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I/ Présentation de la bibliographie et des sources

I- A 5 / Historiographie des chercheurs-doctorants et des financements

Nous venons de voir que dans un laboratoire universitaire se trouvent d’une part des enseignants-chercheurs qui sont rattachés à l’Enseignement supérieur et payés par lui, et d’autre part des chercheurs qui sont directement rattachés à un organisme de la recherche publique comme le CNRS et payés par lui. S’y trouve encore une troisième catégorie de chercheurs qui est celle des doctorants, encore appelés les chercheurs- doctorants. Ceux-ci comme les enseignants-chercheurs dépendent de l’Enseignement supérieur mais, à la différence de ceux qui assurent la continuité d’une mission d’enseignement et ont en théorie un statut de permanents, les doctorants sont des étudiants au statut transitoire, pour la plupart destinés après leur doctorat à quitter l’enseignement supérieur. Leur force de travail intellectuel et leur financement sont des éléments importants pour la recherche universitaire et publique. En effet ils sont pour celle-ci une main d’œuvre intellectuelle nécessaire et souvent abondante, et le système des bourses dont ils ont besoin a souvent varié. Jean-Yves Mérindol, qui a été Président de l’université de Strasbourg, a fait des études sur le sujet, de même que Patrick Fridenson, un historien de l’EHESS. Ces études ont été publiées dans le cadre des travaux du RESUP189. Ils montrent qu’un décret du 8 septembre 1976 organise des allocations de recherche, premier financement d'ampleur des doctorats de 3ème cycle, sous l'autorité de la DGRST190. Puis en 1989, pour attirer les étudiants, le gouvernement double le nombre des allocations de recherche qui sont aussi financièrement revalorisées191. Ces financements apparaissent très visiblement dans les rapports d’activité du LAG.

Nous venons de voir des financements et des décisions faisant intervenir le niveau national de gouvernement. Que peut-on dire pour les niveaux supranational et infranational ?

Au niveau supranational, on trouve l’Europe et les initiatives de la construction européenne. En 1983 sont lancés des programmes-cadres de recherche et de

189 Jean-Yves Mérindol, « Les universitaires et leurs statuts depuis 1968 », p. 74, in Jean-Michel Chapoulie, Patrick Fridenson, Antoine Prost, « Mutations de la science et des universités en France depuis 1945, Le

Mouvement Social, oct-déc 2010, Paris : La Découverte, 2010 190 Ibid.

191 Marie-Laure Viaud, Les innovateurs silencieux, Histoire et pratiques d'enseignement à l'université depuis 1950, Grenoble : PUG, 2015, p. 194

développement qui financent des contrats sur appel d'offres. Le premier couvre la période 1984-1987. Patrick Fridenson dans ses travaux mentionne cependant que l’impact de ces programmes est assez limité192. Au niveau du LAG, ces programmes sont cités dans les rapports d’activité. S’ils ne semblent pas avoir de forts impacts financiers, ils encouragent cependant efficacement les coopérations entre laboratoires européens, avec des résultats qui sont clairement visibles au niveau du LAG et que nous développons dans notre partie III.

Au niveau infranational, la loi de 1982 sur la décentralisation et les Régions a prévu que celles-ci disposent de compétences générales pour le développement économique, social et culturel de la région193. A ce titre les rapports d’activité du LAG nous montrent que la Région Rhône-Alpes finance des bourses, et qu’elle a un représentant dans l’instance de pilotage du laboratoire. Nous analysons plus loin dans quelle mesure la Région peut jouer un rôle, ou pas, pour relier le laboratoire à son territoire.

Les actions lancées par la politique gouvernementale en 1989 ont été efficaces et ont entraîné une progression spectaculaire de la catégorie des chercheurs-doctorants. Séverine Louvel, une sociologue, maître de conférences à l'Institut d'Études Politiques de Grenoble et chercheuse au laboratoire PACTE, a montré qu’au niveau national les inscriptions en thèse en 1990 et 1991 ont largement augmenté, particulièrement en lettres et sciences humaines (+ 31% en sciences exactes, +30% sciences de la vie, +57% en lettres et sciences humaines). Le nombre de soutenances en France passe ainsi de 6000 doctorats par an dans les années 1980, à 10 000 par an dans les années 1990194. Pour comparer ces chiffres du niveau national avec ceux que nous trouverons pour le LAG, c’est les 31% ou 30% dans les sciences exactes ou de la vie qu’il nous faut retenir.

Ainsi que nous le détaillons en partie-III, ces actions du gouvernement sont liées aux choix gouvernementaux d’une démocratisation de l’enseignement supérieur. Ces choix conduisent à l’augmentation, à partir de 1986 et jusqu’à 1995, du nombre des étudiants

192 Patrick Fridenson, « La politique universitaire depuis 1968 », p. 65, in Jean-Michel Chapoulie, Patrick Fridenson, Antoine Prost, « Mutations de la science et des universités en France depuis 1945, Le Mouvement

Social, oct-déc 2010, Paris : La Découverte, 2010

193 Postérieurement à la période que nous étudions, la loi Notre de 2015 adaptera les compétences des régions. 194 Séverine Louvel, Des patrons aux managers, Les laboratoires de la recherche publique depuis les années

1970, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2011, p. 58 ; constatons que passer de 6 000 à 10 000 correspond à une augmentation de 66%. Mais il s’agit d’une moyenne portant sur l’ensemble des disciplines. Pour les sciences exactes ou de la vie le chiffre est seulement de 30 ou 31%, et c’est ce qui correspond au cas du LAG.

dans l’enseignement supérieur. Pour faire face à l’augmentation du nombre des étudiants, le gouvernement doit augmenter le nombre des enseignants du supérieur et donc ouvrir des recrutements. Or à cause de la loi Savary de 1984, les candidats pour être recrutés sur un poste de maître de conférences doivent posséder un doctorat. Pour répondre au besoin de disposer de suffisamment d’enseignants du supérieur, il faut donc augmenter le nombre des doctorants. Ce phénomène est aussi très visible dans les rapports du LAG.

Séverine Louvel a aussi étudié dans quelle proportion ceux qui ont obtenu leur doctorat, condition nécessaire, arrivent à se faire recruter dans l’Enseignement supérieur, ou dans la recherche publique, plutôt que d’aller dans les entreprises privées195. Elle a défini comme indicateur un « taux de pression », calculé comme étant le rapport entre le nombre de docteurs qualifiés candidats et le nombre des postes ouverts (ou de maîtres de conférences recrutés). Pour les sciences de la vie ce taux s’élève à 10 ou 12 dans les années 1993-2004, ce qui signifie que seul un sur 10 ou 12 des doctorants qui souhaitent accéder à ces postes y réussira, soit entre 8 ou 10% d’entre eux, ce qui est peu ; pour les organismes de la recherche publique ce taux est plus favorable, entre 5 et 10 ; encore plus favorable est le taux pour les postes de professeur et de directeur de recherche, taux qui en 2007 se situe entre 3 et 6, mais ces postes nécessitent d’avoir une thèse HDR, un requis qui limite le nombre de ceux qui peuvent prétendre à ces postes et de ce fait réduit d’autant le taux de pression. Nous utilisons les études de Séverine Louvel, en partie-III, pour analyser la signification des chiffres des effectifs de chercheurs temporaires (dont ceux appelés « post docs ») observés dans le laboratoire d’automatique de Grenoble.