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Ce terme est usuellement traduit par « ville ». Littéralement, il comprend une acception différente, plus précise d’un point de vue fonctionnel, plus généraliste dans la

hiérarchie de l’habitat. Selon F. Bron149, ce terme ne trouve de correspondant que dans le

guèze où hagar signifie indifféremment « bourg, village, ville, cité, place forte, région et province ». Selon cet auteur toujours, l’arabe moderne du Yémen utilise le terme hajar pour

144 J.-F. Breton (2001 a, p. 9-11) fait une brève historiographie de cette question dans une recension du catalogue de l’exposition sur l’Arabie du Sud de Münich (W. Daum, W. W. Müller, N. Nebes & W. Raunig (éds), 2000).

145 Cette définition reprend et adapte dans ses grandes lignes le contenu d’un article publié par l’auteur sur le sujet (J. Schiettecatte, 2005), issu d’un travail de DEA (J. Schiettecatte, 2001).

146 Les langues sudarabiques modernes (Mahrî, Suqutrî, etc.) ne sont pas prises en considération dans cette réflexion.

147 Selon J.-J. Glassner (2000, p. 38), « la terminologie mésopotamienne n’aide guère à préciser les choses. Le mot sumérien uru, comme son correspondant akkadien âlu, communément traduit par « ville », désignent tout habitat humain à l’exception d’une maison isolée ». Précisons que cette acception est quasiment identique à celle que nous attribuons au terme sudarabique hgr, communément traduit par « ville ».

148 J. Parlebas (1983) évoque l’idéogramme nywt ou nwt, habituellement traduit par « ville » mais désignant en fait tout type d’habitat, du village à la capitale, et dont la nature peut être cherchée dans une lecture cosmogonique de l’idéogramme.

désigner un site antique (Hajar Ibn Humayd ; Hajar Kuhlân…). En sudarabique, il désignerait la ville. Ch. Robin en précise l’acception150. Il part du fait que les inscriptions sudarabiques mentionnent en tant que hgr de grands sites comme Ma’rib et de petites bourgades comme Ghûlat ‘Ajîb. Par ailleurs, il signale que les traditionnistes arabes désignent par hajar soit l’enceinte réunissant les grandes demeures, soit un lieu d’assemblée tribal. De manière générale, ces acceptions ne convergent pas vers une seule traduction qui serait celle du terme « ville ». Deux éléments semblent récurrents : l’aspect habité et l’aspect fortifié ce qui amène Ch. Robin à traduire hgr par « une bourgade fortifiée, quelles que soient ses dimensions ». Nous préférons pour notre part « une agglomération de structures domestiques, fortifiée, de dimensions variables », le terme bourgade utilisé par Ch. Robin introduisant déjà l’idée de hiérarchie urbaine.

L’aspect fortifié est-il certain ? Les données philologiques vont dans ce sens. L’étude effectuée par A. Belova151 corrobore cette hypothèse, faisant découler le terme hgr de racines sémitiques ayant pour sens « pierre » ou « mur ». Selon cette dernière, les langues sémitiques, permettent l’interversion de la consonne laryngale « h » avec « ’ », la base consonantique hagar pourrait alors être une variante phonétique de la racine consonantique *’gr que l’on retrouve en akkadien igâr- « mur », en araméen ’gr « mur, voûte ». Par ailleurs, elle restitue une autre chaîne étymologique : la racine triconsonantique hgr aurait été initialement une racine biconsonantique *gar « pierre » (attestée notamment dans les langues couchitiques avec le sens de « montagne, sommet ») que l’on retrouve en arabe dans hajar, en guèze dans wagr, en araméen dans yagr et dans la racine verbale arabe jarila « être rocailleux ». Elle mentionne également la possibilité de voir dans hgr la variante phonétique de hajar où une pharyngale alternerait avec une laryngale.

Sur le plan archéologique, nous avons recensé 139 sites qualifiés de hgr par les inscriptions. Parmi ces derniers, 85 ne sont pas localisés, ou ne le sont que par la présence de toponymes actuels identiques, les vestiges ayant disparus ; 54 sites ont été reconnus sur le terrain, parmi ceux-ci, 47 présentent un rempart, quatre une forteresse à proximité immédiate. Seuls trois sites sont qualifiés de hgr et ne semblent pas fortifiés : Qutra (l’antique hgrn Mtrt), Hurayda (l’antique hgrn Mdhb) et al-Huqqa (l’antique hgrn Dmhn). Sur ce dernier toutefois, la présence d’un rempart n’est pas improbable. Elle est suggérée par différents éléments parmi lesquels un mur au nord-ouest du site reliant plusieurs structures entre elles ainsi que deux tours dont une semi-circulaire, à l’est du site, datée de la période préislamique par la trouvaille in-situ d’un relief figurant un cheval et dont l’insertion dans la

maçonnerie serait contemporaine de la construction152. Les tours indiqueraient donc la

présence d’un rempart construit à l’est du site ; le côté ouest du village domine de plusieurs

150 Ch. Robin, 1995 a, p. 148-49.

151 A. Belova, 1999.

mètres les environs, au sommet d’une déclivité courte et abrupte. Un mur reliant les différentes structures d’habitat tel que celui conservé au nord-ouest du site suffisait à fortifier ce côté.

Le site de Qutra a également pu avoir été fortifié même si les rares vestiges n’en apportent plus la preuve153. La seule indication concrète qui renforce cette hypothèse est le qualificatif de qasr employé par al-Hamdânî pour qualifier ce site, terme qu’il utilise pour qualifier des sites fortifiés plus petits que ce qu’il désigne par mahfad (ensemble fortifié de grandes demeures).

Le site de Hurayda ne présente aucune trace de fortification. La sédimentation ou l’érosion en ont-elles masqué les vestiges ou ce site n’était-il pas défendu ? Cette possible exception impose de nuancer la signification du terme hgr en fonction des langues sudarabiques, entendant par ce terme « une agglomération de structures domestiques fortifiée et de dimensions variables » dans les langues qatabânite, madhâbienne et sabéenne, et « une agglomération de structures domestiques fortifiée ou non et de dimensions variables » en hadramawtique, cette langue désignant par ce terme des habitats tantôt

fortifiés (Shabwa : hgrn S2bwt, Khawr Rûrî : hgrn S1mhrm, Hajar Ibn Humayd : hgr

dh(t)-Ghylm), tantôt couverts (Hurayda : hgrn Mdhb).

Quoi qu’il en soit, de cette interprétation découlent deux conséquences : le statut de ville ne peut être reconnu à n’importe quel site qualifié de hgr par les inscriptions ; le terme permet d’associer à un site une fonction défensive en dehors de la sphère linguistique hadramawtique. La présence d’un temple au moins dans ces localités est vraisemblable,

comme l’avance A. H. al-Sheiba154 ; la plupart des sites reconnus sur le terrain en

comportent au moins un ;l’absence de structure cultuelle reconnue parmi les vestiges d’un

site n’est en soi pas significative : ils ont pu échapper à l’attention des chercheurs. Leur présence n’est pas davantage un indice nous permettant de faire des hgr des pôles religieux, dans la mesure où l’omniprésence de l’architecture religieuse est l’une des caractéristiques de la civilisation sudarabique, quelle que soit la forme et les dimensions des habitats qui lui sont associés. Nous refusons par ailleurs d’associer aux sites qualifiés de hgr la présence de places de marché, comme l’entend A. H. al-Sheiba. Cette structure, difficilement reconnaissable sur le terrain, tient une place particulière, semble-t-il, notamment dans la

construction du pouvoir155. Rien ne permet d’en faire une composante régulière des sites

d’habitat sans en argumenter le propos. Ajoutons que le terme hgr intègre parfois une

153 Ch. Robin nous a aimablement signalé qu’au cours de la visite qu’il a effectué en 1978 et 1979 sur le site, il ne restait pratiquement plus rien de visible et que par conséquent, il était impossible de dire s’il y avait eu une enceinte. Il n’exclut pas la possibilité d’une ligne défensive au moyen d’un cercle de maisons accolées bien que cela n’ait pu être observé (communication personnelle).

154 A. H. al-Sheiba, 1988, p. 3.

155 Cette hypothèse a été développée dans un article à paraître (J. Schiettecatte, à paraître) ; cf. chap. « La ville sudarabique comme centre économique ».

notion territoriale, englobant le site d’habitat aggloméré et une partie du territoire qui en dépend156. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette spécificité qui semble évoluer dans le temps et dans l’espace157.

b - MSN‘T, ‘QBT et ‘RR : des sites à fonction défensive ?

Ces trois termes sudarabiques apparaissent dans les inscriptions pour désigner des sites fortifiés, généralement limités à une structure de type forteresse ou un château.

Le terme msn‘t (masna‘at) apparaît dans les inscriptions :

- CIH 541/21 : msn‘t Kdr ; la découverte du site du jabal Kadur nous permet de restituer le sens de forteresse ;

- Beeston Or Ant 1/1 : msn‘t-hmw dh-’s1lmn, « leur msn‘t dhû-Aslamân » ; le sens précis ne peut être établi ;

- al-Mi‘sâl 3/3 : w-msn‘tn Qrnt, « et la forteresse de Qarnat » ; dans cette inscription, le terme est distinct de celui de hgr ce qui nous laisse entrevoir un sens dépourvu de la notion d’habitat aggloméré et restreinte à celle de forteresse ;

- Ir 40/2-3 : (…) br’ w-hwthr w-hqs2bn w-hs2qrn w-thwbn msn‘t-hmw (3)T‘rmn kl ’byt-hw w-mhfdt-hw w-gn’-w-mhfdt-hw w-kryfy-w-mhfdt-hw, « (…) a édifié, posé les fondations, construit, achevé et rétabli la

citadelle (3)T‘rmn, avec toutes ses habitations, ses tours, son enceinte et ses deux

citernes »158. Cette inscription transforme sensiblement la signification du terme.

D’autant que ce toponyme T‘rmn est également mentionné comme hgrn T‘rmn (Ja 576/6). Pour reprendre les propos de Ch. Robin en marge de la traduction, « le même toponyme peut être qualifié de « citadelle » (msn‘t) et de « cité » (hgr) : il n’y a pas opposition entre ces termes ».

De ces quelques exemples159, il en ressort que le terme msn‘t désigne une « place

forte », que le site en question comporte un habitat aggloméré ou non. Si dans le champ lexical, il n’introduit pas de nuance de hiérarchie urbaine, il permet au moins d’associer aux sites ainsi qualifiés une fonction défensive.

Le terme ‘qbt (‘aqabat), quant à lui, est tantôt traduit par « fortification » dans RÉS 3958, tantôt par pente (hillslope), traduction qu’en fait A. Jamme dans l’inscription Ja 649/31, 36160. Le Dictionnaire sabéen propose de le traduire par « forteresse, bastion »161. Terme rarement employé, les diverses possibilités de traduction ne nous permettent pas d’associer de fonction précise aux toponymes qu’il accompagne.

156 Cette question a été soulevée par A. F. L. Beeston (1971), ainsi que par Ch. Robin à plusieurs reprises (1984, p. 184-85 ; 1987 a, p. 118).

157 Cf. chap. « Les tribus des Basses-Terres ont-elles un ancrage territorial ? ».

158 Traduction de Ch. Robin, 1987 a, p. 115.

159 On pourrait y ajouter les occurrences dans RÉS 3250/3-4, Ja 578/12, CIH 155/2 et CIH 353/14, elles n’apportent toutefois pas plus d’informations quant à la définition de l’acception du terme.

160 A. Jamme, 1962, p. 152.

Le troisième terme, ‘rr (‘urr), est plus difficile à interpréter. Il désigne tantôt une montagne, tantôt un édifice perché vraisemblablement fortifié, mais aussi, comme le

propose F. Bron, un habitat de montagne162. Le degré d’imprécision est encore une fois

élevé et empêche d’associer au toponyme ainsi qualifié quelque fonction que ce soit sans indication complémentaire permettant de préciser le sens sous-entendu par l’inscription.

De ces trois termes, seul msn‘t est donc susceptible de nous éclairer sur les fonctions défensives d’un établissement potentiellement urbain. Précisons que selon J. C. Biella ‘hr désignerait la « ville (fortifiée) » sur la base de la traduction de l’inscription CIH 67163.

Néanmoins, le Dictionnaire sabéen164 en fournit une traduction toute autre, le terme

‘hr désignant selon ses auteurs « les nobles ». Ce terme ne nous apportera pas d’information supplémentaire.