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Hiérarchisation informelle des infirmiers dans les services psychiatriques

INFIRMIERS EN FRANCE. CREER DU SENS COLLECTIF AUTOUR D’UNE SITUATION COMPLEXE

3.3 Présentation du métier d’infirmier au regard de la sociologie des professions. des professions

3.3.2 Hiérarchisation informelle des infirmiers dans les services psychiatriques

Si nous avons bien compris par quel mécanisme de pensée les services de psychiatrie se révèlent peu attractifs (patient chronique, soins peu techniques, médecine incertaine au plan diagnostic et thérapeutique), il n’en demeure pas moins qu’une division forte se fait sentir selon le type de formation suivie par les infirmiers : les attentes diffèrent ainsi que les critères de qualité de soins. Les logiques que nous venons d’expliciter sont vécues par les infirmières en soins généraux ou infirmières diplômées d’Etat après 1992 mais aussi celles issues de l’universitarisation récente de la formation : sensibilisées à la recherche de données académiques, elles sont d’autant plus sensibles à la question de la visibilité de leurs compétences. Elles attendent que les professionnels de terrain soient en mesure de leur apporter les ressources en connaissances « scientifiques » qui restent absentes de manière formalisée191. De plus le nouveau format de la formation ne leur permet la découverte que d’un seul lieu de stage de psychiatrie (contre trois auparavant) : en cas de mauvais vécu de stage, l’étudiant se détourne définitivement de cette spécialité. Il peut avoir du mal à se saisir des enjeux de la prise en charge longitudinale en psychiatrie en ne participant qu’à une étape du parcours de soin du patient. Au moment de la première prise de poste, les infirmiers sont parfois confrontés aux remarques des infirmiers aguerris qui leur reprochent leur incapacité à gérer un service : « les jeunes, ils ont la licence, ils veulent faire des études mais ils savent même plus s'occuper des patients192». On comprend alors que la cohabitation entre ces différents profils de soignant puisse révéler des tensions. Le phénomène est peut-être renforcé par les effets réels ou

191 Cette difficulté se fait sentir au niveau médical comme nous avons pu le présenter dans la partie 3.2 en constatant la multiplicité des courants thérapeutiques.

192 Témoignage d’un étudiant accessible sur le site : http://www.infirmiers.com/etudiants-en-ifsi/etudiants-en-ifsi/infirmiers-refractaires-changement.html

166 imaginaires des comportements de la génération Y. L’existence même d’une génération Y est remise en cause dans sa définition qui peine à trouver sa délimitation, la littérature académique évoquant plutôt le « Mythe » de la génération Y (Pichault et Pleyer, 2010193) : au fond cette génération n’a pas d’attentes différentes des autres mais peut être les exprime-t’elle autrement et plus ouvertement en particulier dans le milieu hospitalier…C’est du moins l’hypothèse que nous émettons après nos observations empiriques. Les cadres de santé ne comprennent pas que des infirmiers débutants se permettent d’avoir ouvertement des exigences en termes d’horaires de travail ou encore d’avoir des attentes importantes en termes de moyens matériels ou de reconnaissance de la qualité du travail réalisé. Ces demandes n’existaient pas lorsqu’elles exerçaient leur fonction de soignante. Si elles avaient adopté ce genre de posture elles n’auraient plus répondu à l’image idéalisée de l’infirmière dévouée à son patient, à son service, au médecin de l’unité, ne comptant pas ses heures. Il y aurait donc eu une évolution de l’idéal type de l’infirmière avec la génération Y et la cohabitation de ces 2 idéaux est source d’incompréhension.

Mais qu’en est-il des infirmières spécialisées en psychiatrie aussi appelée ISP (infirmier des secteurs de psychiatrie) ? Comment peut-on caractériser ces professionnelles qui ont fait le choix il a quelques années maintenant de devenir infirmière de psychiatrie et d’exercer en tant que soignante uniquement dans ce type de service à travers une formation initiale spécifique de ce secteur.

Dans l’univers « à part » de la psychiatrie, les « IDE psy » (les ISP), c'est-à-dire ayant suivi exclusivement une formation à vocation psychiatrique avant 1992, apparaissent comme dépositaires d’une expertise en soins relationnels, non formalisée certes mais présente et transmissible uniquement par compagnonnage. Les qualités relationnelles sont donc valorisées dans cette spécialité alors que les soins somatiques sont perçus comme secondaires (surveiller le poids ou le transit comme dans les services de soins dits généraux sont perçus comme une perte de temps). Le savoir être est à leurs yeux la compétence essentielle d’un soignant qui doit s’avoir « faire redescendre194 » un patient psychotique plutôt que de recourir à l’utilisation de chambres d’isolement appelées aussi chambres de soins intensifs.

193 http://hdl.handle.net/2268/88548 . Pichault, F., Pleyer, M., (2010) Pour en finir avec la génération Y. Enquête sur une représentation managérial. Acte des Congrés de l’AGHR, Novembre.

194 Nous reprenons ici le jargon professionnel : les infirmiers désignent ainsi l’augmentation des troubles visibles chez un patient et qui pourrait le conduire à des passages à l’acte violent envers les autres ou pour lui-même. Cette montée en puissance de l’agitation du patient, si elle est détectée suffisamment tôt, peut être prise en charge par

167 La professionnalisation récente des infirmières en psychiatrie tente de répondre à ce besoin de formalisation de savoirs considérés comme profanes. Elle s’explique probablement par les origines de la profession entre charité et maintien de l’ordre social et lient les infirmiers de psychiatrie à un passé ressenti comme peu glorieux de « gardien des fous », une catégorie de travailleurs peu différente des gardiens de prison selon Thomas Bender (2012). Cet emploi indifférencié des termes « gardien » et « infirmier » a longtemps desservi la psychiatrie : elle renvoie au flou de la position d’un personnel subalterne assurant plutôt un rôle de surveillance plutôt que de soin (Jaeger, 1990, p.29). Le profil idéal du soignant est alors décrit comme généreux, doux, bon, intelligent mais aussi capable de donner un sentiment de puissance donc disposant d’une stature imposante (Jaeger, 1990). Ce passé explique probablement une présence masculine plus importante chez les infirmiers dans les services de psychiatrie comparativement aux autres spécialités. Lorsque l’on se penche sur l’historique de cette profession, on constate que certaines problématiques ont traversé le temps. Des solutions ont été proposées mais le questionnement perdure :

-la question de l’attractivité du personnel dans les unités de psychiatrie. Les aliénistes Constans, Lunier et Dumesnil, inspecteurs généraux indiquent dans leur Rapport général sur le service des aliénés : « nous ne connaissons pas un seul asile dans lequel les surveillants reçoivent un salaire égal à celui des domestiques de la localité…quels avantages pourraient les retenir et les faires persévérer ? Nous pensons en conséquence qu’une réforme sur ce point serait un des meilleurs et des plus indispensables compléments de l’organisation de l’asile. » (Jaeger, 1990).

-la question de la sécurité des conditions de travail et de la recherche de compétences.

Un extrait d’une lettre adressée au Ministre de l’intérieur par un syndicat le 9 octobre 1907 met en lumière leur condition : « Par suite de la suppression de tous les moyens de contraintes (détermination inspirées au médecin par des sentiments humanitaires qui les honorent), ne sommes-nous pas exposés aux actes meurtriers des inconscients que nous soignons. Ne sommes-nous pas susceptibles de devenir leurs victimes, quelques-uns d’entre nous ayant déjà payé de leur vie l’insouciance de certaines administrations ? L’amélioration de notre sort

des soins relationnels (entretien) sans avoir recours à des techniques d’isolement ou de contention qui sont vécus comme des échecs thérapeutiques par les ISP.

168 permettrait d’ailleurs le recrutement d’un personnel plus compétent et plus stable. » (Daumézon, 1935195).

La distinction cure/care n’est pas identique pour toutes les infirmières ayant une pratique en psychiatrie mais cette grille de lecture permet de comprendre la présence d’enjeux différents pour des infirmiers différents depuis la création du diplôme unique. Il s’agit de considérer ces différentes ressources comme complémentaires avec un personnel offrant un vrai panel de compétences est permettant a priori de proposer une prise en charge complète d’un patient sur le plan de la santé mentale sans négliger l’aspect somatique. Comme l’indique Hughes (1996, p.95) : « Tout travail est effectué dans un environnement social. Au sein de cet environnement social, les gens effectuent certes des tâches techniques, mais ils sont également en interaction les uns avec les autres. Ils se conforment à des règles. Si l’on veut comprendre tel ou tel travail, il faut d’abord comprendre le rôle des personnes qui y sont impliquées. » Questionner les liens entre ces différents professionnels c’est mieux saisir les enjeux du travail : c’est aussi prendre toute la dimension de la gestion du personnel dans ce type de service qui multiplie les profils et les attentes en termes de reconnaissance. Nous notons dans ce cas des enjeux de transmissions de savoirs dans une logique de management transgénérationel. (Estryn-Béhar, 2008).

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