• Aucun résultat trouvé

3.3 Les conditions contradictoires de la hiérarchie entre validité interne et

4.1.3 Hiérarchie entre validité interne et externe

Les nouveaux keynésiens prétendent ainsi renverser la hiérarchie entre validité interne et validité externe par rapport à la conception lucasienne de la modélisation. Pour les nouveaux keynésiens, la confrontation des hypothèses au monde réel détermine le cadre microéconomique pertinent – à l’opposé donc de Lucas, pour qui le cadre théorique de référence était une condition a priori208

.

Le poids que les nouveaux keynésiens placent sur le réalisme des hypothèses représente

207. Il reste matière à discussion pour savoir si l’on peut classer ces approches sous l’étiquette com- mune des « imperfections de marché » (cf. II), sachant que cela ne caractérise pas certaines contributions (comme par exemple Hart, 1982) et sachant que cette étiquette pourrait aussi très bien s’appliquer à Lucas (pour lequel les asymétries d’information jouent un rôle central). Un autre débat ouvert est de savoir si les différentes approches des nouveaux keynésiens peuvent être distinguées selon leur rattache- ment à une tradition microéconomique ou à une autre, par exemple à une tradition « marshallienne » ou « walrassienne » (De Vroey, 2015, 352-353).

208. Cependant, rappelons également la nuance introduite par la notion d’analogie de Lucas, qui sug- gérait une justification réaliste des hypothèses. Vus sous cette perspective, les nouveaux keynésiens ne feraient donc qu’amplifier et expliciter ce qui est suggéré implicitement chez Lucas. Notons également que l’effective réussite du renversement revendiquée par les nouveaux keynésiens se heurte à un ensemble de difficultés, que j’expose dans la section suivante.

donc un facteur déterminant du développement de microfondements alternatifs à ceux proposés au départ par Lucas. En effet, c’est sous l’influence de cette conception réaliste que les nouveaux keynésiens abandonnent l’adéquation stricte entre hypothèses du mo- dèle et théorie néo-walrassienne, pour la remplacer avec différents cadres de concurrence imparfaite (cf. supra).

Pour emprunter à nouveau les mots de Stiglitz, les nouveaux keynésiens choisissent et développent des microfondements de la macroéconomie à partir de l’observation des phénomènes :

[New Keynesian models] attempt to change microeconomics to make it possible to derive from ‘correct’ microeconomic principles commonly observed macroeconomic phenomena

(Stiglitz, 1991, 3-4, je souligne).

Cette posture est assez évidente pour certaines hypothèses particulières, comme par exemple les coûts d’ajustement des prix (coûts de catalogue). Comme on le détaillera plus loin (cf. 4.2.1), ces hypothèses sont développées à partir des caractéristiques obser- vées du monde réel (les faits) et de leur généralisation (par l’idéalisation). Ainsi, pour Ball et Mankiw

It is natural to consider the macroeconomic effects of sticky prices, because we observe many prices that change infrequently. Both of us go to barbers who keep haircut prices fixed for several years.

(Ball et Mankiw, 1994, 131, je souligne)

Plus généralement encore, la justification de la validité interne sur la base de la cohérence entre faits et hypothèses porte sur l’ensemble des environnements microéco- nomiques choisis, ou, en clair, sur un ensemble d’hypothèses et pas seulement sur des hypothèses particulières. Ainsi, la description globale de l’environnement économique se doit d’être réaliste, c’est-à-dire de se justifier par sa conformité avec l’observation du monde réel. La concurrence monopolistique par exemple représente un environnement (impliquant un ensemble d’hypothèses spécifiques, comme la différenciation des produits, l’imparfaite substituabilité des biens, l’atomisation des vendeurs, etc.) « réaliste » pour capturer l’idée de rigidité partielle des prix :

[...] imperfect price adjustement could be derived from realistic assumptions about the microeconomic environment [...] the resulting research led to a variety of non-Walrasian theories of the operation of markets.

(Mankiw, 1993, 6-7, je souligne)

La concurrence monopolistique constituerait donc une proposition qui caractérise le monde réel sous différentes dimensions. C’est une description « plus soigneuse » du monde réel, notamment par rapport à la concurrence parfaite employée par les nouveaux clas- siques : « [monopolistic competition] describes many markets more accurately than per- fect competition » (Blanchard et Kiyotaki, 1987, 647).

Comme les concepts théoriques utilisés pour formuler les hypothèses d’un modèle sont des propositions sur le monde réel, ils peuvent (et doivent) être directement soumis à une confrontation avec l’observation. Cette condition vaut pour l’ensemble des hypothèses,

excepté le comportement optimisateur209. Elles doivent être soumises à un test empirique,

qui permette de les évaluer en tant que descriptions cohérentes avec l’observation :

[...] the micro-foundations from which the aggregate behavior is derived can often be tested directly. A rejection of the underlying micro-hypotheses should suffice to cast doubt on the validity of the derived macro-theory.

(Greenwald et Stiglitz, 1993, 24)

Ainsi, par exemple, la concurrence monopolistique est testée empiriquement par Hall (1986). En étudiant les données de 50 branches industrielles aux Etats-Unis, Hall essaie de mettre en lumière la structure de marché par l’étude du rapport entre coût marginal et prix. Ses résultats amènent à conclure que, dans une majorité de branches, les prix excèdent le coût marginal. Ainsi,

[...] the majority of the industries are noncompetitive in an important way. Spe- cifically, they choose to operate at a point where marginal cost is well below price, a policy that makes sense only if firms influence prices through their volumes of production, that is, if they are noncompetitive [...] These findings support a view of the typical industry originally proposed by Edward Chamberlin.

(Hall, 1986, 285-286)

Même si ce type de test des structures de marché n’est ni original ni spécifique à la nouvelle économie keynésienne, la perspective de Hall est cruciale pour capturer le sens de la hiérarchie entre validité interne et externe dans ce courant de recherche. Ainsi, les résultats de Hall sont conçus dans l’optique d’avoir « d’importantes implications pour les fluctuations macroéconomiques », à savoir confirmer que la théorie pertinente pour le microfondement de la macroéconomie est bien la concurrence imparfaite.