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Chercheurs temporaires ou comment passer du doctorat au statut d’enseignant-chercheur

Pour traiter des motivations, des origines et des financements des chercheurs temporaires, nous allons les classer en trois grandes catégories : d’abord ceux qui viennent dans le laboratoire, mais sont payés par un autre employeur dont ils sont salariés ; ensuite ceux qui sont pris en change par le laboratoire qui les invite ; enfin nous chercherons à distinguer derrière le terme générique « post-doc », qui littéralement désigne un chercheur ayant déjà un doctorat, ceux qui viennent au LAG pour acquérir un complément de connaissances ou une expérience à l’international, et ceux de nationalité française qui dans le laboratoire « attendent » avec divers types de financements précaires, dans l’espoir d’être recrutés comme maître de conférences ou comme chercheur dans le service public.

De tout temps, le LAG a accueilli des chercheurs ou des enseignants-chercheurs venant d’autres laboratoires ou universités, françaises ou étrangères, et qui ne restent que peu de temps dans le laboratoire. Ils sont en général payés comme salariés par leur université, leur organisme public ou l’entreprise de leur lieu d’origine. Un terme utilisé au LAG pour une partie d’entre eux est celui de visiting professor (Professeur invité)557. En réciprocité, certains membres permanents du laboratoire partent un temps à l’extérieur du laboratoire, accueillis par d’autres laboratoires, organismes ou entreprises. Parmi les chercheurs venant de l’extérieur, certains n’ont pas encore obtenu

557 Ils sont 3 à être cités dans le rapport scientifique 1995 du LAG, p. 27 ; un seul est cité en 1996, p., 24 ; un seul est cité p. 19 dans le rapport scientifique 1998-2001 du LAG.

leur doctorat, mais viennent au laboratoire pour un temps souvent court, dans le cadre du doctorat qu’ils préparent en dépendant d’une autre université558. Parmi ces derniers, certains restent quasi à plein temps dans le laboratoire, mais la thèse qu’ils préparent leur sera décernée par leur université d’origine. Ainsi trouve-t-on régulièrement au LAG des chercheurs-doctorants du CNAM, le Conservatoire National des Arts et Métiers, un organisme parisien de formation, notamment de formation continue et de recherche, qui décerne des doctorats et avec qui le LAG a des accords d’accueil de doctorants559.

Souvent des chercheurs temporaires viennent de l’étranger ou encore d’entreprises privées : En 1979, il y a 2 chercheurs associés qui viennent du Canada et de Pologne, tandis qu’il y a un troisième chercheur temporaire qui vient d’une société privée française560. En 1991 il y a 5 chercheurs temporaires qui, à cause de la consonance de leur nom, nous semblent venir de l’étranger, mais leurs différents statuts ne sont pas différenciés dans le rapport du LAG. En 1995, il y a 7 professeurs étrangers invités (2 d’Australie, 2 du Brésil, un du Maroc, un de Roumanie, et un d’Israël) venus pour plus de deux mois, la durée moyenne étant de 10 mois561. En 1999 on dénombre 4 chercheurs temporaires venus pour une durée de 2 ans : 3 sont bien identifiés comme venant de l’étranger (l’un de Bulgarie, l’autre de Tchéquie, le troisième étant le cas particulier d’un étranger, d’un pays non identifié, venu pour un an et financé par une bourse de la Région Rhône-Alpes562) ; il y a aussi un post-doctorant dont nous n’avons pas retrouvé l’origine563.

En 1999 l’examen des publications montre, cas encore différent, un contributeur n’appartenant pas au LAG et qui vient du Laboratoire de Psychologie Sociale de Grenoble, payé par ce laboratoire et non par le LAG. Il y vient pour faire des recherches sur la gestion et la réutilisation des produits usagés en fin de vie, un exemple de travaux transdisciplinaires au sein des universités grenobloises 564.

558 Rapport scientifique LAG 1998-2001, p. 18, en cite 3.

559 Rapport scientifique du LAG 1999 p. 16, 37, 56. CNAM Conservatoire National des Arts et Métiers, un organisme de formation et de recherche à Paris

560 En l’occurrence la Société Option, cf. Rapport d’activité LAG 1979, p. 60 561 Rapport scientifique LAG 1995, p. 47.

562 Cet exemple matérialise le fait que la Région Rhône-Alpes s’implique dans l’enseignement universitaire et la recherche, ce qui est l’un des domaines de compétence que la loi Deferre de 1982 lui a donné.

563 Rapport scientifique du LAG : 1981 annexe p. 3 pour deux ; 1995 p. 27 pour trois chercheurs ; 1999 p. 38 pour un chercheur

564 Rapport scientifique du LAG 1999 p. 84 : produits usagers en fin de vie (worn-out en anglais) et on parlerait en 2018 d’économie circulaire.

Ces catégories là, à l’exception du cas financé par la Région Rhône-Alpes, sont donc financées par un employeur de départ, et constituent à peu près 10% des chercheurs temporaires. Leur effectif est assez stable durant toute la période de notre étude.

Une autre catégorie est aussi assimilable à des chercheurs venant de l’extérieur, et ayant un employeur externe au laboratoire. Il s’agit d’enseignants français agrégés : ils ont un poste dans l’enseignement secondaire qui assure leur salaire. Ils arrivent à dégager suffisamment de temps pour mener, à temps partiel, des travaux de recherche dans le laboratoire, sans avoir besoin d’être financés autrement pour cela. Cette catégorie, qui ne constitue que 4% des chercheurs temporaires dans le laboratoire, nous semble devoir être comptée dans la catégorie des chercheurs qui viennent avec leur propre financement565 566. Ces agrégés espèrent sans doute que leur diplôme d’agrégation, lorsqu’il sera complété par un doctorat, leur ouvrira les portes de l’enseignement supérieur. Certains viennent peut-être aussi juste pour le plaisir de la recherche567.

Un cas marginal en 1996, est celui d’un scientifique du contingent. Il s’agit d’une personne qui y vient à titre dérogatoire de son obligation de service militaire français. Ce genre de situation était fréquent antérieurement à notre période d’étude, mais après 1996 ce genre de situation disparaît totalement en même temps que le service militaire, supprimé alors par le président Jacques Chirac568.

Après le cas de ces chercheurs temporaires ayant un employeur externe au laboratoire, il nous faut analyser une autre catégorie qui requiert une attention particulière : elle concerne les cas où un nouveau titulaire français du doctorat souhaite commencer une carrière dans l’enseignement supérieur, veut se faire recruter, mais ne le peut pas, sauf si un poste de maître de conférences est ouvert au recrutement, ce qui est rare.

565 Rapport scientifique LAG 1990 p. 3 mentionne une agrégée.

566 Voir par exemple le Rapport scientifique 1995 du LAG, p. 27 qui mentionne un Prof. agrégé

567 Voir Pierre-Michel Menger, Colin Marchika, Simon Paye, Yann Renisio, Pablo Zamith, « La contribution des enseignants du secondaire à l’enseignement supérieur en France, Effectifs, affectations, carrières (1984- 2014) », Revue française de sociologie, Paris : Presses de Sciences Po, 2017/4, vol. 58, p. 658

568 Rapports scientifiques : 1983 p. 1 ; 1996, p. 24. Il s’agit d’une personne qui y vient à titre dérogatoire de son obligation de service militaire français. Ce dernier système sera abrogé avec la disparition du Service militaire en 1996 sous la présidence de Jacques Chirac.

Qu’un poste puisse être disponible suppose soit l’ouverture au recrutement d’un poste nouveau, soit que le titulaire d’un poste existant de maître de conférences le quitte. Nous avons vu qu’au début des années 1990 un nombre significatif de postes de maîtres de conférences avaient été créés pour faire face à l’augmentation du nombre des étudiants arrivant dans l’université. Plusieurs nouveaux docteurs du LAG ont pu ainsi devenir maître de conférences dans ce contexte d’avant 1995. Après 1995 ces recrutements se tarissent. Pour qu’un poste de maître de conférences se libère il faut alors que son titulaire quitte son poste, soit parce qu’avec une thèse HDR il a été recruté sur un autre poste avec rang professoral, ce qui est rare, soit parce qu’il part en retraite, soit pour toute autre raison. La probabilité de ces libérations de poste se mesure par le temps de rotation des enseignants-chercheurs. Nous n’avons pas trouvé de statistiques précises, mais nous pouvons faire l’hypothèse que les maîtres de conférences restent présents en moyenne durant 30 ans environ dans leur poste. Au LAG, avec une vingtaine d’enseignants-chercheurs, cela signifie en situation stabilisée (donc après 1995) qu’il se libère environ 0,7 poste d’enseignant-chercheur chaque année569 ; et toujours dans le cas du LAG il y a, en face de ces 0,7 postes libérés, 15 nouveaux titulaires d’un doctorat chaque année. Mais parmi ceux-ci un peu moins de la moitié vient de l’étranger et y repart. Les français qui seuls sont concernés par un recrutement dans la fonction publique sont donc environ chaque année seulement 8 à obtenir leur doctorat. Parmi eux, une part significative est constituée d’ingénieurs qui visent à aller travailler dans l’industrie. Nous avons déjà proposé dans la figure III-10 un schéma de cette situation. Mais dans ce schémas quel est le pourcentage de ceux qui en obtenant leur doctorat visent non pas un emploi dans l’industrie, mais à être recrutés sur un poste de maître de conférences ?

Séverine Louvel s’est penché sur cette problématique avec un indicateur de « taux de pression » dont notre paragraphe 1-A-5 s’est fait l’écho570. Elle estime ce taux de pression à une valeur d’environ 10, signifiant que, pour chaque poste de maître de conférences se libérant annuellement, il y a 10 nouveaux docteurs qui sont en concurrence pour être recruté sur ce poste. Si ce taux vaut pour le LAG, cela signifie que parmi les doctorants français 10% seulement peuvent tenter leur chance d’être recruté

569 0,7 chaque année = 20 postes / 30 années.

570 Séverine Louvel, Des patrons aux managers, Les laboratoires de la recherche publique depuis les années

comme maître de conférences571. Etant donné que les recrutements comme chercheur au CNRS sont encore plus faibles, cela signifie que parmi les doctorants, la très grande majorité, autour de 90% devra aller vers l’industrie pour trouver un emploi.

Nous devons être très attentifs cependant dans les chiffres de notre analyse, car durant la période de notre étude la situation a très significativement évoluée sous plusieurs aspects. Les chiffres de Séverine Louvel proviennent d’une analyse des années 1993-2004, une période relativement postérieure à celle de notre étude, avec significativement moins de postes disponibles pour les recrutements dans l’enseignement supérieur. Mais à la fin de notre période d’étude les symptômes décrits par Séverine Louvel commencent à apparaître au niveau du LAG, d’où l’intérêt qu’il y a pour notre analyse de faire un zoom sur les années 1992 à 1999. Mais pour comprendre ce que montreront ces dernières sept années de la période de notre étude, il est nécessaire de prendre en compte ce qui est arrivé antérieurement.

Au début de la période de notre étude, autour de 1981, les étudiants français qui viennent de recevoir leur diplôme d’ingénieur, à l’INPG principal pourvoyeur du LAG pour les doctorants, peuvent devenir « docteur » en passant une thèse de docteur- ingénieur. Devenir docteur-ingénieur est vu très favorablement. Face à ceux qui sont seulement ingénieur, cette thèse donne un avantage concurrentiel pour décrocher un emploi, ce qui représente un bénéfice pour eux. Grâce à leur travail de thèse, ils sont initiés à la recherche, et pour cela l’investissement en temps qui leur a été demandé est seulement de une année en laboratoire, en plus ce qui correspond pour eux au DEA, le Diplôme d’Étude Approfondie, qui parfois est intégré à leur 3ème année d’école d’Ingénieur. Nous ne savons donc pas trop s’il faut compter leur investissement en temps pour une ou deux années. Ce coût en temps est de leur part un investissement, mais il est alors peu élevé. En tout cas ce temps est significativement moindre que ce qu’il sera dans le cas du « nouveau doctorat » après 1984. Dans l’ancien système, le côté négatif de la thèse de docteur-ingénieur, un frein à la motivation, est qu’il y a peu de financement pour cette année en laboratoire car le système des bourses n’a pas encore été convenablement mis en place par le gouvernement. Dans certains cas cependant ils sont financés sur des projets soutenus par la DGRST. Il semble que, tous comptes faits, le rapport bénéfice/coût d’une thèse de docteur-ingénieur est alors vu comme très favorable par les jeunes ingénieurs. On peut estimer pour cette époque, au début de la