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CHAPITRE II. IDENTITÉ D’UNE DESTINATION, TYPICITÉ /

2.6. La typicité locale, l’authenticité et les questions de gouvernance

2.6.1. Gouvernance territoriale

2.6.1.1. Définition

La question de la gouvernance est souvent évoquée dans le contexte de la globalisation pour expliquer la façon dont une décision est formellement prise à plusieurs échelles, du niveau municipal, local, au niveau régional, nationale et même transnationale (Hultman & Hall, 2012). La gouvernance, qui pendant longtemps signifiait simplement le fait de gouverner, a pris une signification nouvelle, qui fait référence à un nouveau processus de gouvernement ou à une nouvelle méthode par laquelle la société se gouverne (Fuentes, 2013), dans un monde qui connaît des changements profonds et rapides (recomposition des territoires, paradigme du développement durable, mondialisation et réorganisation des zones économiques et des marchés, etc…) Ce nouveau mode de gouvernement est caractérisé par une plus grande coopération entre plusieurs types d’acteurs étatiques et non

et des interrelations continues entre les membres de réseaux auto-organisés. Cette gouvernance permet de partager des ressources ainsi que de négocier des objectifs communs, au sein de systèmes d’action où l’État n’occupe plus une position privilégiée et souveraine. La gouvernance est donc un processus d’orientation structuré sur les plans institutionnel et technique, fondé sur des principes, des normes, des procédures et des pratiques permettant de décider collectivement des objectifs communs de coexistence et de la manière de coordonner et de coopérer pour atteindre les objectifs fixés (Fuentes, 2013).

Leloup, Moyart, & Pecqueur (2005) ont fait une synthèse sur les différents types et approches de la gouvernance, qui intègre la corporate governance reliée aux entreprises, la

gouvernance locale reliée aux communautés, la good governance en lien avec le

management public, et la gouvernance mondiale (ou gouvernance globale) en ce qui concerne les relations internationales. Quelle que soit la forme ou l’approche, la gouvernance doit prendre en compte l’élargissement du champ des acteurs impliqués, et l’interdépendance des acteurs et des organisations tant privées que publiques dans le processus de prise de décision et d’action, comme dans l’imbrication des divers niveaux de pouvoir.

La gouvernance est aussi abordée dans le domaine du tourisme, parfois sous la forme d’une « gouvernance du tourisme », en tant qu’instrument méthodologique (Fuentes, 2013), ou appliquée dans le tourisme de patrimoine (Wang & Bramwell, 2012) ; d’autres auteurs évoquent la gouvernance locale comme une stratégie de développement du tourisme durable dans les parcs nationaux (Benedetto et al., 2016), ou à propos des questions d’identité de lieu (Hultman & Hall, 2012) et de planification touristique dans les destinations (Maguigad, 2013) ; Presenza et al. (2013) mettent l’accent sur l’implication des populations résidentes en matière de gouvernance de destination, et Lequin (2001) parle de gouvernance participative en écotourisme. Ces recherches portent pour la plupart sur des études de cas en appliquant différents modèles de gouvernances à différentes formes de tourisme, et débouchent principalement sur des recommandations quant aux types d’approches et aux relations entre les acteurs dans le processus de gouvernance. La gouvernance de type décentralisé ou non hiérarchisé, par exemple, semble en tourisme la plus appropriée et efficace en terme de mobilisation des acteurs concernés (Maguigad, 2013 ; Presenza et al., 2013). Par rapport à la nécessité de, mettre en œuvre une coordination plus étroite de différents acteurs tournés vers un but commun au sein d’un même territoire, une forme particulière de gouvernance, la gouvernance territoriale, a été travaillée par les chercheurs grenoblois. Elle met l'accent sur la collaboration entre différents acteurs locaux, publics ou privés, pour gérer efficacement à l’échelle territoriale un projet, ou une vision commune de la destination (Gerbaux & Marcelpoil, 2006).

Le concept de gouvernance territoriale a été souvent évoqué dans la littérature des études économiques géographiques et spatiales (Bocquet & Mothe, 2016). Le terme de gouvernance territoriale est défini et entendu de manière diverse et parfois contradictoire (Haddad & Bouzaida, 2013). De manière générale, il existe une similitude entre la gouvernance locale et la gouvernance territoriale. Ces deux termes sont employés comme synonymes par certains auteurs pour désigner une forme de gouvernance centrée sur le local, par exemple dans les études portant sur les compétences clés pour dynamiser des territoires (Mendez & Mercier, 2006), ou sur la gouvernance des stations de montagne et sur leurs politiques sportives et touristiques (Jaccard, Bayle, & Langenbach, 2016). La gouvernance locale serait observée principalement au niveau d'une municipalité, tandis que

la gouvernance territoriale insiste sur le lien entre différents niveaux emboîtés de prise de décision, aux niveaux intercommunal, départemental ou régional, où peuvent être identifiés différents modes de gestion des destinations touristiques (Marcelpoil & François, 2008). Tout comme ces jeux entre échelles, la question de la proximité a été évoquée de plusieurs manières dans les définitions de la gouvernance territoriale. Gilly & Wallet (2005) mettent l’accent sur la proximité géographique des acteurs tandis que Leloup et al. (2005) articulent explicitement la notion de gouvernance avec les différentes proximités : proximité géographique versus proximité organisationnelle et institutionnelle des acteurs. La plupart des définitions soulignent aussi le caractère processuel de la gouvernance territoriale et proposent des critères d’analyse soit au niveau de la coordination entre les acteurs (Rey- valette et al., 2011) et de ses modalités (Amisse, Leroux, Muller, & Widehem, 2013), soit au niveau des interactions entre les acteurs (Bouzoubaa, 2009), ou encore à propos des projets de développement local (Telaidjia, 2016). Le tableau suivant nous montre une vue générale sur les définitions de la gouvernance territoriale.

Tableau 15. Les définitions de gouvernance territoriale

Auteurs Définition Vision Domaine d’application

Gilly & Wallet (2005 : 701)

la gouvernance territoriale est définie comme « le processus

d’articulation de l’ensemble des pratiques et des dispositifs institutionnels entre les acteurs géographiquement proches en vue de résoudre un problème productif ou de réaliser un projet de développement »

Analyser les processus d'innovation institutionnelle

Politique

Leloup et al. (2005)

Cette forme particulière de gouvernance est comprise comme un processus non seulement de coordination des acteurs mais aussi d’appropriation des ressources et de construction de la territorialité. *…+ La gouvernance

territoriale qui en résulte repose sur la multiplicité d’acteurs, la définition d’un espace identitaire et l’élaboration d’actions, de productions communes.

Explorer la notion de gouvernance appliquée aux dynamiques

territoriales Coordination territoriale El Hijri Ep. Bouzoubaa (2009 : 72)

la gouvernance territoriale recouvre l'ensemble des situations de coopération non ordonnées par la hiérarchie qui correspondent à la construction, à la gestion ou à la représentation de territoires, en particulier face à leur environnement économique ou institutionnel

Analyser le rôle des acteurs et leurs interactions dans la gestion de leur territoire

Identifier les facteurs de réussite ou d’échec de la gouvernance territoriale

Gestion du territoire

Rey-valette et al. (2011)

Processus dynamique de coordination entre des acteurs publics et privés aux identités multiples et aux ressources asymétriques autour d’enjeux territorialisés (i) visant la construction collective d’objectifs et d’actions en (ii) mettant en œuvre des dispositifs multiples qui reposent sur des apprentissages collectifs et participent des innovations institutionnelles et organisationnelles au sein des territoires

Proposer les méthodes et outils facilitant la coordination, la

participation et l’apprentissage des acteurs ainsi que le pilotage des projets de territoires

Développement durable des territoires

Amisse et al. (2013)

La gouvernance territoriale traduit ici la manière dont ces acteurs pluriels, inscrits dans un espace d’action commun et qu’ils contribuent à co-construire, établissent une

compatibilité entre des modes de coordination distincts

Comprendre le rôle joué par les communautés de pratique dans la dynamique de la gouvernance territoriale et analyser des modalités d’encastrement – découplage

Gouvernance

territoriale horticole

Siefu (2013) la gouvernance territoriale peut être perçue comme la manière de gérer les territoires d’un Etat et de mettre en œuvre des politiques, notamment en ce qui concerne la distribution des rôles et des responsabilités entre les

différents niveaux du gouvernement (supranational, national et régional) et les processus sous-jacents d’établissement de relations, de négociation et de création de consensus.

Évaluer les facteurs de

gouvernance mettant en avant le rôle du territoire et de la proximité dans le développement industriel

Développement industriel

Caillaud (2014) La gouvernance territoriale consisterait en un régime d’action publique mettant en scène une pluralité d’acteurs

(collectifs/institutionnels et individuels, publics/étatiques, privés, civiles), considérés comme légitimes et regroupés autour d’un problème partagé par l’ensemble.

Analyser de façon comparée des politiques départementales de gestion de l’eau potable et des déchets municipaux

Gestion de l’environnement

Telaidjia (2016) La gouvernance territoriale est une forme de gestion- combinée centralisée et décentralisée du territoire, qui coordonne l’action des différents acteurs afin qu’ils convergent vers un optimum d’utilisation des ressources locales, pour un bien-être commun. C’est un outil du développement et du projet territorial

Gouvernance des territoires et développement local

Projets de

Roux, Vollet, & Pecqueur (2006) différencient la gouvernance territoriale des gouvernances sectorielles ou intersectorielles par la combinaison d’une visée, d’une action et d’une dynamique de mobilisation dans le cadre d’un projet de territoire. La question de la gouvernance territoriale renvoie au développement local, et se situe dans le contexte historique de l’implication croissante des acteurs locaux (privés, publics, associatifs, etc.) dans les dynamiques de développement et de leur capacité à se mobiliser et à se prendre en charge.

En général, la gouvernance territoriale « repose sur la multiplicité des acteurs, la définition

d’un espace identitaire et l’élaboration d’actions, de productions communes ». C’est « un processus non seulement de coordination entre acteurs mais aussi d’appropriation des ressources et de construction de la territorialité » (Leloup et al., 2005 : 330). Cette définition,

qui met l’accent sur l’identité spatiale et l’importance de l’appropriation des ressources, nous semble la plus appropriée pour notre thèse qui porte principalement sur la valorisation de la typicité locale comme un processus de construction d’une identité locale forte à partir de l’appropriation de ressources territoriales spécifiques par une pluralité d’acteurs des deux côtés (offre et demande).

Ici, nous voudrions mobiliser la notion de gouvernance territoriale pour une analyse processuelle des dynamiques territorialisées car la typicité locale, l’authenticité et les expériences touristiques s’inscrivent toujours dans un contexte de recomposition identitaire de territoires en mutation, parfois du fait d’un développement rapide du tourisme mais plus largement du fait du développement technologique à l’échelle mondiale. Ces contextes demandent d’une forme de gouvernance qui permet la coordination, la négociation entre de multiples acteurs pour faire évoluer le territoire vers les objectifs souhaités et permettre la création de nouveaux lieux de concertation, de nouvelles techniques d’action et de décision, de nouveaux processus (Leloup et al., 2005).