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Histoire d’une recherche et justification des choix méthodologiques 135

1. La démarche proposée

1.2. Histoire d’une recherche et justification des choix méthodologiques 135

psychanalyste et psychosomaticien, qui cherchait à comprendre ce qui se passait sur le plan psychique chez les personnes atteintes de fibromyalgie et en quoi l‘hypothèse de l‘hystérie pourrait se vérifier sur les patients d’un centre de traitement de la douleur de région parisienne. Il nous a proposé d’assister à certains de ses entretiens et a rapidement accepté que nous menions nos propres recherches en nous facilitant les contacts avec ses patients. C’est à partir de l’observation de ses entretiens et de ces rencontres cliniques que nous avons pu élaborer nos propres hypothèses. Par la suite, nous avons pu mener notre recherche à l’Hôpital Cochin en Rhumatologie grâce à l’aide de notre collègue Caroline Gérard. Nous avons aussi pu rencontrer une personne souffrant de la maladie en dehors du circuit hospitalier grâce à l’association Fibromyalgie France et sa présidente, Madame Carole Robert. Cette dernière démarche a été d’ailleurs particulièrement difficile du fait de la résistance de ces patients à toute approche du psychisme.

Nous avons choisi de centrer nos recherches sur un petit nombre de cas cliniques, ici dix, privilégiant une approche essentiellement clinique et qualitative. Ce choix, qui s’est imposé d’emblée à nous, ne nous a pas été pour autant facile. En effet, nous avons hésité un moment à mener notre recherche en travaillant avec un groupe appareillé de personnes atteintes de fibromyalgie au Brésil, idée que nous avons rapidement abandonnée en raison des difficultés

136 d’accès à ces patients et à celles relatives à la prise en compte des variables culturelles. Cette idée nous était venue parce que nous étions au départ dans un état d’inquiétude par rapport au fait de nous limiter à un petit nombre de cas et de nous abstenir d’avoir un groupe de contrôle, pourrait représenter aux yeux du lecteur habitué aux méthodes inspirées du modèle médical et/ou d’autres approches scientifiques, un argument pour considérer que les « résultats » de ce travail ne seraient pas suffisamment mis à l’épreuve ni généralisables. Dans ces modèles, le recours au quantitatif et aux statistiques aurait valeur de « preuve ». Puis, nous avons analysé qu’il y avait là une sorte de mouvement projectif qui prenait racine dans notre formation initiale dans les sciences exactes et dans notre parcours professionnel. Grâce à cette prise de conscience, nous nous sommes autorisés à suivre notre première intuition clinique, à savoir, traiter nos cas dans une approche qui peut être vue comme une variante de la méthode dite du « cas unique » où le primat est donné à la singularité du sujet, fût-ce au détriment de la « preuve». Il y a dans cette conception de l’étude de cas cliniques une référence à « l’irréductibilité du sujet psychologique ». Chez Freud, le terme de « cas » désigne souvent de longues histoires de patients et/ou passages de leur analyse, représentatives d’un problème théorique ou clinique. « L’étude de cas est donc un récit qui raconte de manière approfondie la vie de quelqu’un ou son parcours avec le clinicien, qu’il s’agisse d’une simple rencontre ou d’une thérapie465

Il est vrai que ce choix méthodologique pose la question du passage entre la singularité et la généralité, dans la mesure où ce passage est requis pour une compréhension plus large du sujet d’étude et à la mise l’épreuve des hypothèses formulées. En effet, ces récits oscillent entre deux positions opposées : la mise en évidence du caractère singulier du cas et l’intégration dans le cadre général de la pensée et de la technique psychanalytiques. Anzieu466 montre que ces récits, qui ne sont jamais identiques, sont bien les mêmes car ils donnent à voir les « mêmes processus, les mêmes fantasmes, les mêmes exploits, les mêmes désunions, les mêmes errances du Moi face aux pulsions.» Ainsi, une trame peut se dégager des différents récits, des éléments « communs » peuvent être mis en évidence. Widlöcher467 justifie le recours au « cas unique » comme moyen de comprendre les processus intrapsychiques, notamment ceux en jeu pendant la cure. De ce fait, le cas unique se prête à une démarche scientifique authentique. Pour

465 Pedinielli J-L, Fernandez L. (2005), L’observation clinique et l’étude de cas, Paris, Armand Colin, p.52.

466 Anzieu D. (1990b), Comment dire, in Nouvelle Revue de psychanalyse, Histoire de cas, N° 42, Automne 1990, Paris, Gallimard, pp. 25-42., p. 40.

467 Widlöcher D. 1990), Le cas singulier, in Nouvelle Revue de psychanalyse, Histoire de cas, N° 42, Automne 1990, Paris, Gallimard, pp. 285-302.

137 Braconnier et Lesieur468, l’un des attraits du cas unique est l’opportunité qu’il offre de descriptions cliniques exhaustives, faisant intervenir autant de variables que possible en fonction de la complexité de la situation clinique.

Nous nuancerons ici la question de l’exhaustivité puisque ce qui est visé dans ce travail est moins l’exhaustivité (tout dire) que la totalité et « le fait que le sujet psychologique est une unité indivisible, en interaction avec le monde extérieur469 » En abandonnant ainsi une approche statistique et son caractère quantitatif pour l’étude d’un nombre limité de cas, nous privilégions une démarche qui tient plus d’une « monstration » et non d’une « démonstration » au sens logicomathématique du terme qui revoie aux « les méthodes extensives (qui) se préoccupent d’apporter des preuves470.» Les recherches en psychologie psychanalytique qui concernent un nombre de cas statistiquement suffisants (30 ou plus) porte sur un nombre limité de « facteurs » ou « variables » élémentaires, si nous adoptons un langage statistique, c’est-à-dire qu’il s’agit d’opérer une coupe transversale en limitant la recherche à quelques points ou de « traits », ce qui présente l’avantage d’apporter une « preuve » mais qui engendre forcément et par construction, un effet réducteur sur l’analyse du fonctionnement psychique du sujet. Mais, ce que l’on gagne en « preuve », on perd en richesse clinique. C’est d’ailleurs l’une des critiques généralement faites à ce choix méthodologique.

Avec le cas unique, on ne cherche pas à prouver mais à enrichir « les connaissances de ceux qui partagent le même type d’expérience471.» Aussi, le cas unique constitue un instrument de découverte irremplaçable472 et le mouvement discontinu, fragmentaire de la découverte psychique va caractériser les voies de progression de la recherche en psychopathologie, laquelle se dirige par diffraction et dissémination plus que par accumulation et généralisation473. Les idées produites par la recherche en psychanalyse « ne constituent pas les fondations mais le faîte de tout l’édifice, et elles peuvent sans dommage être remplacées et enlevées474.» Il s’agit donc moins de quelque chose d’achevée et de pérenne que d’un appel à des reconstructions ultérieures de l’édifice. Cela s’apparente à l’« œuvre ouverte475» de

468 Braconnier A., Lesieur P. (1999), Le cas unique : au-delà du singulier, in Monographie de Psychopathologie, 1999, n°1, p. 201-211.

469 Pedinielli J-L., Fernandez L. (2005), op. cit., p.66. 470 Widlöcher D. (1990), op. cit., p.293.

471 Ibid., p.286.

472 Widlöcher D. (1999), La méthode du cas unique, in Monographie de Psychopathologie, n°1, p.191-200. Walter M. (1998), Le cas unique est-il scientifique ?, in Annales de psychiatrie, 13, n°2, p.118-123.

473 Fédida P., Lacoste P. (1992), Psychopathologie/Métapsychologie, in Revue Internationale de Psychopathologie, n° 8, Paris, P.U.F., 1992, pp. 589-627, p. 599.

474 Freud S. (1914), Pour introduire le narcissisme, in La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1977, p. 85.

138 l’écrivain Umberto Eco, œuvre susceptible d’être déconstruite pour se prêter à des constructions nouvelles.

Ainsi, il s’agit ici tout au plus d’enchaînement d’histoires toujours en train de se faire et de se défaire pour se refaire autrement. C’est ce que acques Hochmann a appelé « la causalité narrative476». Cette causalité, « à l’inverse des causalités abstraites, [. . .] n’établit pas un rapport entre des objets qui précèdent ce rapport, elle crée, elle réalise ces objets en leur donnant une signification477». Dans ce sens, ce que nous proposons tient certes d’une création, mais cette création peut permettre de penser et d’acquérir une nouvelle compréhension de ce qui se passe chez nos patients. acques Hochmann remarque qu’une grande partie des malentendus qui ont pesé sur les relations entre les psychanalystes et le public, et il cite notamment les polémiques concernant les associations de parents d’enfants autistes et celles du Livre noir de la psychanalyse, tiennent à une confusion de niveaux où on assiste à « un rabattement de la causalité psychique sur le modèle des causalités que j’appelle abstraites478». Les (per)élaborations que nous proposons dans cette tentative de théorisation de nos rencontres cliniques avec les fibromyalgiques sont forcément le fruit d’une dynamique (contre-)transférentielle, et ceci encore plus dans l’après-coup de l’analyse du « matériel » et de l’écriture. Ces ressources contre-transférentielles alimentent ce qui Pierre Fédida appelait le passage du croire au penser479. Autrement dit, nous, cliniciens, nous sommes à la fois observateurs et « instruments de mesure » et à la différence de la recherche expérimentale dans les sciences dites dures où il s’agit de réduire au maximum la subjectivité de l’observateur pour produire la preuve dans toute sa dimension « objective », la recherche en psychanalyse inverse ce paradigme en s’appuyant sur l’œuvre du transfert et ce faisant, propose (en toute objectivité ?) une dimension purement subjective. Markos Zafiropoulos ne parle-t-il pas de rejet de la subjectivité (et de la psychanalyse !) comme point déterminant l’état du malaise dans la recherche en psychanalyse480 ?

La pensée de Catherine Cyssau nous éclaire également. Pour elle, le contre-transfert est ce qui peut permettre d’étayer la proposition selon laquelle la psychopathologie en psychanalyse ne peut adopter ni la méthode d’exploration du modèle psychiatrique, ni celle issue des neurosciences ou encore de la biologie ou de l’anthropologie. Elle nous dit qu’« il ne s’agit pas alors d’importer une

476 Hochmann J. (2011), La causalité narrative, in Cliniques méditerranéennes, 2011/1 n° 83, p. 155-170. 477 Ibid., p. 159.

478 Ibid., p. 163.

479 Fédida P. (1978), L’absence, Paris, Gallimard, p. 326.

480 Zafiropoulos M. (2006), Malaise de la recherche en psychanalyse, in Recherches en psychanalyse, 2006/1 no 5, p. 25-52, p. 31.

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méthode extrinsèque à la psychanalyse pour l’objectiver, ainsi qu’un courant de la psychologie ou de la psychiatrie neuro-comportementaliste psychiatrique peut rêver d’une hégémonie totalitaire du fait psychologique481». De son côté Roger Perron dénonce la fascination pour le modèle des sciences exactes, et ceci de façon assez acerbe, modèle qui d’après lui, « saisit certains psychanalystes en mal de respectabilité482».

Nous pensons que ces différents choix méthodologiques ne sont pas en concurrence mais sont différents. Chacun donne à voir les limites du cadre proposé mais aussi ses richesses. C’est dans cette optique que nous concevons ce travail. Les hypothèses proposées ne sont pas de propositions explicatives mais des constructions qui permettent au chercheur de formuler une représentation explicative, une interprétation heuristique, de ce qu’il observe483. C’est-à-dire, une ligne directrice indépendante de sa vérité absolue. Cela ne nous empêche pas de les mettre à l’épreuve en vue de ce qui se dégage de l’analyse de nos cas. Mais nous nous efforcerons d’être vigilants par rapport aux risques d’une généralisation abusive, comme nous le recommande Roger Perron484. En réalité, ce que nous envisageons relève plutôt de ce que Paul Ricœur nomme la « synthèse de l’hétérogène », d’une construction du sens qui reste secondaire et qui constitue un effet du cadre analytique sous-tendu par le travail du clinicien-chercheur. En quelque sorte, ce cheminement ressemble à celui que nous supposons être celui du corps dans la fibromyalgie, celui de la recherche de sens. Si nous avons choisi cette approche c’est parce que nous ne pensons pas qu’une grande quantité de cas aurait constitué en soi le seul garant de la valeur des hypothèses. Pour nous, cette valeur repose plutôt sur le fait de remettre en mouvement des éléments qui contribueraient à une compréhension. Ainsi notre réflexion s’inscrit dans la continuité des travaux que d’autres auteurs ont réalisé sur ce sujet, car ils nous servent d’appui à une nouvelle construction et nous espérons que celle-ci donnera à penser à ceux qui en prendront connaissance et surtout, à ceux qui soigneront des patients fibromyalgiques.

481 Cyssau C. (2004), Conceptualiser une recherche en psychanalyse, in Recherches en psychanalyse, 2004/1 no 1, pp. 131-144, p. 142.

482 Perron R. (2010), La raison psychanalytique, Paris, Dunod, p. 116.

483 Pedinielli J-L. (1999), Approche de la recherche clinique en psychologie, in Recherche en soins infirmiers, N” 59 Décembre 1999, pp. 9- 14, p.13

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1.3. La recherche

1.3.1. Cas cliniques

Les dix cas cliniques étudiés concernent des femmes adultes souffrant de fibromyalgie, dont le diagnostic a été clairement établi par le corps médical, sélectionnés dans une population de personnes dont l’âge se situe entre 35 à 65 ans, sous traitement (anti-inflammatoire, antidouleur et/ou antidépresseur), depuis au moins trois ans (chronicité).

Toute personne dont la maladie ne se trouvait pas en phase chronique a été écartée. Le choix de ce critère d’exclusion a été retenu afin d‘assurer une certaine homogénéité des cas en s’adressant à des sujets dont les caractéristiques de la maladie seraient bien établies.

Cette recherche ne concerne donc pas les personnes dont la maladie ne se trouve pas en phase chronique et dont l’état somatique, cognitif ou psychologique ne permettant pas la passation des épreuves, échelles et/ou le renseignement de questionnaires.

La construction des cas étudiés est basée sur un récit du parcours de vie des sujets reconstitué à partir de l’entretien clinique et complété de nos commentaires cliniques, des protocoles des épreuves projectives utilisées, ainsi que d’une synthèse du matériel analysé. Ces cas sont proposés dans les annexes. Les données résultantes de l’analyse sont présentées dans le chapitre traitant des résultats.

La clinique du cas dépend de l’état du transfert et du contre-transfert. La construction du cas reflète « la théorie que le clinicien s’est construite de la vie psychique du sujet et de celle que celui-ci lui a transmis485».

1.3.2. Le protocole d’étude

Le protocole d’étude se base sur deux rendez-vous. Le premier, d’environ deux heures et demie, comprend un entretien clinique suivi de la passation d’épreuves projectives (Rorschach et TAT). Le deuxième rendez-vous permet de préciser et compléter le premier entretien et de faire une restitution des résultats de l’étude des protocoles. Les éléments élaborés à partir de l’entretien ainsi que les protocoles sont restitués dans les documents annexes.

Une information préalable a été assurée pour obtenir le consentement éclairé des personnes participant à l’étude. Un entretien de restitution a été proposé aux patients.

141 1.3.3. Une approche clinique

A) L’entretien clinique de recherche

Cette forme d’entretien a été choisie pour permettre d’obtenir des éléments plus riches. Il se distingue de l’entretien clinique à visée thérapeutique par les délimitations suggérées par le chercheur clinicien486. En effet, tout en respectant le plus possible l’esprit d’un degré de liberté d’expression le plus important possible laissé au sujet, l’entretien a été guidé par les thèmes liés à la recherche et a été ponctué par des questions permettant de mieux les approcher.

Sa trame générale tente de saisir, en particulier : - la théorie de la personne sur sa maladie ;

- des éléments de son histoire infantile, notamment la relation avec les parents ou les substituts parentaux ;

- les événements notables autour de l’apparition de la maladie (chocs éventuels, traumatismes, séparations) ;

- les représentations autour de l’éprouvé de la douleur et de la fatigue ;

- les caractéristiques de la relation clinicien-sujet, la dynamique transférentielle et contre-transférentielle.

B) L’apport des épreuves projectives

Deux épreuves projectives ont été employées dans le cadre de cette démarche, le Rorschach et le TAT. Ces outils cliniques, sont utilisés dans un référentiel psychanalytique dans un souci de cohérence avec le socle théorique des hypothèses formulées.

L’interprétation du Rorschach selon une méthode de base psychanalytique487 complémenté par le TAT permet, en recoupant les données obtenues avec celles des entretiens et des observations cliniques, d’avoir une bonne estimation de la dynamique du fonctionnement actuel et latent du sujet. Les épreuves projectives (Rorschach et TAT) apparaissent d’autant plus précieuses que les cas étudiés ne sont pas issus d’un travail thérapeutique au long cours mais d’une situation de recherche qui ne permet pas de multiplier les entretiens cliniques. Elles ont aussi été choisies « parce qu’on attend de cette démarche de mettre à jour ce qui n’apparaît pas ailleurs et

486 Castarède M.F. (1983), L'entretien clinique à visée de recherche, in Chiland C. (dir.) (1983), L'entretien clinique, Quadrige, Paris, PUF, 2006, pp. 118-145.

487 Chabert C. (1983), Le Rorschach en clinique adulte, Paris, Dunod, 2ème

142 notamment dans la clinique des consultations488». L’intérêt de cette méthode est d’autant plus marqué que les entretiens peuvent être parfois très restreints et défensifs, notamment parce que la demande est la nôtre et non celle du patient, et se sont réalisés parfois dans un contexte où les sujets ont des difficultés de mentalisation et de verbalisation.

Il s’agit donc d’outils de médiation et de dialogue489. Ces épreuves complètent l’entretien clinique de recherche et le prolonge dans la mesure où elles constituent un autre support de rencontre, où les sollicitations sont telles qu’elles mettent au travail une palette de modalités défensives parfois différentes de celles observées lors des entretiens. Par ailleurs, la mise à l’épreuve des hypothèses par une double approche semble plus riche si nous combinons les éléments issus des entretiens cliniques et ceux résultants de l’analyse des protocoles.

Marie-Christine Pheulpin490 considère la situation projective comme « un autre miroir ». Elle fait ici référence à l’hypothèse lacanienne du stade du miroir. Mais le premier miroir serait, selon Winnicott491, le visage de la mère. Cet « autre miroir » offre la possibilité « de renvoyer une image du sujet au sujet et au clinicien qui, dans cette situation, par le jeu des mouvements transférentiels, est mis en place et lieu de l’imago maternelle492». En ce sens, la situation projective constitue ce que l’auteure appelle « un moment identifiant » qui renvoie au moment où l’infans parvient à la constitution de son « je », ceci lui procurant un sentiment d’exister. Or, chez les fibromyalgiques, nous avons souligné l’importance du sentiment de continuer d’exister lorsque nous avons parlé de la douleur. Le rôle de « témoin narcissique » du corps médical et de l’entourage fait écho au rôle de « témoin narcissique» du clinicien en situation projective. Notons que le TAT, du fait de ses sollicitations quant aux représentations de relation et aux scénarios fantasmatiques notamment œdipiens, apporte une autre dimension au rôle du clinicien car il peut être également mis à la place de la mère séductrice et sexuelle. L’auteure met aussi en exergue la double polarité de la situation projective, à savoir le « percevoir » et le « se représenter, imaginer ». Si souvent le cadre projectif peut permettre des mouvements de régression, le sujet peut également se saisir de ce cadre pour, dans un mouvement de

488 Chabert C. (1988), Les méthodes projectives en psychosomatique, in Encyclopédie Médico-chirurgicale, Psychiatrie, 16, 1988.

489 Neau F. (2 4), L’expertise psychologique d’adultes, in Emmanuelli M. (2004), L’examen psychologique en clinique.

Situations, méthodes et études de cas, Paris, Dunod, 181-192.

490 Pheulpin M-C. et al. (2003), Aux sources du narcissisme : le regard de l'autre. Intérêt des épreuves projectives. Regards croisés sur quelques sujets alcooliques, in Psychologie clinique et projective, 2003/1 n° 9, p. 313-330.

491 innicott D. . (1967), Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant, in Jeu et

Réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’inconscient », 1996.

143 réorganisation, « sortir de la contrainte de répétition en révélant chez le sujet et au sujet lui-même, un moment riche de potentialités créatrices493».

Dans un autre texte494, Marie-Christine Pheulpin remarque que chez les patients en souffrance somatique, il n’est pas rare qu’au TAT ils expriment une sensibilité aux corps figurés sur les planches « qui deviennent le miroir ou le négatif de leur état et des préoccupations actuelles495 ». C’est donc l’image du corps et ses éprouvés qui seraient sollicités ici sous le