et la purification des solutions phagiques sont désavantageux pour une application à l'échelle industrielle.

1.11.3. Polymérisation et agrégation

Les méthodes de fixation par liaisons covalentes impliquent l’activation d’un support ou une étape de réticulation qui consiste à former un réseautage entre les cellules. Ces systèmes mettent nécessairement en jeu des molécules hautement réactives (carbodiimide, glutaraldéhyde), si bien que beaucoup de cellules ne résistent pas aux traitements (Diviès et al., 1989). Cette technique a donc été éliminée pour fin de production de phages. L’agrégation, qui est un processus de floculation de microorganismes, est, comme l’adsorption, un phénomène aussi très répandu dans la nature. On peut la provoquer artificiellement par une simple décantation avec ou sans l'ajout d'un agent floculant, dont le sulfate d’aluminium, Al2(SO4)3, ou la chaux, Ca(OH)2 (Ayeche & Balaska, 2010). Cette

approche n’est pas appropriée pour une production de phages en continu parce que les cellules floculées ne sont pas protégées contre l'attaque des phages, parce que le système est relativement fragile et parce que toute la population, étant exposée, risque une extermination trop rapide.

1.11.4. Inclusion

L'inclusion cellulaire est une technique d'immobilisation largement utilisée pour fixer et confiner temporairement des cellules bactériennes. Le principe consiste à emprisonner les cellules dans une matrice rigide poreuse (sous forme de billes, de filets ou de membranes) qui permet la diffusion de substrats nutritifs et la libération progressive des bactéries ou de leurs métabolites. De nombreux polymères peuvent servir de réseau d'inclusion. Parmi les polymères synthétiques, le polyacrylamide, le chlorure de polyvinyle et le polyuréthane sont les plus utilisés; toutefois, leur utilisation implique des expositions chimiques parfois drastiques. Les polymères organiques naturels sont de loin les plus appropriés pour

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immobiliser les microorganismes, principalement à cause des conditions plus douces qu'ils nécessitent lors de la formulation de gels. Très souvent, ces polymères sont de nature polysaccharidique. L'alginate, le carraghénane, l'agar et le gellan gum sont des exemples de polysaccharides naturels (Audet et al., 1988; Sanderson et al., 1989). Ces derniers sont extraits de différentes algues marines, sauf le gellan gum, qui est un polysaccharide excrété par une bactérie, Pseudomonas elodea (Sanderson, 1990). Ils sont largement utilisés dans l’alimentation comme agents gélifiants, liants et stabilisants (Van Nieuwenhuyzen et al., 2006).

Dans la vision d’une production de phages par inclusion, un des avantages repose sur le fait que les cellules sont protégées contre l'attaque des phages par une matrice et que les bactéries hôtes sont libérées progressivement dans le milieu. Dès que les microorganismes sont exposés en surface de la matrice ou entièrement libres dans le liquide, ils sont alors infectés, utilisés pour la production de phages, et ils subissent ultimement une lyse. Graduellement, d’autres bactéries se libèrent et deviennent disponibles pour la poursuite de la production des phages, contribuant à augmenter leur concentration dans le milieu. La population bactérienne évite ainsi l’extermination trop rapide et le processus de production de phages se fait en continu. Les phages augmentent en quantité dans le milieu et les infections bactériennes se poursuivent conjointement avec l’apparition de nouvelles cellules, créant un rendement de production croissant.