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1. Agir en faveur de ses intérêts : l’apport discursif, sociopolitique et économique

1.1 Entre cités grecques, intermédiaires et royaumes hellénistiques : l’apport des

1.1.2 De la cité au roi : le rôle des intermédiaires dans les rapports internationaux

Les relations diplomatiques contribuèrent à l’établissement d’un constant échange d’individus qui circulaient entre le souverain et ses sujets, liant de ce fait la périphérie des royaumes au centre du pouvoir. La diplomatie facilitait par conséquent les occasions de communication et de négociation par le biais desquelles les ententes tissaient les rapports entre les groupes politiques. L’envoi de missions diplomatiques, civiques ou royales, qui participaient à la consolidation de ces relations entre États, se révélait primordial durant l’époque hellénistique. Bien que le souverain fût le principal instigateur des échanges diplomatiques, ceux-ci, menés en son nom, impliquaient un réseau d’agents qui l’assistaient dans l’accomplissement de ses fonctions. Certaines figures, comme les femmes royales ou

les amis (φίλοι), intervinrent et s’impliquèrent dans le domaine de la diplomatique.81

La présence des reines dans les sphères publique et symbolique souligne le rôle politique, diplomatique ou religieux qu’elles jouèrent au sein des échanges internationaux, notamment du côté des royaumes lagide et séleucide. Certaines parvinrent à remplir des fonctions similaires ou complémentaires à celles du roi, en intervenant, selon les cas, dans la vie quotidienne de leurs sujets. Dans une lettre adressée aux Iasiens par la reine Laodice III, épouse d’Antiochos III, celle-ci se montrait désireuse de consolider le dévouement de la cité envers la maison royale séleucide par la promesse de bienfaits

éventuels.82 Des inscriptions de Sardes83, d’Iasos84 et de Téos85 illustrent l’intervention

bienfaitrice de cette reine, notamment à travers son patronage des femmes et du corps citoyen, qui visait la prospérité civique et l’expansion démographique, en réponse aux destructions et à l’insécurité provoquées par les campagnes militaires d’Antiochos III sur le

territoire anatolien.86 Par sa contribution à l’essor social des cités et à l’établissement d’une

81 R. S. Bagnall, The Administration, p. 229-233; J. D. Grainger, Great Power Diplomacy, p. 3-12.

82 J. Ma, Antiochos III, 26, l. 25-30. 83 Ibid., 2.

84 Ibid., 26.

85 Ibid., 17, l. 36-42.

86 Il franchit le Taurus en 216 a.C. afin de récupérer les territoires ancestraux de la dynastie séleucide et

de supprimer son oncle Achaios, d’abord gouverneur de l’Asie Mineure occidentale, qui s’était proclamé roi. Antiochos III le vainquit à Sardes en 214 a.C., qui subit des mesures répressives de la

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communication positive entre ces dernières et la cour séleucide, Laodice apparaît comme un agent médiateur de la bienveillance royale et l’une des composantes du processus de prise de décision. L’octroi d’honneurs par Sardes, Iasos et Téos, qui initiait un échange diplomatique avec le pouvoir royal basé sur l’évergétisme et l’échange de dons, confirme que les cités reconnaissaient et considéraient le pouvoir et l’influence de Laodice III à la cour séleucide. Centre névralgique des royaumes hellénistiques, la cour se composait des membres de la famille royale, des φίλοι, des courtisans ou du personnel domestique. À l’instar des reines, les φίλοι, amis du roi ou de leurs épouses, assumèrent le rôle d’intermédiaires et de négociateurs entre les communautés civiques et le pouvoir

monarchique.87

Les φίλοι, dont l’institution et la titulature connut une évolution et une hiérarchisation aulique progressive tout au long de la période hellénistique, constituèrent dès l’époque des Diadoques un élément important, voire essentiel, à la mise en place de la βασίλεια et, par la suite, à la consolidation du pouvoir monarchique. Ils représentaient, aux yeux des Grecs, l’un des trois piliers du pouvoir monarchique, aux côtés du souverain et des

armées (δυνάμεις).88 Cette amitié personnelle entre le roi et ses φίλοι s’appuyait non

seulement sur l’assistance et les intérêts mutuels mais aussi sur des manifestations matérielles et morales de la part du roi. Celui-ci procédait à la distribution de sa richesse ou à la nomination des amis à des charges prestigieuses, ce qui confirmait sa générosité ou son humanité (φιλανθρωπία), de même que ses capacités à concéder des bienfaits (εὐεργεσίαι). Cette amitié entre rois et φίλοι, tout comme celle entretenue avec l’armée et les sujets, s’appuyait sur un principe de relation d’échanges, où les dons royaux servaient à obtenir la

part du roi avant d’en être allégée un an plus tard. En 213 a.C., le royaume séleucide comptait à nouveau des territoires anatoliens de la Cilicie à la Mysie, mais les régions côtières et occidentales demeuraient toujours hors de sa portée. Des années plus tard, après son expédition orientale, Antiochos III entreprit une réappropriation des régions occidentales (204-197 a.C.,), comme la Carie et l’Ionie, alors que certaines cités étaient sous l’influence des dynasties attalide, antigonide et lagide. Cf. J. Ma, Antiochos III, p. 43-70.

87 A. Bielman, « Régner au féminin », p. 50-61; I. Savalli-Lestrade, « La place des reines », p. 61-73;

J. Ma, Antiochos III, p. 134-135, 152-153; J. Roy, « The Masculinity of the Hellenistic King », dans L. Foxhall et J. Salmon (éd.), When Men Were Men. Masculinity, Power and Identity in Classical

Antiquity, London, Routledge, 2011, p. 119-122; G. Ramsey, « The Queen and the City », p. 20-29. 88 La plus ancienne mention épigraphique de ces trois composants du pouvoir royal se retrouve dans une

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fidélité et le soutien des φίλοι et se concevaient comme des preuves de reconnaissance

envers leurs loyaux services.89 La φιλία institutionnalisée entre le pouvoir royal et son

entourage aulique privilégiait donc un dialogue d’échange de faveurs par le biais duquel se négociaient la position et les avantages des φίλοι qui, grâce à un privilège héréditaire ou à leur mérite personnel, étaient chargés de responsabilités administratives, militaires et

diplomatiques.90

Les fonctions et les tâches assumées par les amis soulignaient l’égard et la confiance que leur portait le pouvoir royal. Elles requéraient d’eux une grande mobilité et polyvalence. Les φίλοι participèrent à l’administration et à la gestion du royaume, en tant qu’ambassadeurs, stratèges, gouverneurs de province, haut-prêtres ou officiers, contribuant également à la diffusion des cultes étatiques, ceux-ci fondés et organisés par les autorités royales. Ils sont cependant peu représentés dans les domaines économiques, judiciaires et fiscaux. Quant aux missions diplomatiques, elles revenaient le plus souvent aux amis fidèles et compétents. Conformément aux pratiques diplomatiques royales, les souverains, qui évitaient de conduire eux-mêmes les ambassades à l’étranger, déléguaient les missions diplomatiques à des individus de confiance, tels que des amis (φίλοι) ou, plus rarement, des

membres de la famille (fils, frère, cousin).91 L’importance de leur rôle apparaît, par

exemple, dans la correspondance entre le roi lagide Ptolémée II Philadelphe et Milet en

262 a.C.92 Ptolémée prit l’initiative d’écrire aux Milésiens afin de les remercier pour leur

89 On peut penser au domaine offert par Antiochos Ier au φίλος Aristodikidès, qu’il rattacha à la cité

d’Ilion. Cf. I. Ilion, 33-34.

90 F. W. Walbank, « Monarchies », p. 69; I. Savalli-Lestrade, Les philoi royaux, p. 275-287, 321-363;

I. Savalli-Lestrade, « La place des reines à la cour », p. 63;L. Capdetrey, Le pouvoir séleucide, p. 386- 388; R. Strootman, « Kings and Cities », p. 150; P. Paschidis, « Φίλοι and φιλία », p. 287-288.

91 Il demeure néanmoins de nombreux exemples, surtout à partir de 220 a.C., qui relatent l’implication

directe des rois dans la vie diplomatique, que ce soit en tant que médiateurs, négociateurs, ambassadeurs ou alliés des cités ou des ligues. On peut penser à Philippe V de Macédoine, Antiochos III ou Attale Ier. À ce sujet, voir I. Savalli-Lestrade, « Ambassadeurs royaux », p. 702-713. 92 Il s’agit d’une inscription en trois parties distinctes. La première conserve la lettre du roi lagide; la

seconde se présente sous la forme d’un décret relatif à la réception de l’envoyé de Ptolémée II, Hègéstratos, et à la lecture de la lettre royale; et la troisième est une proposition émise par Peithénous, fils de Tharsagoras, quant au renouvellement de l’amitié et de l’alliance avec la maison lagide, en plus de l’établissement d’un serment de fidélité. Cf. Milet, I, 3, 139.

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fidélité alors que la cité avait été soumise à l’attaque d’ennemis par terre et par mer.93 Le

roi les incita vivement à demeurer amis et alliés avec sa dynastie pour les temps à venir. Comme le stipule la lettre, le fils de Ptolémée, Kallikratès et d’autres amis se trouvaient

déjà dans la cité et informèrent le roi du dévouement manifesté par les Milésiens.94 Leur

présence visait peut-être à soutenir l’orientation philolagide de la cité à un moment où

celle-ci, qui se relevait d’une période de crise interne (266- 263 a.C.)95, était menacée par

des forces ennemies. Quant à l’identité des individus évoqués par Ptolémée II, celle-ci se

révèle plutôt intéressante.96

Ptolémée le fils était vraisemblablement le successeur désigné et gouverneur de la

région.97 Sa présence et son implication diplomatique attiraient cette partie du royaume

sous une autorité supérieure directe alors que les possessions ptolémaïques égéennes étaient

menacées par la flotte d’Antigone Gonatas. En ce qui concerne Kallikratès de Samos, il

93 Les ennemis évoqués dans l’inscription ne sont pas identifiés. Les attaques par voie de terre furent

peut-être menées par Antiochos Ier, décédé en 261 a.C., ou par Antiochos II, dont le règne débuta par la

Seconde guerre de Syrie qui l’opposa à Ptolémée II (261/0-254/3 a.C.). Quant aux menaces venant de la mer, elles proviendraient peut-être du roi macédonien Antigone II Gonatas qui, ayant conquis Athènes en 263/2 a.C., avait des visées sur l’Égée alors sous l’influence lagide. Ce contexte se situait lors de la guerre Chrémonidéenne pendant laquelle se dressa la coalition d’Athènes, de Sparte et de cités alliées du Péloponnèse, soutenues par Ptolémée II Philadelphe, aux politiques expansionnistes de Gonatas en Grèce continentale. Cf. J. Crampa, Labraunda : Swedish Excavations and Researches. Vol. III, part I, The Greek Inscriptions, Lund, CWK Gleerup, 1969, p. 7-100; J. L. O’Neil, « A Re- examination of the Chremonidean War », dans P. McKechnie et Ph. Guillaume (éd.),

Ptolemy II Philadelphus and his World, Leiden, Brill, 2008, p. 65-89; K. Bringmann, « The King as

Benefactor », p. 19; I. Kralli, « Antigonos II Gonatas », dans R. S. Bagnall (éd.), The Encyclopedia of

Ancient History, Malden, Blackwell, 2013, p. 461-463. 94 Milet, I, 3, 139, l. 8-10.

95 Milet, I, 139, l. 53-56. C’est ce que laisse supposer la nomination du dieu Apollon en tant que

stéphanophore de la cité, soit de magistrat éponyme de la cité. Cf. H. Hauben, « Callicrates of Samos and Patroclus of Macedon, Champions of Ptolemaic Thalassocracy », dans K. Buraselis, M. Stefanou et D.J. Thompsen (éd.), The Ptolemies, the Sea and the Nile : Studies in Waterborne Power, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 39-52.

96 I. Savalli-Lestrade, « L’élaboration de la décision royale », p. 22-24; I. Savalli-Lestrade, Les philoi royaux, p. XI, 355-363; I. Savalli-Lestrade, « La place des reines à la cour », p. 67; P. Paschidis,

« Φίλοι and φιλία », p. 287; I. Savalli-Lestrade, « Ambassadeurs royaux », p. 702-713.

97 Il existe de nombreuses interprétations fournies par les Modernes quant à l’identité réelle de ce

personnage, car les sources s’avèrent peu prolixes à son sujet. Certains l’ont considéré comme le fils d’Arsinoé II et de Lysimaque, un enfant illégitime de Ptolémée II Philadelphe ou le fils aîné de celui-ci et d’Arsinoé I et frère du futur Ptolémée III Évergète. Le parcours de sa vie demeure obscur. Cela est peut-être dû à une damnatio memoriae établie à la suite de la révolte de Ptolémée le fils à Éphèse dans les alentours de 259 a.C. À ce sujet, voir J. A. Tunny, « Ptolemy The Son Reconsidered : Are there too many Ptolemies? », ZPE, 131, (2000), p. 83-92; en réponse à W. Huß, « Ptolemaios der Sohn », ZPE, 121, (1998), p. 229-250.

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occupait le titre de navarque (ναύαρχος), soit de commandant de la flotte lagide, et

appartenait au cercle des φίλοι des Philadelphes.98 Agissant à la fois comme envoyé

diplomatique et haut commandant, il accompagnait peut-être le prince en tant que conseiller. Leur intervention, en plus de celle de l’ambassadeur de Ptolémée II, Hègéstratos,

qui lut la lettre royale et prit la parole devant l’Assemblée milésienne,99 se clôtura par un

succès éphémère. Les Milésiens votèrent en faveur d’une proposition émise par Peithénous, fils de Tharsagoras peut-être un partisan lagide, qui stipulait que les jeunes hommes

devaient prêter serment d’allégeance envers la dynastie à leur sortie de gymnase.100 Cette

pratique ne dura guère, car la cité glissa de nouveau sous l’influence antigonide en

259 a.C.101

Le cas de Milet représente les envoyés diplomatiques, choisis au sein de l’entourage royal, comme le prolongement direct du souverain. Les φίλοι royaux remplissaient de nombreuses responsabilités, notamment celle de conseillers du roi et, ce faisant, prenaient part, en quelque sorte, à la prise de décision royale. Représentée dans les sources épigraphiques comme un acte autonome, la volonté royale résultait en réalité d’un processus de délibération entre le souverain et son entourage aulique, parmi lequel les amis intervenaient de manière collective, lors des débats au conseil, ou individuelle, par leur

98 La documentation épigraphique et papyrologique associée à Kallikratès de Samos, fils de Boiskos,

couvre plusieurs décennies, de 270 à 250 a.C. Aucun témoignage ne l’associe à des activités militaires spécifiques ni ne le font intervenir dans les conflits sociopolitiques et locaux. Il aurait peut-être participé aux deux premières Guerres de Syrie (274-271; 260-253 a.C.), à la guerre Chrémonidéenne (268-262 a.C.) et à la bataille navale de Kos (261 ou 255 a.C.). Les sources soulignent davantage son implication dans les domaines diplomatiques, culturels et religieux où il apparaît à l’occasion comme donateur ou bénéficiaire d’honneurs. La nature de ses responsabilités demeure l’objet de conjecture, mais peut-être portait-elle sur l’aspect technique et général de la flotte lagide, en plus d’en conforter les positions en Égée. Kallikratès de Samos est également connu pour sa contribution à la divinisation d’Arsinoé II par la fondation d’un sanctuaire au Cap Zéphyrion, à l’est d’Alexandrie, où elle fut adorée comme Aphrodite. Il participa activement à la diffusion du culte d’Arsinoé II en tant que protectrice des marins de l’empire maritime lagide. Cf. L. Robert, « Sur un décret d’Ilion et sur un papyrus concernant des cultes royaux », dans Essays in Honor of C. Bradford

Welles, New Haven, The American Society of Papyrologists, 1966, p. 198-201; H. Hauben,

« Callicrates of Samos », p. 39-52; M. Wirmer, « Kallikrates of Samos », dans R. S. Bagnall (éd.), The

Encyclopedia of Ancient History, Malden, Blackwell, 2013, p. 3680-3681. 99 Milet, I, 3, 139, l. 16-21.

100 Milet, I, 3, 139, l. 22-51.

101 R. S. Bagnall, The Administration, p. 173-175; P. Kossmann, « Intercéder pour la cité », p. 177-183;

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support envers une requête. Le conseil royal, nommé συνέδριον, était constitué de φίλοι et de non φίλοι désignés par le souverain. Ils y discutaient divers sujets liés aux domaines politiques, militaires et judiciaires. Les sources font parfois mention de l’implication des amis royaux dans le processus décisionnel, comme le souligne la lettre de Séleucos II à Milet, datée de 246 a.C. Celle-ci répond à une ambassade civique qui remit une couronne sacrée au roi Séleucos II au lendemain de son ascension sur le trône séleucide. Incomplète, l’inscription met néanmoins en lumière la reconduction des rapports entre la cité et le pouvoir séleucide à la suite d’un changement de règne. Séleucos II se réjouit de l’estime et de la loyauté des Milésiens, s’engagea à élever le prestige de la cité et d’en augmenter les

privilèges.102 L’intérêt de cette lettre pour le présent sujet réside dans l’évocation des

πατρικοὶ φίλοι, les amis du père du roi régnant, auprès de ce dernier, qui l’informèrent des

bonnes relations passées entre sa maison et la cité.103 Les πατρικοὶ φίλοι remplirent ici un

rôle formateur et éducateur auprès du jeune roi, alors âgé de dix-huit ans, en plus d’apparaître comme des porteurs de mémoire afin d’assurer la pérennité du pouvoir dynastique et royal. L’intervention des φίλοι, combinée avec les honneurs octroyés par les Milésiens, incitèrent peut-être Séleucos II à reconduire et à promettre des faveurs à la cité.104

Les conseillers contribuaient à l’élaboration de la décision royale. Sur le plan régional, toutefois, certaines affaires se réglaient sans l’intervention directe ou immédiate du roi. Des fonctionnaires royaux, comme les gouverneurs ou les stratèges, obtenaient de l’autorité royale une part du pouvoir politique, c’est-à-dire décisionnel. Lorsque désireuses de soumettre une requête, une demande de clarification par rapport à un sujet défini ou de résoudre un problème, les communautés grecques pouvaient s’adresser aux agents administratifs royaux. L’étendue de la fonction de ces derniers ou de leur liberté d’initiative demeure inconnue, à cause de l’état lacunaire des sources, mais des exemples montrent leur capacité d’intervention dans le système de soumission de demandes et de prises de

102 C. B. Welles, RC 22, l. 9-17. 103 C. B. Welles, RC 22, l. 7-8.

104 F. W. Walbank, « Monarchies », p. 69; I. Savalli-Lestrade, Les philoi royaux, p. 232-233;

L. Capdetrey, Le pouvoir séleucide, p. 388-393; P. Paschidis, « Φίλοι and φιλία », p. 290; I. Savalli- Lestrade, « L’élaboration de la décision royale », p. 22-26.

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décisions.105 Soucieuse de clarifier son statut financier et de valider son autonomie, la cité

d’Iasos dépêcha des ambassades à deux officiers lagides, d’abord à Aristoboulos106 puis à

Asklèpiodotos, qui travaillaient peut-être en tant que gouverneurs de Carie, comme le

proposa R. S. Bagnall, ou « commandants extraordinaires »107, ainsi dénommés par

I. Savalli-Lestrade.108 Considéré comme l’un des plus importants titres du royaume, le

gouverneur provincial remplissait des fonctions administratives et militaires en tant que représentant royal. Il recevait des demandes et des ambassades, allégeait le dispositif fiscal, signait des conventions ou rendait la justice. Il possédait par conséquent un pouvoir d’autorité sur les subordonnés et les sujets du territoire auquel il était affecté, et sa parole,

sanctionnée à l’occasion d’un serment, pouvait suffire aux interlocuteurs.109 Des officiers

comme Aristoboulos et Asklèpiodotos semblèrent exercer des responsabilités financières et administratives, celles-ci en lien avec la protection et la défense des possessions lagides. Le dossier épigraphique d’Iasos souligne leur capacité à reconnaître le statut de cité libre, autonome et alliée et d’accorder une exemption de taxes (ἀτέλεια) sur les revenus portuaires et d’autres revenus. Toutefois, les officiers ne purent se prononcer sur le montant de la contribution exigée par l’autorité royale sous prétexte d’éviter des tensions occasionnées par ces négociations. C’est du moins la raison fournie par Aristoboulos et qui

justifia son recours à la décision royale, celle de Ptolémée Ier.110 Cet exemple montre en

quelque sorte les limitations décisionnelles des fonctionnaires qui, en contact direct avec les communautés assujetties, se retrouvaient au cœur de potentiels conflits entre les intérêts des sujets et des rois.111

105 I. Savalli-Lestrade, « L’élaboration de la décision royale », p. 20-31.

106 Une autre inscription mentionne le nom d’Aristoboulos, s’il s’agit bien du même personnage, qui

œuvra en tant que représentant et envoyé de Ptolémée Ier. Il apparaît dans la lettre d’Antigone le

Borgne à la cité de Skepsis au lendemain de la paix conclue en 311 a.C. avec Ptolémée Ier, Cassandre

et Lysimaque. Aristoboulos se rendit auprès d’Antigone pour en obtenir les garanties (τὰ πιστὰ) du traité de paix. Cf. C. B. Welles, RC 1, l. 49-51.

107 I. Savalli-Lestrade, « L’élaboration de la décision royale », p. 32. 108 I. Iasos, 2-3.

109 C’est du moins ce que semble suggérer le dossier épigraphique d’Iasos. Cf. I. Iasos, 3, l. 11-29. 110 I. Iasos, 3, l. 4-10.

111 R. S. Bagnall, The Administration, p. 89-101, 213-233; L. Migeotte, « Iasos et les Lagides », p. 196,

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Le réseau d’agents qui liait la cour dynastique aux communautés grecques impliquait également les habitants des cités. Au lieu de miser uniquement sur des mesures d’annexion coercitives et coûteuses, les rois favorisèrent plutôt une collaboration avec les élites civiques. Leur soutien à quelque faction politique leur permettait d’influencer la composition des membres dirigeants et d’en obtenir l’allégeance lorsque ces derniers étaient au pouvoir. Cet appui extérieur, potentiellement recherché par les factions, leur permettait de sécuriser leur position politique. À travers ces rapports avec les rois, les citoyens dirigeants liaient leur cité à la cour. Selon A. Erskine, l’habileté de ces citoyens, formés en rhétorique, à persuader l’autorité royale confortait leur influence et leur pouvoir dans leur communauté civique, de même que leur position auprès du roi. Des cités bénéficièrent de relations privilégiées avec les souverains grâce à l’intervention de φίλοι, de

fonctionnaires royaux ou de concitoyens pour recevoir des faveurs. On peut penser au

navarque Kallikratès, fils de Boïskos, citoyen de Samos112, qui, plutôt que d’être représenté

comme un agent lagide distant, semble avoir participé à la vie publique de sa cité.113 En

plus d’assurer un lien entre Samos et le pouvoir lagide basé en Égypte, Kallikratès est honoré en tant que bienfaiteur aux côtés de Ptolémée II et d’Arsinoé II. Il apparaît dès lors comme un agent des bienfaits lagides grâce auquel la cité obtient des faveurs dont la teneur