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1.2 Lentilles gravitationnelles

1.2.1 Historique

Le concept de lentille gravitationnelle trouve ses sources en 1916, lorsqu’Einstein (1916) d´emontra comment la courbure de l’espace-temps caus´ee par une masse – par exemple le Soleil ou un amas de galaxies – provoquait une d´eflexion des rayons lumineux en provenance d’une source ´eloign´ee, en arri`ere-plan, telle une ´etoile ou une galaxie. Bien que d’autres physiciens avaient consid´er´e l’´eventualit´e d’un tel ph´enom`ene, la Relativit´e G´en´erale d’Einstein est la premi`ere th´eorie `a en faire une r´eelle pr´ediction et non plus une hypoth`ese.

En invoquant la m´etrique de Schwarzschild (1916) dans le contexte d’une masse d´eflectrice ponctuelle, Einstein (1915a) a alors montr´e que l’angle de d´eviation en Relativit´e G´en´erale est le double de celui trouv´e avec la gravitation newtonienne. Cette pr´evision a alors ´et´e confirm´ee la premi`ere fois lors de l’´eclipse solaire de 1919, lorsque le d´eplacement observ´e des ´etoiles `a proximit´e du limbe solaire est venu va- lider la toute jeune th´eorie de la Relativit´e G´en´erale (Eddington, 1919) : les deux mesures donnaient 1.98 et 1.61 secondes d’arc l`a o`u la Th´eorie de la Gravitation newtonienne n’en pr´edisait que 0.88 ! Quelques ann´ees apr`es (Einstein, 1936) exa- mina de plus pr`es ce cas, et il montra comment la lumi`ere en provenance d’une source d’arri`ere-plan, passant `a proximit´e de l’objet massif, est d´efl´echie de mani`ere sym´etrique, en formant une image en anneau, dite aujourd’hui anneau d’Einstein, dans le cas d’un alignement parfait. Il conclut cependant, vu qu’il ne s’´etait inter- ess´e qu’aux ´etoiles, que la probabilit´e de cet alignement ´etait infime et il consid´era le ph´enom`ene d’un int´erˆet purement technique. On sait aujourd’hui que la pro- babilit´e d’occurence est loin d’ˆetre n´egligeable et une branche de l’astrophysique moderne se consacre `a mesurer ces effets (dit de microlensing) entre deux sources quasi-ponctuelles, par exemple pour la recherche d’objets compacts dans le halo ga- lactique ou d’exoplan`etes.

En 1937, l’astronome Fritz Zwicky (Zwicky, 1937a,b) a consid´er´e de plus pr`es le cas o`u les galaxies tiennent lieu de lentilles gravitationnelles, la probabilit´e d’ali- gnement ´etant plus ´elev´ee. S’agissant d’objets ´etendus, le probl`eme de l’alignement se posait en des termes diff´erents. Zwicky fit alors remarquer que l’effet de lentille gravitationnelle devait ˆetre plus marqu´e que dans le cas des ´etoiles du fait de l’im- portance de la masse d´eflectrice. Une fois encore l’astrophysique moderne exploite aujourd’hui la technique dite de galaxy-galaxy lensing, o`u le d´eflecteur est une ga- laxie qui d´evie les rayons en provenance de galaxies d’arri`ere-plan.

C’est en faisant une recherche sur les contreparties optiques des sources radio que Walsh et al. (1979) d´ecouvrirent fortuitement la premi`ere lentille gravitation- nelle. Ils constat`erent que l’une de ces sources correspondait `a deux objets d’aspect stellaire `a seulement 6 secondes d’arc l’un de l’autre. Par analyse de leurs spectres quelques mois apr`es, ils en conclurent qu’il s’agissait de deux quasars avec le mˆeme d´ecalage spectral de 1.4, et les mˆemes raies d’absorption et d’´emission. Ils ont donc

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interpr´et´e ces quasars « jumeaux » comme un mirage gravitationnel. Quelques mois apr`es, Stockton (1980) rep´erait la galaxie situ´ee entre les deux images et responsable du mirage.

Curieusement, l’effet de lentille gravitationnelle caus´e par les amas de galaxies n’a ´et´e d´ecouvert que r´ecemment. Les amas sont pourtant les structures les plus massives de l’Univers, et donc potentiellement les lentilles les plus puissantes. La premi`ere manifestation de cet effet a ´et´e d´ecouverte en 1985 sur une image de l’amas Abell 370 (ci-apr`es A370) par l’´equipe de Bernard Fort au Laboratoire d’Astrophy- sique de l’Observatoire Midi-Pyr´en´ees de Toulouse. Ils notent dans leur article paru en 1987 (Soucail et al., 1987) « la d´ecouverte d’une structure de galaxies de forme tr`es particuli`ere en anneau » (Fig. 1.2). Toutefois la nature exacte de cet arc n’a ´et´e identifi´ee par cette mˆeme ´equipe que quelques mois plus tard (Soucail et al., 1988) par la mise en ´evidence d’un d´ecalage spectral bien diff´erent de celui de l’amas (0.724 contre 0.375).

L’effet de lentille gravitationnelle a aujourd’hui fait ses preuves. Les techniques sont largement d´evelopp´ees dans trois grand domaines, bri`evement mentionn´es plus haut pour certains :

– le microlensing, pour lequel la lentille et la source sont toutes les deux assi- milables `a un point (´etoiles, objets compacts...). Il est utilis´e pour d´etecter des objets compacts stellaires dans le halo de galaxies proches (Voie Lact´ee, Nuages de Magellan, Galaxie d’Androm`ede), tels que naines brunes ou plan`etes g´eantes. Il peut aussi permettre de d´etecter les ´etoiles d’une galaxie en avant-

Fig. 1.2: A gauche : l’image du centre d’Abell 370 publi´ee par Soucail et al. (1987) o`u ils pr´esentent « la structure bleue en forme d’anneau ». A droite : le mˆeme champ observ´e en Avril 2003 avec la cam´era CFH12k du Canada-France-Hawaii Telescope (filtre R). L’arc, bien visible au Sud de l’amas, sous-tend un angle cons´equent de 60◦

. Le Nord est vers le haut, l’Est `a droite. Les images ont des cˆot´es de 60 secondes d’arc.

plan d’un quasar par exemple : on peut alors mesurer statistiquement la masse des d´eflecteurs.

– le cosmic shear, o`u l’on observe la distorsion gravitationnelle faible de toutes les galaxies par les distributions de masse `a toute ´echelle en avant-plan, jus- qu’aux tr`es grandes ´echelles. Un traitement statistique permet de contraindre directement le spectre de masse des fluctuations.

– le lensing, o`u les lentilles sont des galaxies (galaxy-galaxy lensing) ou des amas de galaxies qui d´eforment les images de galaxies d’arri`ere-plan. Cette derni`ere cat´egorie se divise elle-mˆeme en deux sous-branches principales : le r´egime fort (strong lensing), o`u l’on peut observer des images multiples et/ou fortement d´eform´ees (comme l’arc de la figure 1.2), et le r´egime faible (weak lensing), cadre de cette th`ese, o`u l’effet n’est pas directement observable mais toujours mesurable `a l’aide d’une approche statistique sur les objets d’arri`ere-plan. Le r´egime fort permet de contraindre tr`es pr´ecis´ement la distribution de masse dans la zone sur-critique de l’amas (cœur de quelques centaines de kiloparcsec o`u se concentrent les plus grandes galaxies), alors que le r´egime faible sonde les extensions de l’amas `a grande ´echelle (quelques m´egaparsecs pour les plus massifs).

Dans la mesure o`u toute la masse entre en compte, qu’elle soit lumineuse ou non, baryonique ou non, cet effet s’av`ere aujourd’hui un outil indispensable pour sonder la distribution de masse d’objets allant d’une galaxie `a l’Univers dans son ensemble.