• Aucun résultat trouvé

Telle est ma quête, suivre l'étoile

JEAN SAVARY (1748[ ?]-1814 : DU COMMERCE A LA TERRE

3. Un homme de son époque

A la fin des années 1780, période pendant laquelle il s’intéresse au commerce du tabac, Jean Savary fait la connaissance de Robert Alexander. Ce dernier est venu rejoindre son père William et son oncle Alexander John, qui, en 1783, s’étaient associés à Jonathan Williams107. Entre 1783 et 1786, Robert Alexander est en France où il est employé par Benjamin Franklin comme secrétaire particulier. En 1790, il rachète au général Hugh Mercer, une terre, d'environ 2000 acres dans le comté de Woodford dans le Kentucky et partage son temps entre la gestion de son domaine de Woodburn Farm et les affaires privées et publiques. Citoyen respecté, il représente en tant que membre de la législature du Kentucky le comté de Woodford de 1795 à 1802. En 1801, il est l'un des membres fondateurs de la Kentucky River Navigation Company. Mais son activité principale est celle de Président de la Bank of Kentucky, fonction qu’il exercera de 1807 à 1820. À la mort de Savary en 1814, Louis Vimont et Robert Alexander seront chargés de régler sa succession, d’ailleurs très complexe, qui ne sera close qu’en 1848,

106 BARNETT Todd-H., « Virginians Moving West : The Early Evolution of Slavery in the Bluegrass », Filson Club History Quarterly 73, 1999, p. 233, trad. MD.

107 Jonathan Williams gagne Londres en 1770 pour s’y former au commerce sous la direction de son grand- oncle Benjamin Franklin. À partir de 1776, il vend des armes à Nantes. Il épouse en 1779 la fille de William Alexander, Marianne, puis rejoint les États-Unis avec Franklin en 1785. (Note biographique de la lettre de L. Williams à T. Jefferson, en date du 17 septembre 1810, trad. MD, [Consulté le 4 octobre 2017]) http://founders.archives.gov/documents/Jefferson/03-03-02-0056.

Document 9 : Portrait de Robert Alexander ca. 1820 par M. H. Jouett, (Collection privée)

127

sept ans après la mort de son « digne amy »108. Car il est en effet bien question d’amitié entre ces deux hommes, tous deux installés dans deux comtés voisins de la riche région du Bluegrass au Nord du Kentucky (que situent précisément les deux cartes ci-après) et qu’une correspondance abondante et régulière, conservée à la Kentucky Historical Society de Frankfort, unira pendant une période de vingt ans109.

Cartes 25 et 26 : Limites des comtés de Woodford et Bourbon au Kentucky en 1792 et aujourd’hui

Très formelles, les premières lettres de Savary ne font d’abord usage que de la très neutre formule d’appel « Monsieur » pour faire place à partir du 12 janvier 1798 au plus amical « Monsieur et digne amy 110». Les deux hommes se fréquentent régulièrement puisque, dès janvier 1798, Jean Savary confie : « Je comptois me rendre chéz moy L’automne dernier et avoir le plaisir de vous voir Plustot ? 111» Du fait de la durée même de la correspondance, le ton change : les deux hommes ont appris à se connaître, ils se fréquentent, collaborent et ont pour point commun de faire tous deux partie de l’élite du Bluegrass. Mais, toujours à court d’argent et toujours en déplacement pour affaires, Savary est régulièrement contraint de faire appel à Alexander pour régler en son nom les taxes dues sur ses possessions « au cas que la chose soit urgente avant mon arrivée, vous priant d’agir pour moy et menager mes interets comme les votres propres 112». Les formules quelque peu ampoulées sont monnaie courante sous la plume d’un Savary qui agit envers Alexander à la manière d’un subordonné s’adressant à un supérieur. Si sa prose ne souffre aucune critique, les difficultés qu’il éprouve à l’oral dans la langue anglaise lui valent les sarcasmes amusés de Jean Badollet, dans une lettre adressée

108 Cette rapide biographie de Robert Alexander a été construite à partir de BUNDY Diane & HOWARD Jennifer, op. cit., p. 4-7.

109 KHSF, MSS 93, Alexander Family Papers, Series 2, Robert Alexander, John Savary Papers. 110 KHSF, op. cit., Savary à Alexander, le 12 janvier 1798.

111 KHSF, op. cit., ibidem. 112 KHSF, op. cit., ibidem.

128

à Albert Gallatin, le 19 octobre 1804 : « J’espère qu’il ne fera pas de long discours sur la farine, car sa prononciation et sa phraséologie ne s’étant pas améliorées, certains membres penseront qu’il parle Hottentot. 113» Les nombreux commentaires sur la situation politique accompagnent par ailleurs l’expression des nombreux obstacles rencontrés par le commerçant et spéculateur dans l’exercice de ses activités.

Mais le ton change à partir de 1808 : la situation financière de Jean Savary s’améliore et il est élu représentant du comté de Bourbon à l’Assemblée du Kentucky. Les considérations plus optimistes quant aux conditions nécessaires au succès social et économique, les encouragements et même les conseils donnés à son interlocuteur prennent alors le pas sur la seule expression des idées politiques et la correspondance prend une autre dimension. On y lit en effet les évènements marquants qui ont forgé l’histoire des États-Unis depuis la Quasi- Guerre jusqu’à la fin de la deuxième Guerre d’Indépendance, leurs répercussions économiques sur le commerce et la spéculation, on y devine aussi la personnalité d’un homme de son époque : Jean Savary.

Dix années environ après la fin de la Guerre d’Indépendance, « les guerres révolutionnaires et impériales bouleversent les conditions de navigation sur l’Atlantique et provoquent l’essor de la marine et du commerce » américains, écrit Silvia Marzagalli114. Les multiples conflits qui opposent les nations européennes à partir de 1792 conduisent les États- Unis à afficher une stricte neutralité : pour des raisons essentiellement économiques, la jeune république ne peut se heurter de front à son ancienne métropole. Le 19 novembre 1794, l’Angleterre et les États-Unis signent à Londres un traité connu sous le nom de traité de Jay, du nom de John Jay, le principal négociateur américain, qui accorde à l’Angleterre le statut commercial de « nation la plus favorisée ». L’année suivante, par le traité de San Lorenzo, l’Espagne ouvre le Mississippi à la libre navigation des navires américains115. Les États-Unis peuvent ainsi poursuivre leur commerce maritime aussi bien avec l’Angleterre qu’avec les Antilles. Dans son discours d’adieu de septembre 1796, le président Washington préconise une stricte neutralité : « C'est notre politique véritable d'avancer exempt d'Alliances

113 THORNBROUGH Gayle, The correspondence of John Badollet and Albert Gallatin (1804-1836), Indianapolis, Indiana Historical Society, 1963, p. 38, trad MD. Les Hottentots sont un peuple nomade d’Afrique australe. Savary est à l’époque conseiller financier de la même assemblée.

114 MARZAGALLI Silvia, Bordeaux et les États-Unis, op. cit., p. 229.

129

permanentes avec n'importe quelle partie du Monde étranger. 116» Le message est entendu et mis en pratique par son successeur, John Adams, qui, dès lors, mène une politique de paix armée, connue sous le nom de Quasi-Guerre ou French War117. Les relations commerciales avec la France sont au cœur du débat : Adams envoie à Paris trois commissaires chargés d’y négocier un accord dans l’esprit du traité de Jay118. Les négociateurs français, qu’un futur rapport désignera sous les seules initiales X, Y, Z, imposent aux États-Unis des concessions inacceptables119. Le scandale éclate au grand jour, le Congrès américain autorise la levée d’une armée et une série de lois, les Alien and Sedition Acts, est promulguée, qui vise à prémunir les États-Unis contre les actes séditieux émanant des citoyens étrangers et des puissances ennemies. Talleyrand, alors Ministre des Affaires étrangères, mettra plusieurs mois à renouer le fil des négociations. Savary fulmine !

« nos Commres [commissaires] sont partis (a ce qu’on dit) avec un ordre de ne pas se departir d’une lettre du traité de Jay ; L’orgueil national s’y opposoit, […] on ne peut rien offrir de Satisfaisant a la France en maintenant ce traité 120? […] il souscrit facilement a la pretention que les anglais exercent sur nous Seuls de prendre nos matelots americains Seulement depuis 1783, nos marchds [marchands] sont dans le meme cas et peuvent etre traités comme des traitres portant des marchses [marchandises] ou produits aux ennemis des anglais Enfin tout est monstrueux dans ce traité & le commerce qui a petitionné pour sa ratification doit aujourdhuy s’en repentir en en sentant les funestes effets. 121»

Le commerçant s’en prend à la frilosité de ses compatriotes favorables à un traité qui met à mal les relations commerciales établies entre les États-Unis et la France depuis la fin de la Guerre d’Indépendance. La neutralité n’est plus de mise quand elle soumet le commerce américain aux « prétentions » des Anglais eux-mêmes en conflit avec la France. Le traité de Jay, en permettant aux navires américains le transport des denrées coloniales vers les seuls

116 Extrait du discours d’adieu de George Washington, le 19 septembre 1796.

117 On pourra lire sur le sujet SCHNAKENBOURG Éric, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales XVIIe-XVIIIe siècles, Rennes, PUR, 2013.

118 Les trois commissaires se nommaient Charles Cotesworth Pinckney, John Marshall et Elbridge Gerry. 119 L’histoire a retenu les noms de Jean-Conrad Hottinguer, Pierre Bellamy et Lucien Hauteval. Certains ont avancé à tort celui de Pierre-Samuel Du Pont de Nemours.

120 On notera que Savary fait régulièrement usage des points d’interrogation là où on attend un point d’exclamation.

130

États-Unis, ne fera que développer la guerre de course, les navires contrevenants étant considérés comme ennemis122. De longues négociations aboutissent enfin à la signature du traité de Mortefontaine, le 3 octobre 1800 : des indemnités seront versées pour les bateaux saisis, la liberté du commerce est rétablie entre les deux pays. L’année suivante, le traité d’Amiens, signé le 25 mars 1802, inaugure une brève période de paix générale en Europe. Savary spécule alors sur une valeur accrue des terres qu’il possède et sur une forte augmentation de la population dans les pays d’Ouest du fait de l’émigration :

« la vente des terres prendra faveur indubitablement & quant a cela je n’en ay pas le moindre doute. […] le resultat sera une ample emigration pour ce pays cy & une vente rapide des terres. Notre population de Kentucky triplera encore dans les 10 premieres années. 123»

Le Lyonnais fait ici preuve d’un optimisme quelque peu démesuré : si la population du Kentucky a bien triplé entre 1790 et 1800, passant de 73 677 à 220 955 habitants, elle ne fera que doubler dans la décennie suivante pour atteindre le chiffre de 406 511 habitants en 1810124. Il n’en reste pas moins admiratif d’un gouvernement au sein duquel son ami Gallatin, récemment nommé Secrétaire du Trésor par le président Jefferson, s’ingénie à équilibrer le budget fédéral, un gouvernement, « le plus parfait de la terre », qui veille à ce que « la propriété appartienne à ceux qui l’ont créée par leur travail […] et donnent un rôle public plus évident à la "vertu" première, l'industrie 125» :

« La situation des États-Unis est dans la plus grande prospérité, son commerce, ses Ressources, la forme de son gouvernement le plus parfait de la terre, offrant des places vacantes a l’infortune et a l’industrie, elle offre un Exemple unique pour l’administration de ses finances de supprimer les taxes & d’economiser pour payer une partie du principal de sa dette. 126»

122 Se reporter à PICHEPIN Hervé, PLOUVIEZ David, Les corsaires nantais pendant la Révolution Française, Rennes, PUR, 2016.

123 KHSF, op. cit., Savary à Alexander, nov (?) et 25 décembre 1801. 124 Chiffres établis par l’U. S. Census Bureau.

125 OPAL Jason M., Beyond the Farm, National Ambitions in Rural New England, Philadelphia, University of Pennsylvania, 2008, p. 39, trad. MD.

131

Le 1er octobre 1800, suite au traité de San Ildefonso, l’Espagne cède secrètement la Louisiane à la France. Napoléon échafaude un vaste projet de reconstruction de l’empire colonial français au Nouveau-monde. Mais les troubles de Saint-Domingue, initiés en 1791, s’éternisent, la pacification s’avère difficile et les hostilités reprennent avec l’Angleterre. Le projet impérial est abandonné et l’Empereur, après avoir cédé la Louisiane aux États-Unis en 1803, décide de « conquérir la mer par la puissance de la terre. 127» La question des neutres est à nouveau posée : l’Angleterre saisit les bateaux américains provenant des colonies espagnoles et françaises. En réaction, le Non-Importation Act du 18 avril 1806 interdit l’importation de produits britanniques aux États-Unis. Le 21 novembre 1806, le décret de Berlin instaure le blocus continental, dont le commerce américain est victime. Le 22 décembre 1807, l’Embargo Act suspend les échanges commerciaux des États-Unis avec l’extérieur. Les conséquences sont multiples : s’il favorise la production intérieure et l’essor des manufactures, l’embargo affecte gravement les échanges commerciaux atlantiques et Savary s’en inquiète :

« Si le bon Dieu etoit un Bon enfant il feroit cesser cet état de crise et je ferois une bonne campagne, Je crois que les choses actuelles ne peuvent pas durer plus longtemps en europe et quelque arrangement pacifique d’une generalle nature doit avoir lieu bientot ? […] Quand Je partis d’icy pour Frankfort Je dis a Vimont qu’il ne pouvoit pas y avoir de paix entre L’amérique & L’angre [Angleterre], Je me confirme toujours dans cette opinion, Je crains d’avoir été trop bon Prophete. 128»

Mal appliqué, l’embargo est amendé et le Non-Intercourse Act du 1er mars 1809 le limite à la France et à l’Angleterre. Le 4 mars 1809, James Madison accède à la présidence. Savary fonde de grands espoirs dans les effets bénéfiques de l’adoucissement de l’embargo pour le commerce et partage avec Robert Alexander sa confiance en la sagesse du nouveau président pour tempérer les visées belliqueuses des « Faucons » qui, à l’instigation d’Henry Clay, Sénateur républicain du Kentucky, se font fort de dénoncer publiquement l’incapacité de Madison à s’opposer aux Britanniques :

127 Napoléon à son frère Louis Bonaparte, roi de Hollande, 1806. 128 KHSF, op. cit., Savary à Alexander, le 6 mars 1808.

132

« nous avons toujours eté reunis dans nos souhais ardents pour le bien commun, La tranquilité & la prospérité de notre pays adoptif, que nous aimons plus sincerement & peut etre plus veritablement que ses propres enfants ? Puisse [sic] les querelles et differences de party cesser dés cette epoque-cy et puisse l’intime union des individus de toutte classe et de touttes les paries de notre Republique luy meriter a Juste titre son nom D’union federale. 129»

Le Président fait montre d’autorité et déclare dans son premier message à la nation, le 29 novembre 1809 : « « je faillirais à mon devoir, si je ne recommandais pas à votre attention sérieuse l'importance de donner à notre milice, grand rempart de notre sécurité et instrument de notre pouvoir, une organisation mieux adaptée aux éventualités auxquelles les États-Unis doivent être préparés. 130» La guerre commerciale se poursuit : la levée du blocus continental est enfin acceptée par la France, le 18 avril 1811, mais pas par l’Angleterre. Les « prophéties » de Savary se réalisent : il ne peut « y avoir de paix entre l’Amérique et une Angleterre » qui viole le Traité de Paris de 1783 en occupant illégalement quelques territoires américains qui jouxtent le Canada. En novembre 1811, éclatent les premières escarmouches de la Seconde Guerre d’Indépendance ou Guerre Indienne, ainsi nommée en raison de l’engagement de la nation iroquoise au côté des Britanniques. James Vanuxem, un ami de Savary établi à Philadelphie, constate non sans une pointe d’humour que la déclaration de guerre n’a point de répercussions majeures sur l’économie des nouveaux territoires131 :

J’aurais cru qu’a la declaration de Guerre tout le monde se serait retiré dans sa bicoque ; nous vivons comme du tems de la plus profonde paix ; les Drags, les Carts132 vous viennent ainsi qu’ils les faisaient avant cet Evenement. On achette on vend en speculation. On batit des maisons, des Ponts ; on fait des Turnpikes & d’autres traveaux public. Il est vrai tout cela était commencé ; mais ni le beurre ni les autres objets du marché qui auraient dû baisser ne s’en ressentent 133».

129 KHSF, op. cit., Savary à Alexander, le 9 mai 1809.

130James Madison: "First Annual Message," November 29, 1809. Online by Gerhard Peters and John T. Woolley, The American Presidency Project. [Consulté le 23 novembre 2017], trad. MD. http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=29451.

131 Né à Dunkerque, James Vanuxem (1745-1824) a émigré en Amérique en 1774 et s'est rapidement installé à Philadelphie. Très impliqué dans le commerce international, il gère en partie les affaires de Savary.

132 Les charrettes, les chariots.

133

L’opinion de Savary est toute différente. Il voudrait « que le Canada fut a nous pour détruire tout ultérieur objet de contestation avec les anglais & supprimer cette guerre indienne ? mais nous sommes loin d’espérer un tel événement 134». Les historiens s’accordent à penser que l’annexion du Canada par les États-Unis n’était pas vraiment à l’ordre du jour135. Le soutien britannique aux autochtones et les conséquences dramatiques du blocus sur l’économie américaine sont les causes les plus fréquemment invoquées d’un conflit auquel la victoire d’Andrew Jackson à La Nouvelle-Orléans et la Paix de Gand mettront fin en 1815.

Dans le même temps, l’Empereur est en passe d’être « vaincu par sa conquête. Pour la première fois l'aigle baissait la tête. 136» C’est le début de la campagne de Russie ; une partie de l’armée impériale franchit le fleuve Niémen le 24 juin 1812, tandis qu’en Espagne près de trois cent mille soldats s’enlisent et perdent pied dans une guerre meurtrière entreprise en 1808. Jean Savary blâme l’Empereur « d’avoir prolongé cette guerre par une politique basse, mesquine et a l’italienne, il devoit conquerir promptement cette Peninsule s’il le pouvoit, & je crois qu’il le pouvoit. Il auroit evité la coalition du Nord, ou il pourra bien se geler les ailes, ou arreter la roue de sa fortune 137». Celui dont on a deviné les opinions républicaines à travers son « enthousiasme pour la cause Américaine dans sa scission avec l’Angleterre » n’est pas un fervent partisan de Napoléon, ce qui ne l’empêche pas d’être impressionné par son envergure politique et militaire138. Quelques semaines après le départ de l’Empereur en exil sur l’île d’Elbe, il confiera à Robert Alexander : « je le plains. Je ne l’aime pas mais je ne cesseray jamais de l’admirer comme l’homme le plus extraordinaire qui aye [sic] paru depuis plusieurs siècles 139». C’en est bientôt quasiment fini de l’Empire. Le 3 mai 1814, Louis XVIII fait son entrée à Paris et se proclame « par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre ». Dans une lettre écrite à Gallipolis où il s’est retiré en juin 1813, l’amertume et la déception de Savary qui s’éteindra deux mois plus tard sont particulièrement sensibles ; le retour à l’Ancien Régime est pourfendu d’un trait de plume, la « perfide Albion » est montrée du doigt :

134 KHSF, op. cit., Savary à Alexander, le 23 juillet 1812.

135 HORSMAN Reginald, The causes of the War of 1812, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1962, p. 264, estime qu’une éventuelle conquête du Canada constituait plus un moyen de contraindre l’Angleterre à modifier sa politique maritime dans la guerre qu’un véritable objectif guerrier. Il est en cela suivi par HICKEY

Donald R., The War of 1812: A Forgotten Conflict, Champaign, University of Illinois Press, 1990, p. 19, trad. MD : « la volonté d’annexer le Canada n’a aucunement conduit au déclenchement de la guerre ».

136 Victor Hugo, « L’expiation », Les Châtiments, livre V, 1853. 137 KHSF, op. cit., Savary à Alexander, le 8 octobre 1812. 138 Journal de Lyon, op. cit., p. 277.

134

« La France va être tranquille et tomber dans la léthargie de l’humiliation et du despotisme, chargée d’une dette immense pour payer les frais de la guerre de tous ces alliers, les deux noblesses, le clergé, la sotise, le catholicisme et tout ce qui s’en suit. L’Angre [Angleterre] est la seule qui gagne a ce jeu de guerre qu’elle a fomenté depuis 22 ans. 140»

On s’étonnera peut-être de lire sous la plume de l’enthousiaste Savary des mots chargés d’un tel pessimisme quant au devenir de son pays natal. On les comparera avantageusement