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2. Eléments du parcours de vie des sujets

2.1. Environnement familial d’origine

L’environnement familial d’origine de nos sujets est, pour la plupart, conflictuel, contraignant, voire carentiel sur le plan affectif. Dans les cas les plus favorables, les parents sont considérés comme ayant été de bons parents, mais nous observons une carence affective du fait de l’absence du père, non seulement du fait de son travail, mais parce que il est peu ou pas présent dans le psychisme maternel, et d’une mère très « fonctionnelle », pas ou peu affectueuse, trop occupée à gérer les éléments pratiques et matériels de la maisonnée. Les mères de ces femmes démontraient souvent peu d’affection, étaient parfois distantes voire hostiles dans la relation à leur fille (Thérèse, Bérénice, Véronique, Geneviève, Sylvie, Mireille, Françoise), parfois absentes physiquement (Thérèse, Bérénice, Mireille) ou psychiquement car probablement débordées et /ou déprimées (Françoise, Jacqueline).

Par exemple, Jacqueline occupait la place de sa mère, la remplaçant très jeune dans les tâches ménagères et dans les soins des petits frères et sœurs. Cette position révèle une situation œdipienne très vive qui d’ailleurs n’a pas pu véritablement se déployer, comme nous le verrons par la suite.

Geneviève traverse son enfance entre violence et absence, avec un père alcoolique, violent et une mère dure, « pas très maternelle », qui la négligeait. Les grands-parents maternels, très autoritaires, semblent avoir tenté de pallier ces carences.

L’expérience de Mireille illustre de façon tragique une relation mère-fille pathologique. Elevée par sa grand-mère jusqu’à ses 9 ans, moment où sa mère rentre de l’étranger pressée par le contexte politique du pays où elle résidait. La vie de Mireille se trouve bouleversée. Pendant des années, elle aurait vu sa mère uniquement pendant les vacances scolaires d’été lorsque celle-ci venait en France. Déjà, pendant ces vacances-là, les rapports mère-fille étaient difficiles : « Je n’ai que de mauvais souvenirs, c’était une femme qui me battait, qui était agressive, qui me donnait des coups de fouet, je ne sais pas . . . je n’ai pas un bon souvenir d’elle du tout ! ». Mireille n’a connu son père qu’à l’âge adulte et a peu vu sa mère pendant sa petite enfance. Lorsqu’à l’âge de neuf ans elle va vivre avec celle-ci, leur relation, qui avait toujours été très conflictuelle, s’est encore plus fortement dégradée. D’ailleurs, elle appelait secrètement sa mère « Folcoche », du sobriquet du personnage maternel maltraitant du roman

169 d’Hervé azin, « Vipère au poing535

» : « Elle était autoritaire, mais pas qu’autoritaire, elle était méchante, méchante ! Elle l’est toujours. Elle était institutrice, elle menait ses élèves à la baguette et ses enfants aussi. Je n’avais le droit de rien dire, à table, il ne fallait pas dire un mot, pour demander le sel il fallait lever le doigt et attendre qu’elle ait bien envie de regarder mon doigt, si j’étais en retard de cinq minutes, je me prenais une belle gifle, elle ne me parlait pas, c’était vraiment . . . De toute façon, je ne faisais rien de bien, à part être première de ma classe, c’est tout ce que je faisais de bien. Jamais, jamais . . . elle ne me faisait jamais la bise . . . Elle ne s’habituait pas à moi, je pense et moi, je ne m’habituais pas à elle. [ . .] Elle a essayé de me détruire, cette femme, elle a tout fait pour ».

Il apparaît que souvent, les mères ou leurs substituts étaient très autoritaires et/ou exigeants vis-à-vis de leur fille (Thérèse, Jacqueline, Geneviève, Véronique, Mireille, Sylvie, Dominique). En effet, la description faite par ces femmes des figures maternelles de leur environnement renvoie souvent à des représentations de femmes phalliques, « captatrices » en ce qui concerne leur fille. Ainsi, acqueline dit de sa mère qu’elle « portait la culotte ». Sylvie, par exemple, est très dévouée à sa mère qui exige d’elle une présence constante : « J’étais toujours avec ma mère. J’étais toujours avec elle, quand on en voyait l’une, on en voyait l’autre. Et j’ai même délaissé mon mari pour ma mère, parce qu’elle était toute seule et voilà quoi. Je passais tous mes week-ends avec ma mère. Le samedi, c’était les courses, la promenade, les dimanches on se revoyait, les dimanches après-midi… On passait le dimanche ensemble, puisque mon mari travaillait tout le temps. Je lui ai même confié ma fille étant petite pendant 18 mois, pour l’élever. Comme je venais de perdre mon père, je me suis dit : je vais lui donner le bébé, elle va s’en occuper, ça va être moins dur pour elle ».Mais depuis que son travail l’absorbe d’avantage, sa mère lui fait de reproches : « Ça l’a beaucoup gêné, mon métier, et elle en veut beaucoup à mon mari parce qu’elle dit que c’est lui qui me force à travailler, qu’il me met au travail, qu’à midi je n’ai pas de pause, je ne mange pas. Mais ça, c’est mon choix. Ce n’est pas lui ».

Dans ces configurations, le sadisme maternel patent met en perspective la passivité de la fille, dont la position passive est « non consentie », subie. Le masochisme en jeu semble relever d’un masochisme qui vise à protéger le narcissisme, d’un masochisme de vie. Pour six d’entre elles (Thérèse, Geneviève, érénice, Véronique, Sylvie, Mireille), les grands-parents ont joué un rôle de substitut parental face aux défaillances des parents. Les

535 Folcoche, association de "folle" et de "cochonne", est le personnage maternel particulièrement maltraitant du roman autobiographique d’Hervé azin datant de 1948 : « Vipère au poing ». Folcoche, en patois angevin, désigne la truie qui mange ses petits aussitôt après avoir mis bas.

170 grands-mères en particulier étaient très présentes et ont pris une part essentielle dans l’éducation de leurs petites-filles (Thérèse, Jacqueline, Geneviève, Bérénice, Véronique, Sylvie, Mireille). Dans certains cas, une relation de rivalité s’instaurait entre la mère et la grand-mère (Sylvie, Mireille, Thérèse). Mais, ces grand-mères ont joué souvent, un rôle de substitut maternel auprès de leurs petites-filles face à des mères peu affectueuses (Sylvie) voire abandonniques à différents degrés (Thérèse, Bérénice, Mireille, Geneviève, Véronique). Les grands-mères sont souvent décrites comme des femmes exigeantes et parfois dominatrices, des « maîtresses-femmes ». Par exemple, Véronique a été élevée par sa grand-mère maternelle, qui, devenue veuve, s’était installée chez ses parents. Elle a reçu d’elle une éducation très stricte. C’était une femme assez directive. Elle dit avoir été « gâtée » matériellement par elle mais aussi avoir été continuellement bridée par les exigences de cette femme, « vieille France », qui tentait de tout régenter dans la maison et se trouvait souvent en conflit avec son père. Par exemple, sa grand-mère l’empêchait de sortir et de jouer dehors, en particulier avec des garçons, alors qu’elle n’avait que des amis garçons près de chez elle. Son père venait parfois contrecarrer ces consignes contribuant ainsi à rendre ses propres relations avec la grand-mère encore plus tendues. Sa mère, impuissante, tentait de « faire le tampon entre les deux». Jacqueline parle de sa grand-mère maternelle comme s’agissant d’une « maîtresse femme, très dure avec les autres, odieuse les derniers temps de sa vie ».

Thérèse décrit la relation que sa grand-mère paternelle, qui l’avait élevée, avait avec son père : « Ma grand-mère avait été tellement autoritaire vis-à-vis de son fils, elle n’a jamais lâché le cordon ombilical, si vous voulez. Le premier divorce ça a été dû par sa faute, Mon père s’est remarié et il a failli divorcer aussi, par sa faute. Elle ne voulait pas le lâcher. Donc, lorsque ma grand-mère est devenue semi impotente avec le temps, c’est moi qui m’en suis occupée ». Cette grand-mère, très présente, intrusive, n’a pourtant pas pu combler les besoins d’affection de Thérèse : « Je pense que mon gros problème et je le sens en vieillissant, mon plus gros problème, c’est ce manque de tendresse toute ma vie (sa voix se voile) ».

Ces situations nous évoquent une répétition, une dynamique transgénérationnelle qui nous semble pathologique vis-à-vis de l’élaboration du féminin chez les filles, car la position passive, comme nous l’avons vu plus haut, relève de la « survie » et y est peu, voire pas investie libidinalement.

Un autre aspect à prendre en compte, c’est un probable état dépressif de la mère de ces femmes, éléments que nous pouvons déceler dans le récit de leur parcours de vie. Le côté extrêmement « battant » ou abandonnique de ces mères nous évoque des figures de la dépression. Nous pensons en particulier à Thérèse et à Mireille. Or, l’engagement affectif des mères déprimées

171 vers leurs bébés serait plus restreint. De plus, ce mouvement se retrouverait également dans la relation du bébé à sa mère536.

Quant aux pères, ils se sont avérés pour la plupart décevants, absents (Françoise, Mireille, Sylvie), parfois rejetants et/ou abandonniques (Thérèse, Bérénice), parfois fragiles, car quelquefois pris dans une problématique d’alcoolisme (Jacqueline, Geneviève, Véronique). Certains pouvaient être violents et autoritaires (Geneviève, Véronique, Dominique). On note dans trois cas une relation très difficile entre père et fille à l’adolescence ( érénice, Dominique, Véronique).

Dans la majorité des situations, la relation du couple parental est décrite comme étant très conflictuelle (Thérèse, Jacqueline, Bérénice, Véronique, Geneviève, Mireille), aboutissant quelquefois à une séparation (Thérèse, acqueline, érénice, Mireille). Dans d’autres cas, il s’agit de parents « fonctionnels », travaillant beaucoup, établissant peu de contacts affectifs avec leur fille, particulièrement dans leur enfance (Françoise, Sylvie).

Des dix cas étudiés, seule Salima semble avoir bénéficié d’un environnement familial « sans histoires ».