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Défenses des cellules hôtes contre les phages et formulations multiphages

En rappel, la résistance des bactéries à l'attaque d'un phage peut être attribuée à divers phénomènes, notamment à la non reconnaissance, par le phage, des sites d’adsorption présents à la surface du microorganisme, due parfois à une mutation des récepteurs. Il peut aussi arriver que la non reconnaissance soit causée par la production d’exopolymères, recouvrant les cibles de connexion. Certains phages, toutefois, pour parvenir à se fixer, peuvent dégrader ces exopolymères à l’aide d’enzymes (Sutherland et al., 2004). Aussi, la présence d'un système de restriction chez certaines bactéries hôtes leur permet de reconnaître l'ADN phagique comme étant étranger et de le digérer à l'aide d'enzymes spécifiques, telles que des endonucléases. Les phages, pour contourner ce mécanisme de défense, peuvent effectuer une modification dynamique du site de reconnaissance au sein même de leur ADN, empêchant les endonucléases de les identifier (Samson et al., 2013).

Un autre phénomène occasionnellement impliqué dans la non-réplication phagique est l'infection abortive, durant laquelle le phage procède d’abord à l’adsorption et à l’injection de son ADN, mais où la production se limite à un assemblage très restreint de phages et à un relargage limité d’un à quatre virions par cellule. La mort programmée de la cellule bactérienne, rappelant l’apoptose des cellules eucaryotes, est un autre moyen possiblement utilisé par la bactérie pour éviter de participer à une réplication phagique. La bactérie se sacrifierait pour la survie des autres en évaluant son danger potentiel, cette fatalité demeure toutefois intéressante, puisqu'elle aboutit à un objectif malgré tout souhaité, soit la mort du pathogène par l’intervention du virus. L'immunité lysogénique, bien qu’elle soit aussi considérée comme un mécanisme de résistance envers les phages, est un processus qui n'en demeure pas moins limité. En bloquant l'injection du génome phagique par des protéines qui se lient et empêchent l'entrée de l'ADN, stratégie parfois utilisée par les prophages afin de prévenir l'infection par un autre phage, les phages latents protègent les cellules bactériennes uniquement contre l'attaque des phages qui leur sont apparentés. Puisque d’autres types de bactériophages peuvent être virulents pour les bactéries lysogènes et que certaines conditions de stress peuvent libérer leur prophage, cette résistance ne peut être systématiquement qualifiée de mécanisme permanent.

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Le système CRISPR-Cas (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) est un autre mécanisme de défense retrouvé chez certaines bactéries. Une série de courtes séquences génétiques répétées, régulièrement entrecoupées sur le génome des bactéries par d’autres séquences variables nommées « espaceurs », peut les rendre résistantes. Ainsi, les acides nucléiques exogènes introduits dans le système CRISPR du génome bactérien représentent une stratégie anti-phage de plus en plus identifiée qui fait office d’immunité adaptative. Les protéines Cas peuvent ensuite procéder à la coupure des ADN exogènes repérés et interférer dans le cycle lytique. Les phages peuvent contourner ce type de résistance par des mutations ponctuelles. En effet, le phage, doté de capacités évolutives, est en mesure de s’automodifier pour éviter une reconnaissance. Un système CRISPR-Cas a été observé chez des Listeria et ce module pourrait conférer une immunité qui protège la bactérie contre l'attaque phagique. Des souches de L. monocytogenes des sérotypes 1/2 et 4b présentent un élément CRISPR contenant des « espaceurs », pouvant potentiellement affecter les phages virulents A511, P100, P70 et P35 (Sesto et al., 2014). Toutefois, les protéines Cas, responsables des scissions, ne sont pas toujours présentes (Kuenne et al., 2013).

Différentes conditions physico-chimiques influencent également les étapes allant de l'adsorption à la réplication des phages. L'étape d'adsorption, par exemple, nécessite dans certains cas la participation d'ions monovalents ou bivalents comme cofacteurs. La température joue également un rôle sur l’adsorption. Certains phages sont davantage actifs à la température optimale de croissance du microorganisme; d'autres sont plus virulents à des températures extrêmes, à des pH acides ou à des milieux neutres ou alcalins. Tous ces paramètres affectent donc à la fois l’étape de l’adsorption, la quantité de phages libérés par la bactérie (burst size) et, nécessairement, le niveau d’élimination de la population bactérienne. Conséquemment, l'efficacité des solutions phagiques anti-pathogènes, prenant les noms de phagobiotiques, phagoadditifs ou phagoassainisseurs, dépend de nombreux facteurs abiotiques (pH, Tº, aération) qui doivent être précisément paramétrés.

Pour prévenir la problématique du développement de résistance suite à l’utilisation d’un antimicrobien à base de phages, quelques stratégies doivent être respectées. D’abord, il faut élaborer une large liste de tous les phages agissant sur les souches à éliminer, les caractériser

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sur fiches signalétiques, les produire en forte concentration et les entreposer convenablement afin de les maintenir disponibles rapidement. Dans le cas des solutions à phages multiples, il importe d’éviter de concocter des mélanges qui en contiennent une trop grande variété pour ne pas risquer d’épuiser rapidement l’arsenal phagique suite au développement de résistances chez les bactéries visées. L’augmentation du nombre de phages dans une formulation devrait idéalement s’effectuer de façon progressive. Il est nettement plus avantageux de formuler des produits contenant un mélange restreint de phages (deux ou trois) afin de garder en réserve des candidats performants et de mettre de l’avant une rotation dans les formulations phagiques (Woolston et al., 2013). Pour une meilleure inhibition, l’utilisation d’un mélange de phages ayant des sites d’adsorption différents est à privilégier (Tanji et al., 2004). Selon les usages visés, il faut élargir également les divers types de formulations en introduisant dans certains mélanges phagiques des ingrédients antimicrobiens tels que des bactériocines, des produits chimiques ou d’autres composants, afin de provoquer un effet synergique (Markoishvili et al., 2002; Mills et al., 2017; Roy et al., 1993). Par ailleurs, les solutions de phages, pour être efficaces, doivent être employées en concentration élevée pour une meilleure efficacité (Liu et al., 2015). Les études portant sur les meilleurs paramètres qui conduisent à des mélanges de phages efficaces se multiplient (Markoishvili et al., 2002; Rhoads et al., 2009). Une étude à visée thérapeutique, portant sur l’utilisation d’un mélange de trois phages sélectionnés par une méthode qualifiée d’étape par étape (SBS : Step-By- Step), consistait à tester un phage sur plusieurs souches de Klebsiella pneumoniae et de soumettre les bactéries résistantes à un autre phage pouvant les lyser. Le processus de sélection phagique s’est répété jusqu’à ce que toutes les souches résistantes aient été lysées par l’un ou l’autre des phages. La solution phagique anti-K. pneumoniae formulée s’est montrée efficace pour réduire considérablement la concentration bactérienne présente chez les souris infectées. Une synergie entraînant une meilleure efficacité grâce à l’emploi des trois phages a été notée en comparaison avec l’utilisation des phages individuels (Gu et al., 2012).

On peut se réjouir de la découverte de nouveaux antibiotiques tels que la plectasine et la teixobactine, qui se fixent à des motifs structuraux lipidiques hautement conservés et peu évolutifs du peptidoglycane bactérien pour neutraliser sa formation et affecter la croissance

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bactérienne. Il n’en demeure pas moins que ces substances ont un spectre d’action très large et, contrairement aux phages, qui sont très spécifiques, les antibiotiques affectent fortement l’intégralité du microbiote en déstabilisant la flore microbienne saine et nécessaire pour maintenir une immunité compétente. Après évaluation, la fréquence d’apparition d’une résistance est beaucoup plus élevée dans les systèmes antibiotiques-bactéries (10-5) que dans

ceux des complexes phages-bactéries, dont l’ordre est de 10-7 à 10-8 (Merril et al., 2006). Le

monde médical est en réflexion sur les procédures d’utilisation et sur les bienfaits des antibiotiques, non seulement en raison des résistances que les microorganismes ont développées à leur égard, mais également à cause de l’effet néfaste que leur absorption entraîne sur l’ensemble de la population bactérienne de l’intestin. En effet, il est de plus en plus reconnu que les antibiotiques affectent la flore commensale et détériorent le mucus qui recouvre les entérocytes, les cellules caliciformes et les cellules de Paneth, affaiblissant ainsi ce composant majeur de la barrière protectrice intestinale.

Les antibiotiques sont utilisés à l’échelle mondiale et en quantités considérables pour les soins humains et ils sont également utilisés largement pour traiter le bétail en agroalimentation. Leur prescription et leur distribution sont en augmentation continuelle (Ferrer et al., 2016), engendrant un impératif besoin de développer de nouveaux produits pour réduire leur utilisation. La résistance bactérienne touche non seulement le secteur médical, mais a des répercussions aussi dans le secteur alimentaire alors qu’il est de plus en plus reconnu que les agents de conservation tels que les nitrates, les nitrites et les benzoates, régulièrement employés pour lutter contre de nombreux pathogènes, seraient impliqués dans le développement d’allergies, d’asthme et même dans des cas de cancer (Sharma, 2015; Song et al., 2015). Les solutions de désinfectants chimiques ne sont pas à négliger pour autant. Par contre, il faut convenir que les bactéries, au fil des générations, sont devenues multirésistantes et que la simple augmentation des concentrations de produits ne suffit plus. Si aucun autre moyen de combattre n’est développé, une perte de contrôle de la situation est à craindre. Les chercheurs considèrent sérieusement les impacts, sur l’organisme humain, de l’emploi prolongé des antibiotiques, des additifs alimentaires et des produits nettoyants chimiques, et la course aux solutions de rechange est entamée depuis quelques années. Les nombreux efforts investis dans la recherche font avancer l’arsenal antimicrobien vers des

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d’outils plus naturels et plus écologiques. La combinaison de tous les travaux ne peut aboutir qu’à des solutions bénéfiques pour faire face à l’éventualité d’une résistance bactérienne trop importante face aux moyens actuellement disponibles.