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I/ Présentation de la bibliographie et des sources

I- A 4 / Historiographie des établissements publics de la recherche

Les travaux sur les établissements publics de la recherche sont nombreux. Ils partent usuellement du principe que la production des connaissances s'effectue dans un contexte né de l'interaction entre les universités, les gouvernements, et l'industrie.

Ainsi que le résume Michel Grossetti un sociologue, les chercheurs dans sa discipline ont produit de nombreuses études sur les institutions scientifiques (Merton 1973 ; Ben-

David 1991), aussi bien que sur les échanges science-industrie (Jaffe 1989 ; Cassier 1995 ; Grossetti 1995)166.

Du côté des historiens, suivons Girolamo Ramunni, un historien des sciences et techniques au CNAM, qui a décrit la genèse en France des organismes publics de la recherche167. Il a mené cette étude dans le cadre de la mission donné au RESUP par le ministère de l’Enseignement. Il montre comment le gouvernement français a créé ces organismes. Si c’est en 1982 qu’a été créée la dénomination et le statut juridique d’EPST (Etablissement Public à caractère Scientifique et Technologique) afin de favoriser les coopérations entre la recherche publique et la recherche privée, les organismes publics de recherche ont une existence bien antérieure. Cet auteur montre comment leurs caractéristiques et leurs modes de fonctionnement ont été marqués par leur origine. Le CNRS, en 1938-1939 est le premier et le plus ancien de ces organismes168. Historiquement il y a la présence d’Irène Joliot-Curie, une chercheur en physique et chimie169, qui est sous-secrétaire d'Etat à la recherche dans le premier gouvernement de Léon Blum et surtout il y a Jean Perrin170, un physicien et chimiste, prix Nobel de physique 1926 et par ailleurs homme politique, un professeur d’université présent auprès de Jean Zay, ministre de l'éducation nationale. Ils ont beaucoup contribué à cette création qui s’est faite en trois temps171. A l'origine on trouve des professeurs universitaires qui agissent pour améliorer les conditions et les moyens pour leur travail de recherche et pour faire aussi une place aux jeunes chercheurs qui, après la crise économique de 1929, souffrent un peu partout du chômage intellectuel. Car l'enseignement supérieur universitaire forme de futurs chercheurs pour la recherche. Selon le point de vue de l’époque, l’université, et particulièrement le professeur d'université, a pour mission de « résumer en ses grandes lignes la science acquise, les

166 Michel Grossetti, « Les relations entre les universités et l'industrie en France. Les interactions entre formation, recherche et collaborations industrielles », p. 47-67, in Georges Felouzis (dir.), Les mutations

actuelles de l'Université, Paris : PUF, 2003, (400 pages).

167 Girolamo Ramunni, « Les liens entre le CNRS et l'Université », p. 637-646, in Revue Française

d'Administration Publique, n° 112, 2004. 168 Ibid. p. 640

169 Irène Joliot-Curie, chimiste et physicienne, fille des scientifiques Pierre et Marie Curie, cette dernière ayant eu deux fois le prix Nobel.

170 Jean Perrin (1870-1942), physicien, chimiste et politique, prix Nobel de physique 1926, est le père de Francis Perrin (1901-1992), physicien atomiste, haut-commissaire au CEA en 1951

171 Girolamo Ramunni, « Les liens entre le CNRS et l'Université », p. 637-646, in Revue Française

incertitudes qui en marquent les confins, suggérant par là les nouvelles recherches »172. Les professeurs sont alors dans leur rôle lorsqu’ils interviennent pour demander davantage de moyens pour la recherche. Ils interviennent auprès d’Irène Joliot-Curie. Puis dans un deuxième temps, et dans le contexte des tensions internationales avec l’Allemagne nazie et les risques de guerre, intervient Jean Perrin. Comme universitaire, il est un adepte de la dichotomie entre la science fondamentale (la connaissance) et les sciences appliquées, en particulier dans le domaine militaire. Pour préparer le pays à la guerre, le 24 mai 1938 Jean Perrin fait créer le Centre national de la recherche scientifique appliquée (CNRSA), regroupant toutes les structures de recherche dans le domaine technique et industriel. Face à cette création, l'Enseignement supérieur universitaire se mobilise pour éviter que les moyens du CNRSA ne surpassent les moyens de la recherche pure. Dans un troisième temps, le 19 octobre 1939 le CNRS est créé en regroupant dans un seul organisme les recherches fondamentale et appliquée. Henri Laugier (1888-1973), physiologiste et Haut fonctionnaire au ministère de l'Education Nationale du Front Populaire, en est le premier directeur. Le CNRS est dirigé par des universitaires et il est conçu pour fournir aux professeurs d’université le personnel et les moyens permettant de réaliser les recherches qu'ils estiment indispensables173. Pourtant une caractéristique importante du CNRS est qu’il a donc aussi vocation à mener des recherches appliquées et pas seulement fondamentales.

Par la suite d’autres organismes de recherche sont créés, souvent dépendant d’un ministère particulier : le CNET (Centre National d’Étude des Télécommunications) créé par le gouvernement de Vichy, puis en 1945 le Centre national d'études et de recherches aéronautiques, de même le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique), enfin l’INED (Institut National des Études Démographiques) est recréé. En 1946 il y aura l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), un organisme dont on verra qu’il entretient des liens forts avec le Laboratoire d’automatique de Grenoble. Plus tard en 1961 il y aura la création de la DGRST174. Cette dernière est un contributeur financièrement important pour le LAG, le Laboratoire d’automatique de Grenoble. Puis

172 Jean-François Picard, La République des savants, Paris : Flammarion, 1990 ; Le mot « science » à cette époque reflète bien la dualité exposé au § I-A-2 entre science et technique.

173 Girolamo Ramunni, « Les liens entre le CNRS et l'Université », p. 637-646, in Revue Française

d'Administration Publique, n° 112, 2004, p. 639

174 Vincent Duclert, « La naissance de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique : la construction d'un modèle partagé de gouvernement dans les années soixante », p. 647-658 in Revue Française

c’est en 1966 que l’IRIA (Institut de la Recherche en Informatique et Automatique) est créé et il deviendra en 1979 l’INRIA (Ajout du N de National, car cet institut devient multi établissements). Les historiens Alain Beltran et Pascal Griset en ont écrit l’histoire175. Cet Institut National de la Recherche en Informatique et en Automatique, de par son domaine de recherche, a des relations étroites avec le Laboratoire d’Automatique de Grenoble objet de notre étude.

Ces organismes publics peuvent être vus comme faisant le lien entre l’Etat, avec ses priorités, et l’Université. Mais l’Etat a souvent changé ses orientations tant dans les modes de pilotage des universités que vis-à-vis de la recherche.

Au niveau du gouvernement français, le cadre ministériel de pilotage de la recherche évolue plusieurs fois et fait aller-retour entre d’abord une recherche sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, puis, selon les périodes, vers un ministère de la recherche indépendant. On doit à Jean-Richard Cytermann, un Inspecteur général de l'administration nationale et de la recherche, un Professeur associé à l'EHESS (Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales) d’avoir étudié ce sujet176. Il note que, entre 1970 et 1995, Recherche et Enseignement supérieur n'ont relevé d'un même ministère que pendant deux courtes périodes : 1986-1988, puis 1993-1995177. On constate que juste après chacune de ces deux courtes périodes ont été déclenchés des changements importants : 1988-1989, impulsion du changement du mode de pilotage des universités par le ministère et doublement des bourses de recherche pour les doctorants ; 1995 la création des UMR, les unités mixtes de recherche. Nous n’avons pas d’explication pour ces concomitances. Cependant on peut noter avec Jean-Richard Cytermann que lorsque la Recherche ne dépend pas du ministère de l’Enseignement supérieur, le rôle des universités pour la recherche en est défavorisé. Par exemple la loi de 1982, faite sous l'égide d'un ministère de la recherche autonome, est une loi sans les universités, voire

175 Beltran Alain, Griset Pascal (2007) Histoire d'un pionnier de l'informatique, 40 ans de recherche à l'Inria, EDP-Sciences, Les Ulis-Paris, 2007

176 Jean-Richard Cytermann, Introduction - L'administration et les politiques de recherche : quelles spécificités, p. 625-636, Revue Française d'Administration Publique, n° 112, 2004.

177 Jean-Richard Cytermann, « Le rapprochement universités-organismes de recherche : un processus incrémental », p. 141-158, in Thierry Chevaillier, Christine Musselin (dir.), Réformes d'hier et réformes

contre les universités, avec une séparation accrue du CNRS et de l'enseignement supérieur178.

Si les politiques gouvernementales de la recherche ont souvent varié, en 1981 il y a un tournant politique majeur avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Comme le général de Gaulle, il va agir dans le cadre d’une politique d'inspiration schumpetérienne (fondée sur le développement de l'offre) et néo- colbertiste (dirigée par les pouvoirs publics). Du point de vue de l’offre, il considère que les résultats de la recherche conditionnent les résultats économiques du pays. Et pour lui la recherche doit être mise sous la tutelle de l’Etat, un virage vis-à-vis de la politique précédente de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing179.

En 1982, il en sort la loi d'orientation et de programmation de la recherche. Cette loi vise pour la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) à atteindre pour 1985 l’objectif de 2,5% du Produit Intérieur Brut (PIB) contre 2,2% en 1967 et 1,8% en 1980180. On atteindra en réalité 2,29% en 1985, ensuite ce taux baissera à nouveau : 2,24% en 1988 et 2,17% en 1998. La période couverte par notre étude est donc conjoncturellement favorable aux établissements publics scientifiques et techniques (EPST) comme le CNRS, et de fait ceux-ci en profiteront pour prendre des initiatives.

Déjà à partir de 1964 le CNRS, organisme public de recherche, de premier plan et le plus grand, a pris l’initiative de créer, au côté de ses laboratoires propres, les laboratoires associés au CNRS181. Ce statut permettait un rapprochement entre les laboratoires propres du CNRS et certains laboratoires universitaires performants182. Le Laboratoire d’automatique de Grenoble a acquis le statut d’unité associée sous le numéro 228 en 1969, donc peu de temps après la création de ce statut, signe du dynamisme et de la réputation de ce laboratoire183. Ultérieurement en 1982, la loi généralise ce statut au delà du seul CNRS, pour l’appliquer à tous les autres organismes publics de la recherche, comme par exemple l’INSERM (Institut National de la Santé et

178 Ibid. p. 149

179 En ce qui concerne l’informatique, Valery Giscard d’Estaing avait tourné le dos à la politique volontariste du Général de Gaulle : il affaiblit le Plan Calcul, fait arrêter le projet Cyclades (1974), se retire de Unidata, le consortium européen des constructeurs d’ordinateurs (1975)

180 Jean-Richard Cytermann, « Le rapprochement universités-organismes de recherche : un processus incrémental », p. 141-158, in Thierry Chevaillier, Christine Musselin (dir.), Réformes d'hier et réformes

d'aujourd'hui, L'enseignement supérieur recomposé, Rennes, PU.Rennes, 2014. p. 150 181 Ibid. p. 150

182 Ibid. p. 151

183 Michel Deguerry, René David, de la Logique câblée au calculateur industriel, Grenoble : EDA publishing Grenoble, 2008, p. 6

de la Recherche Médicale). Il s’agit là d’une décision fondatrice qui contribue fortement à structurer la fonction de recherche des universités et à l'arrimer de fait au CNRS, à l’INSERM ou aux autres EPST, les organismes de la recherche publique. Elle accroît leur poids et leur rôle face à l’université184. En contrepartie, cette association permet aux enseignants-chercheurs de celle-ci de bénéficier des moyens propres aux EPST, mais les professeurs de l’université ont alors la contrainte de devoir négocier auprès de ceux-ci le contenu de leurs terrains de recherche et de leurs objectifs.

Puis en 1995 nouvelle évolution, les laboratoires associés doivent passer sous un nouveau statut, celui des UMR, les Unités Mixtes de Recherche avec un processus quadriennal de contractualisation tripartite Etat-Université-Organisme. Ainsi en 1995, le LAG devient l’UMR n° 5528, et simultanément apparaissent dans ses instances dirigeantes des personnes représentant le niveau global territorial et pluridisciplinaire de l’Université scientifique de Grenoble185. En effet en 1988 av ait eu lieu un autre changement, tout aussi important : le ministère de l’Enseignement supérieur lance une démarche prospective portant le nom de « Université 2000 ». Il modifie ses modalités de pilotage des universités. Précédemment, il s’appuyait sur une organisation par discipline, basée sur les « Facultés ». La nouvelle organisation vise à développer la pluridisciplinarité des établissements universitaires en renforçant leurs directions face au poids des disciplines académiques186. Une Direction de la Recherche et des études Doctorales (DRED) est créée au niveau national pour dynamiser la recherche universitaire. C’est dans le même objectif, que le statut des laboratoires associés a été modifié en 1995 pour devenir celui des UMR (Unités Mixtes de Recherches) avec un mode pilotage y incluant des représentants des présidents des établissements universitaires pluridisciplinaires. Le statut ancien jumelait un laboratoire universitaire, organisé autour d’une discipline académique et d’un Organisme de la recherche publique comme le CNRS. En devenant UMR, le laboratoire entre sous des tutelles différentes : face encore aux directives de l’organisme de la recherche publique, il doit

184 Pour les EPST le mot « Organisme » est aussi souvent utilisé.

185 Pour UMR 5528, voir Rapport scientifique 1995 ; En 2007, en devenant GIPSA-lab il deviendra l’UMR 5216.

186 Christine Musselin, La longue marche des universités françaises, Paris : PUF, 2001, p. 118 montre comment la création de la DPDU (Direction de la Programmation et du Développement Universitaire) prend en main un pilotage des établissements universitaires contre l’ancienne DESUP (Direction des Enseignements Supérieurs) ; de même il y a à ce moment la création de la DRED (Direction de la Recherche et des études Doctorales) qui va dynamiser les études du 3ème cycle universitaires en impulsant davantage le systèmes des nouvelles thèses mis en

prendre en compte maintenant des orientations définies de manière pluridisciplinaire par son établissement universitaire de rattachement. Dans les instances en charge de diriger le laboratoire, particulièrement son Conseil scientifique, les représentants du président de l’université territoriale sont porteurs de la tutelle universitaire et siègent à côté des représentants de l’organisme de la recherche publique. Ce système, dans le processus d’orientation des recherches à mener par le laboratoire, augmente le poids de la présidence pluridisciplinaire des établissements universitaires, et laisse moins de place aux professeurs d’universités intervenant par le biais des UFR, les Unités de Formation et de Recherche, dans le cadre de la discipline académique de ces départements 187.

Nous avons mentionné en introduction la trace laissée dans les Rapports d’Activité du LAG de ce qui concerne le pilotage par le CNRS des orientations des axes de recherche d’un tel laboratoire, à savoir une orientation plus ou moins fondamentale ou appliquée. Le sujet du fonctionnement de ce pilotage au sein même du CNRS, non pas dans le domaine de la recherche en informatique, mais dans le domaine des sciences humaines a fait l’objet d’une publication par Christine Paradeise188. Mais cette étude relève davantage d’une approche cognitive et de la connaissance, plutôt que de l’approche des fonctionnements managériaux auxquels s’intéresse notre étude sur l’analyse des réseaux sociaux d’un laboratoire de recherche.

Ayant donc traité de l’historiographie de la recherche universitaire, tant au sein de l’université que en lien avec les organismes de la recherche publique, il s’agit maintenant d’aborder l’historiographie de ceux qui, présents dans le laboratoire, sont encore dans leur 3ème cycle de formation universitaire, donc encore des étudiants ayant vocation à être formés par la recherche. Ils forment la catégorie des chercheurs-doctorants. Une catégorie dont le financement a beaucoup évolué.

187 Une expérience avait déjà été lancée en 1983 sans effet : pour l’analyse des causes, voir Christine Musselin,

La longue marche des universités françaises, Paris : PUF, 2001, p. 108

188 Christine Paradeise, « Pilotage institutionnel et argumentation : le cas du département SHS au CNRS », p. 205-228, in Borzeix A., Bouvier A., Pharo P. (dir.), Sociologie et connaissance. Nouvelles approches cognitives, Paris, CNRS ed., 1998. Chrstine Paradeise est membre du Groupe d’analyse des politiques publiques, à l’école nationale supérieure de cognitique, une école d’ingénieurs à Bordeaux