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2. Paraître aux yeux des autres : attentes, obligations et performance au sein de la

2.3 Consentement et loyauté : l’importance de la culture rituelle et visuelle dans la

2.3.2 Honorer et commémorer : l’apport cultuel et rituel dans les relations entre les

La consécration d’honneurs dignes des dieux (ἰσόθεοι τιμαί) aux Diadoques puis à leurs successeurs, dont le développement et la diffusion dans le bassin égéen constituaient l’une des caractéristiques marquantes de la haute époque hellénistique, évoquait un système qui s’appuyait sur le don et le contre-don. La générosité royale s’échangeait en faveur de la

reconnaissance civique.385 Celle-ci s’exprimait à travers l’établissement de cultes, institués

d’abord par les cités grecques, en réponse aux exploits, aux bienfaits ou aux services

royaux.386 Ceux-ci, déjà susmentionnés, incluaient la protection royale face aux menaces, la

fin d’une guerre, le don d’argent, de terre ou de blé, l’allègement de conditions fiscales, la reconnaissance d’un sanctuaire, d’une cité et de son territoire sacrés et inviolables, ou encore la restauration de la paix, de la liberté et de l’autonomie. Garantes de sécurité et de

385 Les personnages royaux n’étaient pas les premiers individus mortels à recevoir un culte. Des

personnalités extraordinaires, telles que des fondateurs de cité ou des athlètes victorieux, reçurent des honneurs divins posthumes, puisque leurs actions les avaient disposés au-dessus des autres mortels. De la même manière, bien avant le temps d’Alexandre le Grand et des Diadoques, les bienfaiteurs et les généraux obtinrent également des honneurs comme témoignage de reconnaissance des communautés bénéficiaires. Le premier individu à obtenir des honneurs divins, vraisemblablement de son vivant, semble être le général spartiate Lysandre à Samos à la fin de la guerre du Péloponnèse (400 a.C.). Il vainquit les Athéniens et fut présenté comme le sauveur des cités. Les honneurs exprimaient aussi la gratitude des oligarques pour leur retour au pouvoir. Bien que quelques sources attestent également de cultes rendus à Dion de Syracuse, à Amyntas III, à Philippe II et à Alexandre le Grand, il demeure impossible de distinguer une progression et un développement de ces honneurs cultuels jusqu’à la formation des cultes royaux hellénistiques. Voir F. W. Walbank, « Monarchies », p. 89; A. Chaniotis, « The Divinity of Hellenistic Rulers », p. 432-438; A. Erskine, « Ruler Cult », p. 579-580, 583. Pour en savoir plus sur les premières manifestations cultuelles à l’égard des Diadoques et de leurs épouses, de leurs successeurs et des femmes royales, voir C. Wilkander, « The Practicalities of Ruler Cult », dans R. Hägg et B. Alroth (éd.), Greek Sacrificial Ritual, Olympian and Chthonian: Proceedings of the

Sixth International Seminar on Ancient Greek Cult, Stockholm, Svenska institutet i Athen, 2005,

p. 113-118.

386 Les cultes royaux établis par les cités grecques se distinguaient des cultes dynastiques fondés et

organisés ultérieurement par les pouvoirs monarchiques. Chez les Lagides, le culte étatique se développa à partir du règne de Ptolémée II et se présenta sous une forme plus dynastique par l’association de la maison ptolémaïque à Alexandre le Grand puis aux couples royaux. Cf. H. Hauben, « Aspects du culte des souverains à l’époque des Lagides », dans L. Criscuolo et G. Geraci (éd.),

Egitto e storia antica dall’ellenismo all’età araba, Bologne, CLUEB, 1989, p. 445-454, 466;

S. Caneva, « Queens and Ruler Cults in Early Hellenism : Observations on Festivals, and on the Administration and Ideological Meaning of Cults », Kernos, 25 (2012), p. 84-88; Quant aux Séleucides, le culte étatique apparut un peu plus tardivement, soit sous le règne d’Antiochos III qui créa celui en l’honneur de sa femme, Laodice, en 193 a.C. Cf. P. Debord, « Le culte royal chez les Séleucides », dans F. Prost (éd.), L’Orient méditerranéen de la mort d’Alexandre le Grand aux

campagnes de Pompée. Cités et royaumes à l’époque hellénistique, Rennes, Presses Universitaires de

Rennes, 2003, p. 291-297; P. van Nuffelen, « Le culte royal de l’empire des Séleucides : une réinterprétation », Historia, 53, 3 (2004), p. 278-290.

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prospérité des communautés civiques, les actions royales méritaient dès lors l’intégration des rois et des reines dans la vie religieuse et la mémoire civique des cités grecques par le biais des cultes. Ceux-ci comportaient des formes et des variations locales diverses, se modelant sur les pratiques cultuelles accordées aux divinités, ce qui favorisait la déification des personnages royaux, puisque les honneurs témoignés aux bienfaiteurs – droit de cité, privilèges, etc. – ne convenaient plus aux individus riches et puissants que devinrent les rois hellénistiques. En s’inspirant des formes religieuses traditionnelles, les cités dédièrent aux personnages royaux des autels, des processions, des festivals et des concours, des statues cultuelles, des offrandes de couronnes d’or, des sacrifices, des prêtrises, des attributions d’épithète, des enceintes sacrées ou des tribus et des mois éponymes. Les honneurs cultuels avaient parfois lieu lors de l’anniversaire du roi ou de la reine ou soulignaient l’ascension,

une victoire ou un bienfait particulier d’un souverain.387

Bien que se présentant comme des gestes de reconnaissance, plus ou moins sincères, les cultes accordés aux souverains agissaient aussi comme outils diplomatiques. En plus de leur permettre de penser, d’accepter et de s’adresser à une puissance supérieure, les cultes favorisaient les intérêts des cités, puisqu’ils établissaient une proche relation avec le souverain où s’exprimaient la gratitude civique envers les bienfaits passés et l’attente envers des faveurs éventuelles. En réponse à ces honneurs, les personnages royaux s’engageaient à tenir compte des intérêts de leurs sujets. An sein même des cités, la consécration des honneurs cultuels révélait l’activité décisionnelle, législative et honorifique de la communauté civique, ce qui constituait l’une des preuves de son αὐτονομία. Dans une étude sur les honneurs accordés au général Antigone le Borgne par la cité de Skepsis en Troade (311 a.C.), A. Erskine démontra l’étroite liaison entre les cultes royaux et les concepts de démocratie, d’autonomie et de liberté. Ayant conclu la paix avec ses rivaux, Cassandre, Lysimaque et Ptolémée, Antigone demanda que les hommes au

387 F. W. Walbank, « Monarchies », p. 87-88, 92-95; Ph. Gauthier, Les cités grecques et leurs bienfaiteurs, p. 46-47; P. Debord, « Le culte royal chez les Séleucides », p. 281, 288-289;

A. Chaniotis, « The Divinity of Hellenistic Rulers », p. 438-440; S. Caneva, « Queens and Ruler Cults », p. 89-81.

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pouvoir et les πόλεις prêtent serment de protéger la liberté et l’autonomie des cités.388

Skepsis gratifia Antigone d’une enceinte sacrée (τέμενος), d’un autel (βωμός) et d’une statue cultuelle (ἄγαλμα) aux honneurs déjà mis en place, tels qu’une fête annuelle avec un

sacrifice, un concours et le port de guirlandes par tous les citoyens.389 L’acte d’honorer et

de commémorer Antigone relevait d’une participation civique, où le δῆμος s’exprimait à travers le Conseil et l’Assemblée, par le vote, l’introduction et l’accomplissement des honneurs, en tant que communauté religieuse de la cité. Manifestation de la vitalité civique, les honneurs cultuels à l’égard des Diadoques et de leurs successeurs correspondaient à une réponse politique et religieuse de l’ensemble citoyen de la πόλις, où la crainte de la tyrannie

et la suppression du δῆμος s’avéraient bien réelles.390 En ce sens, la démocratie était liée

aux cultes royaux, car le δῆμος y faisait entendre sa voix.391

Les inscriptions mentionnent ainsi la participation civique dans l’introduction et l’élaboration des cultes, notamment lors de fêtes, de processions, de sacrifices ou de concours musicaux ou gymniques, comme ce fut le cas à Téos qui vénéra Antiochos III et Laodice III. Les dispositions prises par cette cité grecque impliquèrent la réalisation de gestes rituels par différentes catégories sociopolitiques. Téos réorganisa sa vie politique et sociale autour d’un nouveau centre, identifié par la statue cultuelle de bronze d’Antiochos III (ἄγαλμα χαλκοῦν) dans le βουλευτήριον. À leur entrée en charge, les magistrats, ainsi que les éphèbes et les vainqueurs des concours, devaient procéder à un rituel, notamment un sacrifice, en l’honneur d’Antiochos III, des Charites (Χάριτες) et de la

Mémoire (Μνήνη).392 Pour les éphèbes, issus de l’élite de la société, ce rituel, comme

388 C. B. Welles, RC 1, l. 53-61. 389 OGIS 6, l. 20-34.

390 Antiochos II obtint lui aussi des honneurs cultuels, notamment l’octroi de l’épithète θεός, lorsqu’il

libéra la cité de Milet du tyran Timarchos, et rétablit la démocratie et la liberté. Cf. Milet, I, 3, 123, l. 2-4; Chr. Habicht, Gottmenschentum, p. 103-105.

391 A. Erskine, « Ruler Cult », p. 585-597; S. Caneva, « Queens and Ruler Cults », p. 89.

392 J. Ma, Antiochos III, 18, l. 29-50. La mention des Charites évoquait les concepts de grâce, de

bienveillance et de reconnaissance aux côtés de celui de la mémoire et du souvenir. Le culte de ces deux personnifications divines liait la reconnaissance civique au souvenir des bienfaits prodigués par le roi séleucide. Les Téiens cherchaient peut-être à démontrer leur sérieux dans la commémoration de leur reconnaissance, alors que bien des cités abolissaient et supprimaient les honneurs cultuels dédiés à des personnalités royales devenues une source de menace, d’oppression ou d’échec. Cf. A. Chaniotis, « La divinité mortelle d’Antiochos III à Téos », Kernos, 20 (2007), p. 162-163.

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l’indiqua J. Ma, avait comme fonction didactique de démontrer l’importance de la

manifestation de la gratitude dans la vie politique.393 La jeunesse jouait un rôle capital dans

l’accomplissement des rites commémoratifs, puisqu’elle se portait garante de la transmission du souvenir des bienfaits d’Antiochos III aux générations suivantes. L’intégration des éphèbes dans le culte royal associait également la citoyenneté à la vénération du roi, puisqu’ils devaient d’abord remercier leurs bienfaiteurs avant

d’entreprendre toute action publique lors de leur première apparition dans l’agora.394 Le

culte du souverain s’insérait élégamment au sein du cérémonial civique préexistant, en se liant aux institutions locales. Par ce processus, Téos se créait une mémoire sociale, qu’elle manipula par l’édification de monuments et l’exécution de rituels, tant publics que privés, à des fins de mobilisations, de restauration de la concorde et de la cohésion civique comme toute adhésion à un nouveau pouvoir représentait des risques de division au sein de la πόλις.395

Les honneurs cultuels imprégnaient les domaines publics, politiques et décisionnels, recourant à la participation des citoyens dans l’acte rituel des processions, des festivités, des concours ou des sacrifices. Quelques réglementations cultuelles établies par les communautés civiques témoignent également de l’existence de cultes privés en l’honneur

des personnages royaux.396 Antiochos II Théos et Stratonice Théa furent vénérés de

manière commune et individuelle par les Smyrniens.397 Quant aux Téiens, ils furent conviés

à sacrifier et à célébrer dans leur demeure, en conformité avec leurs moyens, lors des fêtes

393 J. Ma, Antiochos III, 18, l. 38-41.

394 Ibid., l. 41-44. Une situation similaire est répertoriée dans Milet I, 139, l. 47-51, où les Milésiens, en

réponse à la lettre de Ptolémée II, demandèrent aux éphèbes, à leur sortie du gymnase, de jurer de respecter les décisions prises par le δῆμος. Celles-ci impliquaient la reconduction de l’amitié et de l’alliance avec le roi lagide et ses descendants (ἐκγόνοι).

395 J. Ma, Antiochos III, p. 159-170; A. Chaniotis, « La divinité mortelle », p. 163-164.

396 Des plaques, des statuettes ou de la vaisselle domestique peuvent suggérer l’établissement de cultes

privés. Tandis qu’aucun témoignage matériel ne nous soit parvenu au sujet des Séleucides, quelques découvertes suggèrent des cultes domestiques vénérant des personnalités lagides. Voir note 338. Également S. Aneziri, « Étude préliminaire sur le culte privé des souverains hellénistiques : problèmes et méthodes », Kernos, suppl. 15 (2005), p. 219-233; J. Ma, « Le roi en ses images : essai sur les représentations du pouvoir monarchique dans le monde hellénistique », dans I. Savalli-Lestrade et I. Cogitore (éd.), Des rois au prince. Pratiques du pouvoir monarchique dans l’orient hellénistique et

romain (IVe siècle avant J.-C. – IIe siècle après J.-C.), Grenoble, ELLUG, 2010, p. 150.

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éponymes instituées en l’honneur d’Antiochos III et de Laodice III.398 Bien que le contenu

des décrets ne détaille guère les rites cultuels pratiqués par les particuliers, les honneurs votés à l’endroit de Laodice par les cités de Téos et d’Iasos constituent un bel exemple de l’intégration du culte royal dans le domaine privé des citoyens. Afin de souligner la piété (εὐσέβεια) de Laodice envers les dieux et sa générosité (εὐχαριστία) envers les hommes, Téos accorda à celle-ci un lieu de mémoire convenant à sa qualité de femme et d’épouse, soit une fontaine éponyme située dans l’agora, que les communautés civiques consacraient normalement aux nymphes et autres divinités féminines. C’était aussi un endroit crucial pour la sociabilité des femmes. Exposée à la vue des visiteurs, comme témoignage de la gratitude des Téiens, la fontaine fournissait désormais l’eau sanctifiée par Laodice. Elle servait aux libations et aux sacrifices effectués par les prêtres et les prêtresses,

de même qu’aux rites de bain nuptial pour les jeunes mariés.399 En guise de remerciement

pour les bienfaits rendus par Laodice, qui concernaient un don de blé dont le revenu servait à financer la dot des filles de citoyens pauvres, les Iasiens octroyèrent eux aussi des honneurs à la reine séleucide, alors assimilée à la déesse Aphrodite, célébrés la journée de son anniversaire. Les jeunes mariés devaient accomplir des sacrifices au nom de Laodice,

tandis que les prêtresses et les vierges prenaient part aux processions.400 L’association de

Laodice à la fontaine et, ultimement, à la déesse Aphrodite, l’élevait au titre de protectrice des familles et du mariage, tout en y assurant la fertilité et la concorde. L’intervention de Laodice au sein des rapports humains, qui la dépeignait comme la patronne de la participation féminine dans la vie civique et religieuse, lui valut des rites cultuels qui l’introduisaient pour toujours dans les sphères publique et privée de Téos et d’Iasos. Les honneurs cultuels créaient une présence royale, matérielle, tangible et permanente par un

rituel commémoratif qui perpétuait le nom du couple royal.401

398 J. Ma, Antiochos III, 18, l. 23-24. 399 Ibid., l. 70-83.

400 Ibid., 26, B, l. 14-30.

401 A. Chaniotis, « La divinité mortelle », p. 166; P. Debord, « Le culte royal chez les Séleucides », p. 289,

286-287; P. van Nuffelen, « Le culte royal de l’empire des Séleucides », p. 289-290; S. Caneva, « Queens and Ruler Cults », p. 89-92; G. Ramsey, « The Queen and the City », p. 24-28; S. Aneziri, « Étude préliminaire », p. 227-229; A. Erskine, « Ruler Cult », p. 585-586.

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2.3.3 Le corps royal et ses représentations : l’affermissement symbolique et visuel de la présence royale au sein des communautés civiques

La présence royale se manifestait également à travers sa représentation iconographique, c’est-à-dire par le biais d’images qui rendaient visible et perceptible le corps royal. Le portait royal se diffusait grâce à divers supports, notamment sous forme de monnaies, de gemmes, de couronnes à médaillons portées par les prêtres des cultes étatiques, de sceaux, de camées, d’objets domestiques, de statuettes et de statues cultuelles. On peut ainsi imaginer une profusion des images royales dans les royaumes hellénistiques, dont le style variait en fonction de l’époque, des impératifs des commanditaires, de la

nature du support ou de la personnalité de l’artiste.402 Elles résultaient d’une décision prise

autant par le pouvoir monarchique, ses amis, ses officiers ou ses troupes armées, que des communautés civiques. Pour ces dernières, les statues cultuelles et honorifiques correspondaient aux honneurs les plus prestigieux et dispendieux accordés aux rois et aux reines à l’instar des divinités, des vainqueurs athlétiques ou des bienfaiteurs, en réponse aux bienfaits prodigués par le souverain, à sa réputation et à sa renommée. Les statues possédaient ainsi une portée sociopolitique qui se traduisait par l’identité de leurs

commanditaires, le choix de leur emplacement et le contexte de création.403

402 Les images royales apparaissaient aussi aux côtés des nombreuses autres images anthropomorphes,

telles que celles des dieux, des athlètes victorieux, des personnages royaux de la même famille et des dynasties rivales, de monuments votifs ou dynastiques. La cité devenait ainsi un espace visuel compétitif au sein duquel se développèrent différentes stratégies pour mettre les représentations royales en valeur. Celles-ci se démarquaient par leur grandeur, leur matériau de construction, leur pilier haut ou leur emplacement. Elles étaient aussi des points de référence pour la monumentalisation de documents. C’est le cas de la lettre de Ptolémée II et du décret des Milésiens, qui furent inscrits sur une stèle proche de la statue (εἰκών) de Ptolémée Ier, dieu et sauveur, elle-même érigée dans le temple

d’Apollon. Le paysage civique devenait ainsi un lieu de mémoire, libre à la monumentalisation, au renouveau et au changement visuel. J. Ma définit la monumentalisation de l’espace civique et sacré comme un acte de création réfléchie de bâtiments, de places et d’œuvres artistiques qui dessinait l’identité des communautés à travers le passé, le présent et le futur. Cf. Milet I, 139, l. 52- 54; J. Ma, « Le roi en ses images », p. 149-150; J. Ma, « City as Memory », dans B. Graziosi, P. Vasunia et G. Boys-Stones (éd.), The Oxford Handbook of Hellenic Studies, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 248-252.

403 R. R. R. Smith, Hellenistic Royal Portraits, p. 9-16; J. Ma, « Le roi en ses images », p. 149-150;

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Les cités consacrèrent généralement deux types de statues aux personnages royaux,

que rapporte la documentation épigraphique par les termes d’εἰκών et d’ἄγαλμα.404

L’utilisation de ces mots répondait à différentes fonctions et définissait la nature des relations entre le pouvoir monarchique et les communautés grecques. Il est admis que l’ἄγαλμα est une statue de culte faite de marbre ou acrolithe, parfois de bronze, généralement disposée dans les temples, près des divinités, dans un τέμενος ou dans un bâtiment public, comme le gymnase ou la salle de conseil, et qui soulignait, selon R. R. R. Smith, les vertus royales de sauveur, de bienfaiteur et, selon les cas, de

vainqueur.405 En réponse aux privilèges et aux bienfaits accordés à la cité de Téos par les

sauveurs Antiochos III et Laodice, celle-ci déclara que des statues cultuelles en marbre (ἀγάλματα μαρμάρινα), aussi belles et sacrées que possibles (κάλλιστα καὶ ἱεροπρεπέστατα), seraient disposées dans le temple de Dionysos, dieu principal de la cité,

comme le couple royal avait consacré la cité sacrée, inviolable et exempte de tribus.406 Une

magnifique statue de bronze (ἄγαλμα χαλκοῦν) d’Antiochos III se tiendra également dans

le βουλευτήριον, à l’endroit où il accomplit ses bienfaits et en promit d’autres.407 Les

figures royales d’Antiochos III et de Laodice deviennent, à travers ce processus cultuel, les destinataires de gestes rituels. Inclus dans le temple de Dionysos, ils partagent avec celui-ci les actions cultuelles. Une décision similaire est prise à l’égard de la représentation du roi séleucide dans la salle du Conseil, l’un des endroits les plus importants de Téos, où la figure du roi veille de manière symbolique sur les rassemblements et les décisions de la

404 Le sens du premier évoque la ressemblance ou la vraisemblance d’une image et qualifie le plus

souvent les statues honorifiques. Quant au second, ἄγαλμα évoque la gloire ou le ravissement, et s’applique aux statues cultuelles, notamment celles des dieux. On retrouve parmi les mots associés aux statues le terme moins usité d’ἀνδριάς, qui désigne davantage les statues des mortels. Cf. R. R. R. Smith, Hellenistic Royal Portraits, p. 16; A. Chaniotis, « La divinité mortelle », p. 160.

405 R. R. R. Smith, Hellenistic Royal Portraits, p. 16-19. Quant à la définition du terme ἄγαλμα, consulter

L. Robert, Hellenica. Recueil d’épigraphie, de numismatique et d’antiquités grecques, vol. XI-XII, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient, 1960, p. 164; L. Robert, « Recherches épigraphiques », REA, 62, 3-4, (1960), p. 317; S. R. F. Price, Rituals and Power : The Roman Imperial Cult in Asia Minor, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 178-179.

406 J. Ma, Antiochos III, 17, l. 44-52.

407 Ibid., 18, l. 29-32, 49. La lettre du roi aux Téiens fait également mention au texte 19, l. 9 de

l’édification d’une statue honorifique en son honneur, cette fois-ci en or (εἰκὼν χρυσῆ), mais qui n’apparaît pas dans les deux décrets produits par Téos.

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communauté civique. L’image royale bénéficia de sacrifices, de couronnes associées aux

saisons et d’offrandes de prémices.408

Quant à l’εἰκών, il constituait une statue honorifique en bronze doré, exposée le plus souvent à un endroit visible, tel que l’agora, le gymnase, le théâtre, les sanctuaires locaux ou panhelléniques, et correspondait à un honneur traditionnel accessible à tous, notamment

aux bienfaiteurs.409 C’est ainsi qu’est décrit le portrait du roi Antiochos Ier édifié par la cité

d’Ilion, où il fut représenté par une statue équestre en or (εἰκών χρυσῆ ἐφ’ ἵππου) dans le sanctuaire d’Athéna à la place la plus en vue (ἐν τῶν ἐπιφανεστάτῳ τόπῳ). Une dédicace du δῆμος accompagnait aussi la représentation du roi, qu’elle fit créer en raison de la piété

d’Antiochos Ier envers le sanctuaire et de ses qualités de bienfaiteur et de sauveur.410 La

vertu et le courage du roi dans ses entreprises militaires avaient apporté la paix et la