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Hospitalité kibotiFgeoi^e

Dans le document JITRENNES PRIX: 1 Pr. 50 (Page 113-120)

PAR VERNON LEE ^

J a d i s , dans mes relations avec les génies ^ particu-liers à chaque localité, j ' a i eu l'occasion de dire com-m e n t l'on s'attarde, dans les villes étrangères, à re-garder fixement des portes closes, évoquant, avec quelque regret, les h a b i t a n t s de ces demeures, t o u t en songeant qu'ils pourraient être des amis...

Les maisons qui, cette fois-ci, ouvjaient leurs portes a u x voyageurs, étaient précisément les mêmes

que j ' a v a i s vues et qui excitèrent m a curiosité cinq ans a u p a r a v a n t . Du moins les maisons et la ville a v a i e n t la même apparence : maisons de campagne avec leurs toits de chalets fortement inclinés et leurs caisses d'hortensias contre le perron, telles que je les avais aperçues d u r a n t mes promenades sous la brume,

* Vernon Lee, auteur contemporain anglais, connu par ses critiques d'art, ses essais, ses romans et sa collaboration à plusieurs revues et journaux d'Angleterre et d'Italie.

^ Vernon Lee, Genius Loci

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le long des pelouses vertes et des tilleuls odorants qui s'étendent par delà les tours et les remparts de Fri-bourg.

Toute l'histoire, (je veux parler de mon récent séjour dans cette chère petite ville) se déroulait, ra-pide, avec l'imprécision d'un rêve où l'on dédaigne de poser des questions fastidieuses. Les choses impré-vues et charmantes, soudain simplifiées, devenaient réelles sans qu'on eût besoin d'en chercher le pour-quoi et le comment, d'enchaîner des raisonnements, de se préoccuper des noms et des personnes en ques-tion. Cela tenait sans, doute à cette circonstance invraisemblable que l'affaire qui m'attirait à Fribourg était purement sentimentale. J'y venais en effet pour rencontrer une ancienne amie que je n'avais jamais contemplée de mes yeux de mortelle, mais entrevue peut-être avec les yeux de l'esprit. Nous nous étions manquées Dieu sait combien de fois ; ou — qui sait

— nous n'avions jamais cherché vraiment à nous ren-contrer. Cette fois-ci, notre intention était formelle.

Fribourg est situé à l'écart des grandes lignes et j ' y étais venue'exprès, après maint échange de lettres. J'ar-rive et je la trouvai... Non. Pas réellement absente, bien que rappelée à Paris la veille au soir. Partie?

Très présente, au contraire, d'une subtile présence, plus intense que ce que l'on entend vulgairement par ce mot. Oui, à ce point que son propre portrait semblait la révéler moins que tout le reste, et cepen-dant, je le note comme une preuve que tout ceci tenait du rêve — je reconnus ce portrait comme si chacun de ses traits me fut familier. Ce n'était pas, toutefois, comme un conte de fée, puisque malgré les livres, les fleurs et les mets délicatement disposés

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p a r des mains mystérieuses, la fée du logis, bien qu'in-visible, était là.

Son hospitalité ne d e v a i t pas se borner là, c a r n o u s a v o n s des exigences plus raffinées, des curiosités, u n désir d'intimité et de cordialité inconnues sans d o u t e

•chez les héros des contes. Des ami m ' e n t r a î n è r e n t , soit à pied, soit en voiture, dans de longues pro-m e n a d e s ; de c h a r pro-m a n t e s apro-mies, d o n t le visage et la voix me semblaient familiers, mais dont les noms d e m e u r a i e n t incertains^ me m o n t r è r e n t les curiosités d e la ville et me conduisirent chez d'autres personnes amies, également délicieuses, de qui je ne savais rien

•et croyais t o u t savoir.

Les maisons, comme je l'ai dit, sont situées en d e h o r s de la ville, émergeant des prairies dont l'herbe grasse et lustrée est fleurie de ciguës blanches. On arrive p a r des avenues de tilleuls en fleurs à ces mai-sons, bâties en forme de chalets, serrées de près par les fermes, les piles de bois, les greniers, a y a n t

elles-mêmes l'allure pastorale d'une ferme, avec l'odeui" de foin et de laitage qui vient de la cour. Mais, une lois à l'intérieur de la maison, lorsqu'on suit la bonne

p r o p r e t t e dans les longs corridors frais, on se t r o u v e t r a n s p o r t é au cœur d'un passé r o m a n t i q u e et

raffi-né. Voici le gracieux ameublement Louis XV, les scènes de chasse, les pâles tapisseries, les moulures en palmettes et l'enroulement délicat du fer forgé, le charme des portes et des p a n n e a u x vert-pistache, e t la salle à manger meublée d'élégantes chaises e t de buffets couleur de corail : t o u t e la grâce du XVIII*^

siècle français r a p p o r t é de Versailles p a r quelques Suisses, capitaines au service de France, mais amor-t i e , devenue modesamor-te eamor-t, en quelque soramor-te, innocenamor-te

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-par son adaptation à une saine vie rurale, dans ces demeures rustiques aux portes toujours ouvertes, où maîtres et maîtresses circulent de la maison au potager parmi les animaux domestiques...

Le capitaine d'aventure, peint par Rigault ou l'un de ses élèves, dûment poudré et cuirassé, nous re-gardait goûter dans la salle couleur de corail où les gâteaux faits à la maison, la crème, le beurre, les fruits, le miel de la ferme s'étalaient sur une table, garnie de fleurs vieillottes que les hospitalières de-moiselles de Boccard lièrent en gerbe à mon intention.

Il y avait là de charmantes jeunes filles, toutes plus-ou moins apparentées, entr'autres ma nplus-ouvelle petite amie, pareille à une rose dans sa robe rose. Nous étions tous assis autour de la grande table, puis un jeune neveu, arrivé à cheval, entra, botté et éperonné.

Ensuite, une autre dame, descendante d'une célèbre épistolière du X V I I P siècle et qui possédait, elle aussi, un peu de cette grâce littéraire et cosmopolite parti-dilière au X V I I P siècle. Le matin même, on m'avait menée visiter sa maison, encore ime de ces fermes-chalets avec un intérieur Louis XV, dominant un profond ravin où bondissait un torrent de montagne, créé, dirait-on, pour faire les délices d'un Zimmermann, d'un Senancour ou de quelqu'âutre amoureux de la

« solitude ». Il y avait aussi la maison d'une « grand'-mère », une dame de Diesbach. Comriie toujours, c'est le même aspect de ferme ou de chalet aux toits très inclinés, mais à l'intérieur, les pièces où sont suspen-dues l'armure du tournoi, les épées, piques et cha-braques de quelque ancêtre du X V P siècle, font son-g,er à un château allemand du moyen âge.

Je sens que je n'ai pas seulement pénétré dans la

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vie de ces charmants amis, jeunes ou vieux, tous si pleins de courtoisie et de bonté, mais encore, grâce à eux, dans un petit monde ignoré, le monde d'une poi-gnée de Suisses, nobles, jadis seigneurs féodaux et, par ce fait, exclus souvent des affaires publiques par les patriciens des villes. De père en fils ils partaient alors pour le service étranger, mais ils revenaient tou-jours de Versailles ou de Vienne pour prendre femme dans leur propre milieu, pour surveiller leurs pâtura-ges et leurs vergers et continuer de planter des avenues de tilleuls sur les pentes vertes qui dominent la rivière.

Un monde d'un romantisme assagi, plus tout à fait français, mais pas encore allemand, un peu dans la note du meilleur Rousseau, celui des frais chapitres concernant «Julie» et l'aventure des deux jeunes femmes dans la forêt fleurie de pervenches... Monde imaginaire, formé de fragments de lettres et de mé-moires, de l'impression subtile qui se dégage des vieux meubles, des phrases de romance jouée sur l'épinette :

« C'est mon berger, rendez-le moi » Oui... le charme ji'en est que plus délicat. En tout cas, il ne saurait être, ce monde, plus séduisant, plus à part, et, en somme, plus invraisemblable que celui où vivaient les gens aimables, pleins de bonne grâce qui, durant cette longue et sereine après-midi d'été, m'accueilli-rent dans leurs jardins embaumés et leurs chères, vieilles maisons aux larges toits, tandis que les rayons, du soleil baissaient sur l'herbe grasse et verte, que blanchissaient les ombelles des ciguës.

Dieu me garde de jamais manquer de respect, en pensées ou en paroles, envers les Genius Loci !' Mais, sans impiété, je confesse que je n'aimerais, point demeurer toujours en tête à tête avec la

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n i t é qui réside dans les rochers et les fleuves, les pierres e t les murailles. De temps à autre, il faut que les paysages prennent une voix et des yeux humains, et que leur charme devienne celui d'aimables créa-tures vivantes. Au cours de mes heureux voyages, j ' a i vu souvent — avec reconnaissance — ce t e n d r e miracle s'accomplir. Des contrées entières furent, pour moi, personnifiées par quelques amis dont les uns ne sont plus, hélas, que dans le souvenir de ces lieux où je ne retournerai point. Ainsi la campagne de Venise s'identifie, dans ma pensée, avec cette belle

•et majestueuse patricienne que les grands doges et les a m i r a u x semblaient regarder avec complaisance d u h a u t de leurs cadres. De même les pâturages et les

forêts au pied des Alpes piémontaises demeureront t o u j o u r s associés, dans mon cœur, à l'image gracieuse

et t o u c h a n t e de l'amie que j ' y connus — pour l'aimer t r o p peu de temps ! Les voyages rendent la vie plus intense ; ils donnent à chaque heure une valeur que n ' a u r a i e n t pas de longs jours passés chez soi. E t , nos i n t i m i t é s soudaines avec des contrées nouvelles, les

brefs séjours que, nous y- faisons, libérés des soucis d e la veille et du lendemain, facihtent singulièrement nos rapports avec leurs h a b i t a n t s . Une intuition ra-pide et pénétrante remplace l'hésitation et la timidité.

E t le sentiment du temps qui fuit,' des choses qu'il faut saisir aujourd'hui ou jamais, nous fait deviner d a n s u n seul serrement de mains la personnalité de ces amis d'un jour.

Les Genius Loci, divinités, impersonnelles entre toutes, dispensent parfois à leurs fervents — et cela t o u t à fait à l'improviste — des faveurs très humaines.

Ce n'est pas la première fois que je faisais cette

ré-flexion ; aussi voyais-je une offrande sacrée faite à ma divinité dans ces fleurs et ces gâteaux qui m'a-vaient été donnés par les hôtesses de la salle à manger

Louis XV, couleur de corail, dans leur maison aux icnvirons de Fribourg.

Juillet 1901.

Tradnii de l'anglais, avec aulorisalion de l'auleur, par Hélène de Diesbach.

Vers la tombée de la nuit une dame se faisait conduire par un bon vieux cocher dans une région écartée où se croisaient différents -chemins. Vient un moment où le brave homme de cocher perdit sa

direction. Il avoua à sa cliente qu'il ne savait plus où il était, p n inspectant l'horizon dans le jour baissant, k dame crut entrevoir à distance uri poteau indicateur : — Allez voir, dit-elle au cocher, l'un des bras du poteau vous indiquera sûrement le chemin à prendre.

I,e cocher part. Un long moment se passe, la dame s'impatiente et finit par se diriger lentement dans la direction du carrefour. Presque au même moment arrive le bonhomme tout essouflé et portant sur l'épaule le providentiel poteau indicateur. — J'ai pas bien pu lire,

madame, vous pourrez mieux déchiffrer que moi, voilà la machine.

A u m a r c h é

C'était au marché du mercredi. Deux bonnes ménagères ayant

•chacune au bras un panier débordant de victuailles de toute sorte se faisaient de mutuelles confidences. La conversation durait depuis un certain temps déjà, en dépit des heurts et du bruit de la foule et de la lourdeur des paniers. L'heure de « mettre la soupe sur le feu »

«tait venue, si ce n'est déjà passée.

L'une des interlocutrices s'en aperçoit.

— O h l là, là, déjà onze heures ! Y me faut voir aller. Au revoir"

f a n n y !

— Au revoir, Lydie. Eh bien, alors, ainsi, ça fait que voilà?....

MONSIEUR LE D" J.-M. MUSY

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