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Une « histoire » de Bresson : du village caractéristique des sociétés paysannes au village « recomposé ».

Chapitre 3. Bresson : le cadre résidentiel de socialisation des adolescents.

B- Une « histoire » de Bresson : du village caractéristique des sociétés paysannes au village « recomposé ».

Un travail combiné sur les archives civiles municipales (actes de mariages, de naissance et de décès) (Cf. chapitre 2), sur les données des différents recensements de la population à l’échelle communale171 ainsi que des entretiens et des discussions informelles tenues avec d’« anciens » habitants de Bresson (Cf. chapitre 2), a permis de retracer l’évolution socio-démographique de la commune depuis la fin des années 1950 jusqu’à aujourd’hui172 et ainsi de proposer une « histoire » de la commune. Ce travail répond en réalité à un double objectif initial173: d’une part, contribuer à décrire le plus finement possible, et notamment d’un point de vue historique ici, la « configuration socio-résidentielle » (Elias N. ibid) dans laquelle les adolescents rencontrés se socialisent au quotidien ; d’autre part, décrire empiriquement et à partir d’une approche localisée le « rural » contemporain, en analysant les transformations socio-démographiques qu’a connu un territoire particulier depuis la « fin des sociétés paysannes » jusqu’à aujourd’hui174, nous permettant par la suite de fournir une description d’autant plus détaillée de sa sociographie contemporaine (Cf. sous-partie C). Ainsi, trois périodes successives ont pu être identifiées:

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Recensements Généraux de la Population (Insee : 1968, 1975, 1982, 1990, 1999 et 2007) et Recensements agricoles (Agreste : 1970, 1979, 1988, 2000, 2010)

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Bien que partielles et subjectives (entretiens et discussions informelles), ces données ont permis de retracer les grandes lignes des évolutions socio-démographiques de la commune à partir des caractéristiques sociales et familiales (âge, profession, parenté) des individus. 173

Ce travail a par ailleurs donné lieu à un article dans le journal local édité par le foyer rural et qui a permis par la suite de nombreux échanges informels avec des habitants.

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En effet, si les configurations socio-résidentielles des « collectivités » caractéristiques des sociétés paysannes ont bien été décrites par la sociologie rurale (Mendras H., 1971 ; Jollivet M., 1974) et secondairement par l’Ethnologie de la France (Pingaud M., ibid ; Zonabend F., ibid) dans les années 1950-1960, peu de travaux se sont intéressés à celles de la période post-paysanne jusqu’à aujourd’hui, sinon ceux de Patrick Champagne (Champagne P., 2002) et de Michel Bozon et Anne-Marie Thiesse (Bozon M. et Thiesse A.M., ibid) qui les ont décrit assez finement.

110 1- Un village encore typique des sociétés paysannes (1955-1965).

Si nous avons choisi de commencer à travailler sur les archives municipales à partir de la fin des années 1950, c’est que cette période correspond au processus daté et largement décrit par la sociologie rurale, en l’occurrence à la « fin des sociétés paysannes » (Mendras H., 1967 ; Duby G et Wallon A., 1992 ; Bourdieu P., ibid ; Champagne P., ibid). Ainsi, l’analyse des données issues des archives civiles municipales permet de mettre en évidence le fait qu’à cette époque, Bresson constitue un village qui peut être qualifié de « typique » des sociétés paysannes. Il est en effet majoritairement composé de populations d’origine agricole, avec une opposition forte entre d’un côté les « propriétaires/exploitants agricoles », encore nombreux à cette époque, et de l’autre les « ouvriers/journaliers agricoles ». Les entretiens et discussions informelles menés avec des « anciens »175 de la commune ont notamment permis de mettre en évidence le fait que les ouvriers et journaliers agricoles composaient alors la majorité de la population communale. Cette population d’ouvriers et de journaliers agricoles se remarquaient par un mode de sociabilité particulier, matérialisé par la fréquentation des quatre cafés176 encore existants à cette époque dans la commune.

La démographie communale est d’autre part caractérisée par la présence de nombreux artisans traditionnels (« bourreliers », « menuisiers », « cordonnier »…), de commerçants (« boulangers », « épiciers », « charcutier »…) ainsi que de populations formant l’encadrement traditionnel des populations paysannes, la plupart du temps fonctionnaires et d’origine urbaine (« instituteurs », « médecin »…). Néanmoins, les prémices des futures transformations socio-démographiques et du processus de « dépaysannisation » se remarquent dès cette période d’une part par la présence dans la population communale des premiers employés (« secrétaires »,

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Notamment avec le Maire de la commune, Monsieur Coismay, sa première adjointe, Mme Legrand, Pierrot Beltante, le président du foyer rural et Roger Baffoy un agriculteur retraité de la commune.

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Outre le café tenu par les parents de Pierrot Beltante, actuel café du foyer rural qui existe encore aujourd’hui (Cf. chapitre 2), il existait à cette époque trois autres cafés dans la commune, qui ont progressivement fermé au cours des années 1970 et 1980.

111 « vendeuses »…) et ouvriers non agricoles (« monteur électricien », « ouvrier mécanicien »…), d’autre part, par une augmentation progressive du niveau scolaire et du niveau de diplôme des jeunes issus des familles agricoles177, et de surcroît, par un mécanisme bien mis en évidence par Pierre Bourdieu (Bourdieu P., ibid), en l’occurrence le nombre déjà significatif de migrations de jeunes femmes en dehors de l’espace local, par l’intermédiaire du mariage178 et/ou pour aller « travailler en ville »179.

2- Dévitalisation démographique et prolétarisation de la commune (1965-1980).

Les données issues des recensements de la population à l’échelle communale, par ailleurs confirmées par les propos tenus par les habitants rencontrés et interrogés, montrent que la fin des années 1960 et les années 1970 constituent une période de forte dévitalisation démographique pour la commune, la population passant ainsi de 353 habitants en 1968 à environ 290 habitants au début des années 1980 (Cf. Tableau 1). Elle s’explique notamment par un solde migratoire fortement négatif pour cette période (avec par exemple un taux de variation annuel dû au solde migratoire de -2,5% entre 1968 et 1975) (Cf. Tableau 2) qui traduit les nombreuses migrations d’individus durant cette période, notamment de ceux issus du monde agricole. En effet, le processus de « dépaysannisation » se marque durant ces années à Bresson par une forte réduction du nombre d’exploitation agricoles (ce nombre passe en effet de 31 exploitations agricoles en 1970 à 24 en 1979180), liée à la mécanisation et à la spécialisation des exploitations181, et donc par la disparition progressive de la population spécifique des « ouvriers » et « journaliers agricoles » dans la commune, puisqu’on peut noter leur absence dans les actes civiles municipaux dès le milieu des années 1970.

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Ce qui se voit notamment dans les actes de mariage.

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Le mariage avec des hommes d’origine non-agricole.

179 Marquant par là même la plupart du temps une trajectoire d’ascension sociale. 180

Sources : Recensements Agricoles de 1970 et 1979, Agreste.

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112 Parallèlement, Bresson connaît durant cette période un processus de prolétarisation, en particulier à la fin des années 1970, marqué par la présence de plus en plus importante d’ouvriers, notamment d’ouvriers de l’industrie (« ouvriers d’usines », « ouvriers mécaniciens », « ouvriers perforateurs »…), et de ménages d’origine populaire dans la commune. Cela tient en premier lieu, en dépit d’un solde migratoire négatif, à l’installation de quelques ménages ouvriers à Bresson, bien souvent d’origine rurale, et aussi pour certains d’origine étrangère (portugaise, espagnole et maghrébine essentiellement). Ce processus de prolétarisation procède de manière ambivalente des mouvements de mobilité sociale intergénérationnelle qu’ont connu les enfants issus de famille locales anciennement agricoles. Les actes de mariage ont ainsi permis de mettre en évidence le fait que nombre de fils et filles d’ouvriers et journaliers agricoles de la commune sont ainsi devenus ouvriers182 ou employés183, tout en se sédentarisant à Bresson. Cette première forme de diversification socio-professionnelle s’amplifie enfin durant ces années avec l’arrivée de quelques « Cadres » et « Professions supérieures » (notamment d’un « ingénieur d’E.D.F », d’un « pilote professionnel d’aviation » ou encore d’un « dessinateur industriel »), qui restent cependant largement minoritaires, et avec l’accroissement des résidences secondaires dans la commune184.

3- Revitalisation et diversification sociale de la commune (1980- 2010).

Bresson connaît au début des années 1980 un profond renversement démographique et une progressive revitalisation de sa population, qui se poursuit encore au cours des années 2000, la population communale passant en effet d’environ 290 habitants en 1982 à plus de 390 habitants en 2007185 (Cf. Tableau 1). Cet accroissement se traduit de manière complémentaire par la forte augmentation de la construction du nombre de logements dans la commune, puisque durant cette

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En majorité des hommes.

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En majorité des femmes.

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Elles étaient au nombre de 8 en 1968 dans la commune, passant à 17 en 1975 et à 23 en 1982. Elles ne sont plus que 15 en 2007 (Insee : R.G.P. 1968, 1975, 1982 et 2007)

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113 période leur nombre va passer de 157 en 1982 à 179 en 2009 (Source Insee: R.G.P. de 1982 et de 2009)186. Cela s’est en particulier manifesté par l’apparition d’un type d’habitat pavillonnaire, jusque que là absent du tissu résidentiel, et qui symbolise une certaine forme de rurbanisation.

Ce regain démographique s’explique principalement par un solde migratoire positif (étant de +0,8% au cours des années 1980 et de +0,7% au cours des années 1990 (Cf. Tableau 2)) et à l’arrivée massive de populations extra-communales durant cette période, majoritairement « jeunes », qui vont contribuer à accroitre l’hétérogénéité sociale de la population communale. Cette diversification socio- professionnelle est d’abord liée à l’installation à partir des années 1980 de ménages appartenant aux classes moyennes et plus rarement aux classes supérieures (avec quelques « cadres » notamment) dans la commune. La plupart de ces ménages s’avèrent ainsi être de « jeunes » couples avec enfants (la population des 25-40 ans étant la mieux représentée) et d’origine urbaine, provenant notamment du centre de l’agglomération parisienne, bien qu’une partie provienne aussi d’autres régions, souvent limitrophes (Centre et Bourgogne notamment). Néanmoins, si ces fractions urbaines appartenant aux classes moyennes représentent une part croissante dans la population communale et participent d’une rurbanisation, la majorité des installations dans la commune durant cette période concerne des ménages, là aussi le plus souvent « jeunes » et avec enfants, appartenant aux classes populaires et notamment d’origine ouvrière. Ces arrivées de populations extra-communales issues des classes populaires, par conséquent, bouleversent faiblement la structure socio- démographique de la commune, d’autant que la majorité d’entre eux s’avère être d’origine rurale ou périurbaine. Elles participent, en revanche, à un « rajeunissement » évident de la population communale. L’étude de leurs trajectoires résidentielles permet notamment de mettre en évidence la prépondérance des « micro-mobilités » résidentielles chez ces ménages et le fait que la majorité provient d’un territoire local large187. Enfin, il est intéressant de noter qu’une minorité de ces ménages issus des

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Source : RGP de 1982 et de 2009 (Insee). Cela comprend l’ensemble des logements c’est-à-dire les résidences principales, les résidences secondaires ainsi que logements vacants.

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Un territoire local large qu’on peut définir comme comprenant le Sud Ouest de la Seine-et- Marne, le Nord-Est du Loiret ainsi que le Sud-Est de l’Essonne.

114 classes populaires récemment installés est quant à elle d’origine urbaine et concerne des profils « marginalisés » ainsi que des anciens résidents de « banlieues urbaines » défavorisées à la recherche d’un cadre de vie plus agréable.

Enfin, ces trois dernières décennies marquent pour Bresson l’accentuation du processus de désertification fonctionnelle puisqu’on peut constater la disparition de la quasi-totalité des commerces et lieux de sociabilités publics au sein de la commune. En effet, les années 1980 ont marqué la disparition des derniers commerces traditionnels de la commune (une épicerie, une boulangerie, un garage automobile)188, ne subsistant aujourd’hui qu’un seul commerce, en l’occurrence une boucherie, ainsi que des derniers lieux de sociabilités publiques que constituent les cafés, et qui ont un rôle particulièrement central en milieu rural. Cette désertification fonctionnelle touche aussi ces dernières années les services publics avec le risque de fermeture à long terme de l’école primaire communale189, du fait d’une baisse continue des effectifs des enfants scolarisés depuis quelques années. Toutefois, la commune a vu l’installation, à partir de la fin des années 1990, de nouveaux commerces et services orientés vers le tourisme et les loisirs (avec une auberge installée en 2006, un gîte rural en 2008, une ferme qui s’est mise à proposer des randonnées équestres/ à vélo), notamment liés à la proximité du « Parc naturel régional du Gâtinais », et qui manifestent les nouveaux usages récréatifs du territoire local.

Au final, Bresson est un village rural qui a été marqué ces dernières décennies par un double processus, caractéristique des communes situées dans des « territoires ruraux périphériques », d’une part une revitalisation et un « rajeunissement » démographiques du fait de l’arrivée de populations « extérieures », d’autre part une désertification fonctionnelle liée en partie aux

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Soit par des fermetures définitives de commerces, soit par des départs à la retraite non remplacés.

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L’école primaire communale de Bresson compte, en 2012, 42 élèves scolarisés et 3 enseignantes. Elle fait à de nombreux égards figure d’une école « rurale », du fait de sa petite taille et de la familiarité qui peux exister entre enseignants, enfants et familles, et du fait de son organisation en trois classes regroupant différents niveaux (une classe maternelle, une classe de CP-CE1-CE2 et une classe de CM1-CM2).

115 transformations des modes de vie des habitants. Néanmoins, loin du mythe du départ des « urbains » et des « cadres » à la campagne, Bresson apparaît être aujourd’hui un village rural, certes marqué par une diversification socio- démographique croissante, mais qui est avant tout majoritairement composé de classes populaires, ouvriers et employés, et de « ruraux », pour la plupart « autochtones »190 ou originaires des territoires ruraux voisins.