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2. Paraître aux yeux des autres : attentes, obligations et performance au sein de la

2.2 Consentir aux rôles attendus : réputation, prestige et légitimité royale

2.2.3 Le conquérant et le sauveur

L’aspect administratif de l’autorité monarchique correspond à l’une des définitions de la βασίλεια conservées dans la Souda. Celle-ci précise que le pouvoir royal s’octroyait grâce aux habiletés militaires et administratives d’individus compétents, et non en raison de

la descendance ou de la légitimité.295 La dimension militaire des royautés hellénistiques

était étroitement associée à l’idéologie de la victoire et de la conquête puisque toutes deux légitimaient l’ascension royale. En 306 a.C., nommée l’année des rois, Antigone le Borgne et Démétrios Poliorcète profitèrent de leur victoire navale à Salamine de Chypre contre les

troupes de Ptolémée pour adopter la titulature royale.296 La prise des insignes royaux, tel

que le titre royal et le diadème, par Antigone, son fils et les autres Diadoques renvoyait aux prétentions hégémoniques des nouveaux souverains, qui revendiquaient l’empire

d’Alexandre le Grand.297 De telles ambitions s’inscrivaient aussi dans une tradition

orientale dont avait hérité le Conquérant, celle de l’unification du monde connu sous une

même autorité, source de paix et de prospérité.298 Quant au titre royal, toute absence de

précision ethnique supposait que les Diadoques et leurs successeurs devenaient les rois des

295 M. M. Austin, The Hellenistic World from Alexander to the Roman Conquest : A Selection of Ancient Sources in Translation, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 37.

296 Diodore, XX, 49-53; Plutarque, Vie de Démétrios, 15-16. Alexandre avait lui aussi adopté la titulature

royale à la suite de sa victoire sur Darius lors de la bataille de Gaugamèles (331 a.C.). Les sources font aussi mention d’individus qui usèrent d’une victoire militaire pour s’élever au rang de roi. Cf. Plutarque, Vie d’Alexandre, 34, 1. C’est le cas pour Antigone Gonatas à la suite de sa victoire sur les Galates et d’Attale Ier de Pergame qui vainquit l’usurpateur Antiochos Hiérax et les troupes galates.

Pour Attale, cf. Polybe, XVIII, 41, 5-10. Pour d’autres références au pouvoir militaire en lien avec l’adoption du titre royal, voir Diodore XIX, 48, 1 (Antigone le Borgne); 93, 4 (Démétrios), 105, 4 (les successeurs); XX, 79, 2 (Agathoclès); Polybe I, 9, 8 (Hiéron II), X, 38, 2-3 et 40, 2 (Scipion l’Africain), XI, 34, 14-16 (Antiochos III).

297 De telles proclamations de royauté magnifiaient l’indépendance des successeurs d’Alexandre, qui se

refusaient d’obéir à une autre autorité que la leur. La victoire servait aussi de prétexte pour les autres Diadoques dans leur quête de la royauté. En 306 a.C., Ptolémée repoussa l’invasion antigonide en Égypte. Deux ans plus tard, Séleucos Ier conquit les satrapies orientales. Quant à Lysimaque et à

Cassandre, leurs succès militaires justifièrent leur ascension royale. Consulter, Plutarque, Vie de

Démétrios, 18; M. M. Austin, The Hellenistic World, 44; R. Waterfield, Dividing the Spoils, p. 142- 146. Toutefois, A. Meeus démontra que les revendications royales des Diadoques ne s’appuyaient pas essentiellement sur la victoire et les prouesses militaires, mais aussi sur des liens fictifs ou réels avec la dynastie argéade tout comme sur un ensemble de conduites royales. Ptolémée, par exemple, attendit peut-être la date d’anniversaire de la mort du Conquérant pour annoncer son ascension, afin de se présenter comme le vrai successeur d’Alexandre. Cf. A. Meeus, « The Territorial Ambitions of Ptolemy I », p. 294-297.

298 Le titre de roi d’Asie dont s’affubla Alexandre correspond à cette logique. Il permettait à la fois de

ménager ses sujets gréco-macédoniens, exclus de ses prétentions universalistes, et de répondre aux attentes de ses sujets orientaux. Cf.Plutarque, Vie d’Alexandre, 34; R. Strootman, « The Aims of the Diadochs », p. 310-313.

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terres qu’ils gagnaient, incitant de ce fait à la conquête de nouveaux territoires. Les auteurs

anciens font mention de cette conquête territoriale par le terme grec δορίκτητος299, qui

signifie qu’une terre était conquise par la lance, soit par droit de conquête. Celui-ci constituait une déclaration brutale et directe, mais se concevait comme une source légitime

de propriété aux côtés de l’achat, de la donation ou de l’héritage.300

L’acquisition de nouvelles terres, la défense du patrimoine territorial, la réclamation de terres ancestrales perdues se concrétisaient grâce à la guerre et au pouvoir militaire des dynasties hellénistiques, dont se nourrissait l’idéologie monarchique. Le poète Théocrite louait le souci de Ptolémée II quant à la préservation de l’héritage familial, soit des terres

conquises par son père, et à l’agrandissement des possessions extérieures lagides.301 Une

thématique similaire se retrouve dans une inscription qui mentionne l’expansion territoriale de Ptolémée III lors de la Troisième guerre de Syrie (246-241 a.C.) qui l’opposa à Séleucos II. Il hérita de Philadelphe le royaume d’Égypte, la Libye, la Syrie, la Phénicie, Chypre, la Lycie, la Carie et les îles cycladiques et conquit les vallées de l’Euphrate, la Cilicie, la Pamphylie, l’Ionie et la Thrace hellespontique, ainsi que la Mésopotamie, la

Babylonie et d’autres territoires jusqu’à la Bactriane.302 La volonté d’élargir les possessions

ou de reprendre celles qui leur ont été perdues caractérisait également l’idéologie séleucide.

Antiochos Ier fut loué pour sa juste (δικαία) et belle (καλή) entreprise qui lui permit de

299 En guise de manifestation de la conquête et de l’appropriation des possessions du roi achéménide,

Alexandre avait fiché une lance en terre asiatique, comme l’avait fait Protésilaos lors de la guerre de Troie. Cf. Diodore, XVII, 17, 2; T. S. Scheer, « The Past in a Hellenistic Present : Myth and Local Tradition », dans A. Erskine (éd.), A Companion to the Hellenistic World, Oxford, Blackwell, 2005, p. 218.

300 Au sujet de la dimension militaire et l’idéologie de la victoire, voir M. M. Austin, « Hellenistic

Kings », p. 457-459; F. W. Walbank, « Monarchies », p. 66; R. A. Billows, Kings, p. 25-28; A. M. Eckstein, « Hellenistic Monarchy », p. 249-250; A. Giovannini, Les relations entre États, p. 132-133; A. Chaniotis, War in the Hellenistic World, p. 57-60; R. Strootman, « The Aims of the Diadochs », p. 310-320.

301 Théocrite, Idylls, XVII, l. 105-106. Selon le poète, la Syrie, la Phénicie, l’Arabie, la Libye, l’Éthiopie,

la Pamphylie, la Cilicie, la Lycie, la Carie et les Cyclades appartenaient au Lagide. La liste n’est toutefois pas exacte et se réfère davantage à un empire imaginaire où l’unité et l’efficacité témoignaient de la présence royale. Cf. C. Marquaille, « The Foreign Policy of Ptolemy II », dans P. McKechnie et Ph. Guillaume (éd.), Ptolemy II Philadelphus and his World, Leiden, Brill, 2008, p. 52-53; J. Ma, « Kings », p. 185.

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recouvrer les terres ancestrales (ἡ παρτρώια ἀρχή)303, de même que pour son action noble et

belle (ἔνδοξος καὶ καλὴ αἵρεσις) face aux soulèvements en Séleucide304. Antiochos III

profita de ses succès militaires en Orient et en Asie Mineure pour consolider son règne sur

un territoire détenu auparavant par Séleucos Ier et Alexandre. Une « terre conquise » par la

lance se traduisait comme la manifestation la plus concrète de la victoire, qui glorifiait les vertus militaires des rois, leur supériorité et leur essence royale. Les souverains, conquérants et victorieux, se voyaient favorisés par les dieux, puisque toute victoire était

souhaitée par ceux-ci, ce qui devait susciter la ferveur et la reconnaissance des sujets.305

Toute victoire et défaite dépendaient des qualités morales des individus. C’est du moins ce que suggère l’historiographie antique. Pour des auteurs anciens, tels que Polybe, une personne ne peut accomplir de grandes entreprises si elle possède une morale

défaillante.306 Ainsi, le domaine militaire ou l’évocation des dangers encourus par des

communautés permettaient de brosser le portrait d’individus ou de groupes d’individus, révélant par conséquent les éléments essentiels de leur caractère. Alors que l’image militaire constituait l’un des meilleurs exemples pour chanter l’éloge d’hommes mémorables, la morale servait en ce sens de source explicative, car elle sublimait les

qualités des commandants.307 Les vertus militaires rehaussaient les habiletés de

commandement et la bravoure personnelle308, dont témoignaient la virilité et le courage des

rois. L’image guerrière des rois s’appuyaient par conséquent sur leur autorité, leur dynamisme et leur vigueur dans les domaines politiques et militaires, tout en se révélant

grâce à leur apparence héroïque309 que leur prêtaient les sources littéraires et

303 I. Ilion, 32, l. 7-8; M. M. Austin, The Hellenistic World, 162.

304 I. Ilion, 32, l. 3-4. Voir note 275; de même que J. Ma, « Autour du décret d’Ilion », p. 87-88.

305 Consulter Ph. Gauthier, « Histoire grecque et monarchie », p. 280-282; F. W. Walbank,

« Monarchies », p. 66; A. Chaniotis, War in the Hellenistic World, p. 57-60; R. Strootman, « The Aims of the Diadochs », p. 310-320.

306 Polybe, XVIII, 10, 5-11.

307 A. M. Eckstein, « Hellenistic Monarchy », p. 249-250; A. Chaniotis, War in the Hellenistic World,

p. 2, 13, 57-58, 168-169

308 Diodore, XVIII, 39, 5.

309 C’est ainsi qu’est décrit Démétrios dans Plutarque, Vie de Démétrios, 2, 2 : « Démétrios, bien qu’il fût

grand, avait une taille moindre que celle de son père [Antigone le Borgne], mais son apparence physique et les traits de son visage étaient d’une beauté si merveilleuse et extraordinaire que jamais un sculpteur ou un peintre n’attrapa sa ressemblance. Sa physionomie réunissait le charme et la gravité;

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iconographiques. La virilité royale, tant au combat qu’à la chasse310, s’opposait à l’être

efféminé, que Polybe définit comme celui qui s’écarte du danger et qui fuit face à l’ennemi,

sans combattre pour ses possessions.311 Antiochos Ier reçut d’Ilion des honneurs cultuels,

qui lui réitéra son loyalisme et applaudit la bravoure virile (ἀνδραγαθία) et la vertu (ἀρετή)

du souverain et ses capacités à défendre son royaume.312 Il parvint difficilement à renverser

des insurrections en Syrie, qui éclatèrent un peu après la mort de Séleucos Ier (281 a.C.), et

qu’une puissance extérieure lagide alimentait peut-être. Son arrivée en Asie Mineure à partir de 279 a.C. fut marquée par des conflits avec l’alliance entre la Bithynie, la ligue du

Nord et Antigone Gonatas, lequel conclut une entente de paix avec Antiochos Ier un an plus

tard. Le caractère victorieux du décret d’Ilion se référait peut-être aussi à l’action militaire

d’Antiochos Ier face aux Galates qui, depuis 278/7 a.C., se déployaient en Anatolie

occidentale.313 L’éloge des qualités royales célébrait donc la témérité, l’ambition, le

elle inspirait la crainte sans faire tort à la grâce; à un air de jeunesse et d’audace se joignaient une mine héroïque et une majesté royale difficile à imiter ». La traduction se retrouve dans le texte édité par R. Flacelière et É. Chambry. Le lien avec l’aspect héroïque apparaît aussi dans Diodore, XX, 92, 3.

310 Partie intégrante de la masculinité royale, la chasse caractérisait aussi le profil idéologique des

nouvelles royautés hellénistiques. Lysimaque se targua d’avoir tué un lion alors que Séleucos Ier se

vanta d’avoir lutté contre un ours à mains nues. Voir pour Lysimaque, Plutarque, Vie de Démétrios, 22, 3 et Pausanias, I, 9, 5; pour Séleucos Ier, consulter Appien, Histoire romaine, XI, 57. Un ambassadeur

de Ptolémée Ier, Démétrios d’Athènes, chargé de renouveler l’alliance avec les Achéens, fit l’éloge du

roi lagide, qui se démarquait par son habilité et son audace à la chasse, ses talents dans le maniement des armes et l’équitation. Ptolémée avait, semble-t-il, affligé un taureau sauvage d’un javelot, lancé de sa monture. Polybe, XXII, 3, 5-9.

311 Polybe, XXVIII, 21, 3. L’auteur condamne la lâcheté dans un autre passage lorsqu’il traite du

comportement indigne et efféminé de Prusias II (182-149 a.C.), roi de Bithynie, lors de sa guerre contre Pergame. Il y est décrit comme un homme imparfait, car laid, faible, moins courageux qu’une femme et ignorant de la culture et de la philosophie. Efféminé de corps et d’esprit, Prusias II possédait ainsi le plus grand défaut qu’un roi ne puisse avoir aux yeux de tous les peuples et des Bithyniens, ce qui justifia le manque de reconnaissance de ses sujets à l’égard de son autorité. Cf. Polybe, XXVI, 14- 15.

312 I. Ilion, 32, l. 2-8, 33-34.

313 L’arrivée des Galates en Asie Mineure (278/7 a.C.) répondait à la demande du roi Nicomède de

Bithynie qui, contractant un traité d’alliance avec ces derniers, visait à résoudre une crise dynastique et à rassembler une force guerrière capable de protéger son royaume et les cités grecques du pouvoir séleucide. Le contrôle de celui-ci fut ébranlé à la suite de l’assassinat de Séleucos Ier en 281 a.C. qui,

succédant au décès de Lysimaque lors de la bataille de Kouroupédion, annonça un mouvement d’émancipation dans le nord de l’Asie Mineure et dans la région du détroit. La diffusion éventuelle des bandes galates en Asie Mineure occidentale fournit une occasion aux souverains hellénistiques d’assumer le rôle de sauveur des cités grecques. Du côté séleucide, Antiochos Ier sembla avoir

combattu les Galates entre 275 et 268, moment pendant lequel il remporta une victoire lors de la bataille dite des éléphants, qui repoussa les Galates en Phrygie septentrionale, soit la future Galatie. À ce sujet, voir Éd. Will, Histoire politique, p. 142-144; J. D. Grainger, The Syrian Wars, Boston, Brill, 2010, p. 77-81; Ch. P. Jones, « The Decree of Ilion », p. 89-92, ainsi que S. L. Ager, « An Uneasy Balance : From the Death of Seleukos to the Battle of Raphia », dans A. Erskine (éd.), A Companion to

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courage, l’accomplissement d’actions justes, la participation à des combats extraordinaires

et la nécessité de subir des blessures, des dangers et des épreuves.314 Les souffrances et les

périls endurcissaient le corps royal et manifestaient l’attachement des souverains envers leurs sujets. Il s’avérait essentiel que le courage royal et les aptitudes du souverain soient visibles et tangibles, que les actions héroïques des souverains hellénistiques soient connues de tous, afin de susciter l’εὔνοια, soit la bienveillance et la loyauté des φίλοι royaux, des troupes armées et des sujets. Le soutien de ces derniers et la gloire reconnue aux personnages royaux constituaient les récompenses aux épreuves et aux dangers qu’ils

bravaient. Rattachée au domaine d’intervention masculine315, la guerre testait la

personnalité et la conduite des individus.316 La défaite militaire symbolisait, d’un point de

vue moralisateur, l’échec en tant qu’homme,317 ébranlait la virilité royale et brisait la

promesse de protection émise par le roi, suscitant par conséquent conflits et déséquilibre

politique.318

Une lecture de la documentation épigraphique met cependant en lumière une autre facette de l’image publique des rois où leur victoire, résultant des prouesses militaires, assurait paix et sécurité. Alors que toute allusion aux conquêtes et violences militaires des souverains demeurait évasive, discrète, voire censurée, le prestige royal reposait davantage sur la qualité protectrice et libératrice, puisque les souverains protégeaient leur royaume des ambitions de leur ennemi, concluaient la fin des guerres ou renversaient l’autorité d’un

concerne les Galates et la représentation salvatrice des rois hellénistiques (Antigonides, Attalides, Séleucides et Lagides), voir S. Mitchell, « The Galatians : Representation and Reality », dans A. Erskine (éd.), A Companion to the Hellenistic World, Oxford, Blackwell, 2005, p. 280-293.

314 Polybe, VII, 10, 5-12.

315 Bien que les femmes, royales ou non-royales, aient pu y participer. Cf. A. Chaniotis, War in the Hellenistic World, p. 104-110. Quant aux femmes royales, voir les exemples dans C. Pillonel, « Les

reines hellénistiques sur les champs de bataille », dans F. Bertholet, A. Bielman et R. Frei-Stolba (éd),

Égypte, Grèce, Rome : les différents visages des femmes antiques : travaux et colloques du Séminaire d'épigraphie grecque et latine de l'IASA 2002-2006, Bern, Peter Lang, 2008, p. 117-146.

316 Polybe XXXIII, 4. 317 Polybe, XXVIII, 21.

318 R. A. Billows, Kings and Colonists, p. 66; Cl. Préaux, « L’image du roi de l’époque hellénistique »,

dans G. Verbeke (éd), Images of Man in Ancient and Medieval Thought, Louvain, Leuven University Press, 1976, p. 58; P. Beston, « Hellenistic Military Leadership », p. 315-317, 329; A. Chaniotis, War

in the Hellenistic World, p. 60, 102, 168-170; H.-J. Gehrke, « The Victorious King », p. 78-79, 89;

J. Roy, « The Masculinity », p. 112-113; A. M. Eckstein, « Hellenistic Monarchy », p. 343; Ch. P. Jones, « The Decree of Ilion », p. 89-92.

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adversaire sur une entité politique.319 La nature charismatique du pouvoir monarchique

s’exprimait par le rôle de libérateur et de sauveur des personnages royaux, alors défenseurs

des institutions civiques et restaurateurs de la paix et de la prospérité.320 Plusieurs épithètes

soulignent l’action victorieuse et protectrice des rois, notamment chez les Séleucides et les Lagides, tels que Νίκατωρ (victorieux), Νικηφόρος (qui apporte la victoire), Σωτήρ (sauveur), Καλλίνικος (aux justes victoires), Κεραυνός (coup de tonnerre),

Ἐπιφανής (aux pouvoirs manifestes).321 Les actions militaires d’Antiochos Ier au début de

son règne lui valurent les titres de bienfaiteur (εὐεργέτης) et de sauveur (σωτήρ) par la cité

d’Ilion.322 Les honneurs cultuels rendus à Antigone le Borgne par la cité de Skepsis ne se

fondaient par nécessairement sur ses exploits militaires, mais plutôt grâce à la trêve et à la paix conclues avec Cassandre, Lysimaque et Ptolémée au terme de la Troisième guerre des Diadoques (311 a.C.) qui dura quatre ans, tandis qu’il se présentait comme le fervent

défenseur de la liberté et de l’autonomie des cités grecques.323

La représentation des rois comme protecteurs des cités les amena à jouer un rôle actif dans l’établissement de la paix et la suppression de conflits internes. Les souverains remplirent à l’occasion les fonctions d’arbitre tout en contribuant au maintien de la

concorde dans les cités grecques.324 L’intervention bienfaitrice d’un roi, qui délivre ou

319 Le décret de Canopée (238 a.C.) honore le roi Ptolémée III en tant que gardien de la paix, puisqu’il est

parvenu à défendre son royaume contre la convoitise de différentes nations et de leurs dirigeants. Cf. OGIS 56, l. 11, 12-13 = M. M. Austin, The Hellenistic World, 271. La paix figure également parmi les bienfaits que Ptolémée II octroya aux Milésiens, comme il se montrait soucieux de promouvoir leurs intérêts. Cf. Milet, I, 3, 139, l. 29-32.

320 Antiochos III devint le bienfaiteur (εὐεργέτης) des Antiochéens parce qu’il avait préservé la paix et la

démocratie (201 a.C.). Cf. J. Ma, Antiochos III, 16, l. 19-22. Les Téeins remercièrent également le roi séleucide pour l’établissement de la paix et la libération de lourdes taxes (203 a.C.). Cf. J. Ma,

Antiochos III, 18, l. 50-53. Une autre référence à la paix instaurée par Antiochos III apparaît dans le

texte 26, B, I, l. 9-12.

321 F. W. Walbank, « Monarchies », p. 71-72, 82-83; A. Chaniotis, War in the Hellenistic World, p. 58-60,

71-74; B. Virgilio, Le roi écrit, p. 42; H.-J. Gehrke, « The Victorious King », p. 83-84.

322 I. Ilion, 32, l. 37-38.

323 C. B. Welles, RC 1, l. 53-61; OGIS 6, l. 10-26.

324 Un culte rendu à la Concorde (Ὁμόνοια) à Iasos au début du IIe a.C. suppose des problèmes politiques

au sein même de la cité. Les infrastructures endommagées par le tremblement de terre de 199-198 a.C., et nouvellement intégrée au royaume séleucide, Iasos reçut l’attention royale qui se proposait de redresser la cité et de venir en aide à la population (196 a.C.). Cf. J. Ma, Antiochos III, 26. Un décret postérieur, voté en l’honneur d’Antiochos III, sous-entend des tensions politiques, sans doute entre les oligarques et les démocrates. Il y est écrit que le roi avait encouragé la cité à maintes reprises à préserver la démocratie et l’autonomie, tandis que le dieu Apollon, l’ancêtre de la lignée des rois

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protège une cité, lui conférait une aura divine, puisqu’il revêtait l’une des prérogatives des dieux, celle d’offrir leur protection. L’hymne processionnel des Athéniens pour Démétrios Poliorcète, qui libéra la cité en 291 a.C. du gouverneur Démétrios de Phalère, agent de

Cassandre325, loua la visibilité, la présence et la proximité du Diadoque, tout comme ses

capacités à établir la paix et à protéger la cité.326 Les sujets des rois s’attendaient à ce que

ces derniers prennent soin d’eux de manière concrète.327 L’autorité du roi dépendait de ses

capacités à répondre aux attentes des autres, soit de ses amis, de ses soldats ou des cités, par le biais de la concession de biens matériels et de privilèges et la promesse de protection et de paix envers ceux qui soutenaient son règne. L’assistance et la protection, qui dérivaient d’une politique de libération, modifiaient par conséquent le caractère militaire des monarchies hellénistiques en une puissance évergétique, teintée de gloire, qui s’articulait

autour d’actes de bienveillance royale et de philanthropie.328

séleucides, appelait les citoyens à vivre de manière harmonieuse (ὁμονοίας). Cf. J. Ma, Antiochos III, 28, l. 1-9. Pour une analyse détaillée des crises politiques à Iasos, voir G. Thériault, Le culte

d’Homonoia dans les cités grecques, Lyon, Maison de l’Orient méditerranéen, 1996, p. 39-42. La

concorde (ὁμόνοια) apparaît aux côtés de l’ἐλευθερία dans la propagande de Ptolémée II lors de la guerre chrémonidéenne. À ce sujet, voir C. Marquaille, « The Foreign Policy of Ptolemy II », p. 57.

325 Plutarque, Vie de Démétrios, 8-13; Diodore, XX, 45, 2. 326 M. M. Austin, The Hellenistic World, 43.

327 La protection ne constituait pas une prérogative du roi. Assimilée à l’Aphrodite marine, Arsinoé, sœur-

épouse de Ptolémée II Philadelphe, était devenue la protectrice des marins et donc la patronne de l’empire maritime lagide et de sa flotte. Ce culte marin, issu de la propagande royale, se répandit rapidement dans le bassin méditerranéen, notamment dans les cités appartenant à l’empire ou celles en