Identité locale

L’identité locale, comme l’identité de lieu et l’identité territoriale, s’inscrit dans la théorie de l’identité sociale (Tajfel & Turner, 1979) qui se fonde sur trois processus socio– psychologiques : la catégorisation sociale (soit le fait d'associer les individus à des groupes et

l’identification sociale (l’implication de leur identité dans leurs perceptions et leurs réponses face à une situation sociale). L’identité locale en tant que forme de l’identité sociale, met l’accent sur le rôle du lieu dans l’image de soi des individus et des groupes.

L’identité locale est souvent abordée lorsqu’il est question de développement local. Cette notion s’inscrit dans une approche centrée sur le local, par opposition au global dans un contexte de mondialisation qui crée des enjeux majeurs pour les territoires : le risque de perte d’identité, la standardisation qui limite la diversité des territoires, etc. En effet, le concept d’identité locale apparaît comme une notion vague, ambiguë et polysémique (Haschar-Noé, 2005 ; Higham & Hinch, 2009 ; Rangeon, 1994). L'identité locale fait référence à un espace approprié, identifié par ses habitants (Rangeon, 1994) et est formulée grâce à la mémoire collective (Rosati-Marzetti, 2013). L’identité locale est alors définie comme « un

ensemble de caractéristiques sociales, géographiques, anthropologiques, ethnologique,… permettant de définir les particularités d’un territoire (ou d’une communauté) pour le (ou la) différencier des autres territoires ou communautés » (Haschar-Noé, 2005 : 2). Elle est

soumise à une construction permanente (sociale et historique), sous forme d’un processus d’acculturation plus ou moins important et généralement mal identifié (voire dénié), à partir non seulement des éléments « objectifs » (un territoire, une langue, un ordre normatif...) mais également « subjectifs » (un sentiment d'appartenance, une volonté de vivre ensemble, une revendication du droit à la reconnaissance d'un particularisme...) (Rangeon, 1994). Elle remplit donc une double fonction : construire un sentiment d’appartenance à une communauté (ou à un territoire) et se différencier des autres communautés (ou territoires). Ici, l’affirmation identitaire devient importante car le territoire devient mémoire (Piveteau, 1995). L’identité locale est construite grâce à l’inscription mémorielle de ressources locales (matérielles ou immatérielles), souvent bien distinctes car celles-ci permettent d’exacerber les revendications identitaires et les appartenances territoriales (Rosati-Marzetti, 2013). Rangeon (1994 : 328) constate que l’identité locale oscille entre deux approches principales : « la première, à dominante culturelle », essentiellement « tournée vers le passé », « vise la

reconquête d'une identité unique et homogène » ; « la seconde, à dominante politique »,

« tournée vers l'avenir », « repose sur une conception pluraliste d'identités associées en

réseau et engagées dans un mouvement d'ajustement mutuel ».

Dans une optique plus marketing, l’identité locale consiste à forger des représentations mentales auxquelles les consommateurs font confiance parce qu’elles respectent (ou semblent respecter) les traditions et les coutumes locales, reconnaissent le caractère unique des communautés locales et s’intéressent aux évènements locaux (Tu, Khare, & Zhang, 2012). Le caractère unique du territoire joue un rôle important pour affirmer l’identité locale et devient ici encore une source de différentiation, dans un contexte de compétition entre les espaces. En tourisme, l’identité locale est souvent abordée dans les stratégies de différentiation des territoires face à la globalisation par le fait que celle-ci développe les ressources locales du lieu et prend appui sur un sentiment d’appartenance à ce lieu (Teo & Li, 2003). Le tourisme contribue de façon positive au processus de construction et d’affirmation de l’identité locale (Cole, 2007 ; Rekom, 2006). Cependant, la divergence dans les conceptions locales et régionales sur l’identité locale fournit une perspective utile pour examiner les instabilités régionales et pose les enjeux propres aux destinations touristiques dans le contexte de globalisation et d’innovation (Dredge & Jenkins, 2003). On peut ainsi s’interroger sur la manière dont les différents acteurs concernés dans le secteur du tourisme, surtout au niveau d’une destination, interprètent et donnent du sens au processus de

(ré)activation de l’identité locale à partir de la typicité et de l’authenticité d’une sélection d’éléments locaux, identifiés en tant que ressources.

Tableau 7. Comparaison des identités : identité de lieu, identité territoriale et identité locale

Caractéristiques Identité de lieu Identité territoriale Identité locale Positionnement épistémologique Interactionnisme symbolique Behaviorisme Constructivisme Constructivisme

Type d’identité l’identité d’un individu, l’identité sociale à partir des cognitions

personnelles sur le monde physique d’un lieu

identité sociale ou personnelle à partir du territoire

identité sociale de différenciation dans une situation sociale

compétitive à partir d’une construction permanente (sociale et historique) d’un territoire Composants et dimensions Composantes : Éléments physiques, activités et images Dimensions : Distinction/ différentiation ; Continuité ; Estime de soi ; Auto-efficacité un élément cognitif un élément affectif un mécanisme de mobilisation collective autour du territoire

Des éléments « objectifs » ; des éléments

«subjectifs» (un sentiment d'appartenance, une volonté de vivre ensemble, une revendication du droit à la reconnaissance d'un particularisme...) Input Les paramètres physiques

d’un cadre spatial particulier

les caractéristiques du territoire : les attributs de spatialité (matériels et idéels) Ensemble de caractéristiques sociales, géographiques, anthropologiques, ethnologiques,…

permettant de définir les particularités d’un territoire (ou d’une communauté) un espace approprié, identifié par ses habitants ; ressources locales (matérielles ou immatérielles) bien distinctes

Output Des souvenirs, des idées, des sentiments, des attitudes, des valeurs, les préférences, les significations et les conceptions du comportement et de l'expérience Des représentations identitaires, tant individuelles que collectives Des représentations mentales distinctes et un sentiment d’appartenance et de différentiation sur un territoire ou une communauté

Acteurs Implication personnelle Implication des acteurs du territoire à différentes échelles (entreprises, collectivités locales, régional, voire même au niveau national et international)

Implication personnelle et communautaire

Processus Processus d’identification Processus d’appropriation

Processus d’acculturation Processus socio–

psychologique

Lorsque l’on compare ces trois formes spatialisées de l’identité, leur proximité et leur potentiel d’interaction apparaît très important. C’est toutefois la notion d’identité locale qui semble la plus appropriée pour notre thèse car elle souligne les caractéristiques distinctives d’un territoire et prend également en considération le rôle de l’individu dans son interaction avec le territoire. L’identité possède ici une double dimension : au sens local, elle renvoie au registre de la culture partagée par une communauté ayant ses racines in situ, c’est-à-dire centré vers l’intérieur tandis que l’identité au sens touristique renvoie à l’authenticité d’une culture préservée, adressée vers l’extérieur (et les clientèles), dans une démarche qui vise la différentiation dans des situations compétitives. Ces deux facettes de l’identité se complètent pour définir une destination touristique.

En tourisme, il s’agit de l’identité de destination qui englobe l’identité locale et l’identité territoriale, et suppose l’implication de plusieurs acteurs internes et externes pour viser la différentiation de destination. Certains chercheurs proposent même le concept d’identité touristique d’un territoire, qui est « affaire de construit social, de modes de spécification, qui

se formulent selon des procédés très variés, plus ou moins institués » (Peyrache-Gadeau &

Gauchon, 2007 : 297). L’identité touristique d’une destination repose sur la mise en avant des spécificités du territoire érigées en ressources territoriales et qui résultent du jeu des acteurs organisés au sein d’un territoire. Elle participe à la production de marqueurs spatiaux visant à établir une distinction avec les autres lieux (Perrin-Malterre, 2014). Dans le cadre de cette thèse, nous insisterons sur le concept d’identité touristique d’une destination pour pouvoir cerner le rôle de la typicité locale et de l’authenticité, mobilisés en tant qu’outils de « territorialisation » des ressources, au service de ces processus de construction identitaire. Donc, il est donc nécessaire de revenir sur les concepts de typicité locale et d’authenticité.