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Au regard de cette longue énumération, il est manifeste que les recherches archéologiques au Yémen, dans le Zufâr et dans le Sud saoudien sont récentes. Délaissée dans un premier temps au profit des civilisations du Nord et entravée par une conjoncture politique longtemps défavorable, l’exploration archéologique du Yémen n’a réellement pris son essor qu’à partir de 1975. L’avantage de cette recherche récente est qu’elle a bénéficié de l’apport des méthodes modernes (SIG, télédétection, etc.) et a intégré des problématiques peu abordées auparavant – notamment celles du paléo-environnement – à côté des analyses stratigraphiques et céramologiques plus classiques. Elle bénéficie par ailleurs d’une précision accrue dans ses calages chronologiques (malgré les problèmes de calibrage des datations isotopiques effectuées dans les années 1950-70).

Durant ces trente dernières années, les prospections ont été nombreuses et nous en avons mentionné un certain nombre. Toutefois, certaines régions restent dans l’ombre. La carte de répartition des 900 sites129 inventoriés (Fig. 26) permet de visualiser les zones peu reconnues (ou celles dont la prospection n’a été pas publiée) : ce sont principalement la région au nord du Jawf et la région de Sa‘da (les conflits tribaux y rendent toute exploration difficile, voire impossible depuis juin 2004), la bande côtière méridionale (à l’exception de la région de ‘Adan, des environs immédiats de Bi’r ‘Alî ou de la région de Sharma), les plateaux calcaires à l’est du Yémen, vastes et arides, et le Mahra dans leur prolongement. À côté de ces vides, on note une surabondance des sites en bordure du Ramlat as-Sab‘atayn ;

129 Malgré les difficultés à s’accorder sur une définition de la notion de site archéologique (cf. J.-P. Demoule, F. Giligny, A. Lehöerff & A. Schnapp, 2002, p. 158-159), nous désignons par site tout vestige ou groupe de vestiges mobiliers ou immobiliers repérés au sol ou dans le sous-sol ainsi que tout espace paysager modifié par une action anthropique (ex. : accumulations de limons d’origines anthropiques).

elle s’explique en partie par une préférence pour ces secteurs abritant des sites majeurs. À l’exclusion des sites de l’âge du bronze, les fouilles réalisées sur les Hautes-Terres se limitent par ailleurs le plus souvent à de petites opérations ponctuelles (al-Huqqa, Sirwâh-Arhab, Hasî, Kharibat al-Ahjur) et ne sont que rarement des opérations de grande ampleur (jabal al-‘Awd, Zafâr). Ceci est parfois dû au fait que l’occupation y a été continue depuis l’Antiquité et, qu’outre un remodelage permanent du tissu urbain, la présence de structures contemporaines y rend difficile des travaux extensifs.

Aux limites du terrain s’ajoutent celles de la bibliographie. Les données publiées sont abondantes et diverses, réparties entre des collections suivies (celles de IFPO, de l’IsMEO, du Deutsches Archäologisches Institut ou de l’Académie des inscriptions et belles-lettres par exemple) et nombre de périodiques. Ces données sont complétées par quelques travaux de synthèse sur la structure sociale de l’Arabie du Sud préislamique.

Néanmoins, dans une problématique urbaine, cette bibliographie n’est pas exempte de défauts, à commencer par une inégalité dans la documentation.

Celle-ci présente de nombreuses lacunes chronologiques : la période de transition entre âge du bronze et âge du fer reste mal connue à l’exception de la région côtière. Or, il semble que cette période soit celle de la fondation et du premier développement de ce qui deviendra un réseau urbain aux périodes suivantes. La période d’apparition des grandes entités politiques sudarabiques, de l’écriture et du commerce caravanier reste dans l’ombre. Les lacunes sont aussi d’ordre géographique. Nous avons mentionné les problèmes de méconnaissance de l’Est et du Nord-Ouest du Yémen. À cela enfin s’ajoutent les disparités chrono-géographiques : si l’âge du bronze est désormais bien connu dans les Hautes-Terres (Khawlân at-Tiyâl et la région de Dhamâr), il l’est beaucoup moins dans la partie méridionale et orientale du pays. De même, le Sudarabique ancien est une période documentée dans l’intérieur du pays mais nombre de points restent à éclairer pour une grande partie des Hautes-Terres et de la côte.

L’insuffisance de certaines données engendre un problème d’un autre ordre : l’absence de réactualisation régulière des références utilisées. Ainsi, la collection de référence céramique à la base de toute étude comparative reste celle de Hajar Ibn Humayd, établie il y a cinquante ans, complétée par de trop rares études telles que celles de Raybûn130, Shabwa131 ou Hajar ar-Rayhânî132.

Cette inégalité documentaire se manifeste sur un autre plan : la disproportion entre les données disponibles et l’importance des sites auxquels elles se rapportent. La documentation abonde sur le petit site du sha‘b al-‘Aql alors que rien ou presque n’est

130 A. V. Sedov, 1997 a.

131 L. Badre, 1991.

connu de Ma’rib intra-muros, la principale ville d’Arabie méridionale au Ier millénaire av. J.-C. Cette limite est inhérente au contexte géopolitique du pays et à la marge de manœuvre dont disposent les chercheurs. Pour des raisons identiques, un déséquilibre dans le traitement de certains sites est préjudiciable. L’impossibilité d’y mener des fouilles ou le choix d’orientations privilégiant le monumental ont amené les archéologues à tendre vers l’étude de structures extra-muros (à as-Sawdâ’ ou Ma’rib notamment). En revanche, la partie intra-muros de ces sites reste un mystère. Beaucoup de villes majeures et de capitales antiques ne sont connues qu’à travers les données épigraphiques en raison d’un contexte qui n’a jamais permis d’y mener une fouille.

Si l’on se focalise sur la question urbaine enfin, la dernière critique est double : - une critique inhérente aux problèmes que l’on vient d’évoquer : rares sont les fouilles extensives et les publications de plans exploitables dans une étude urbanistique. Les seuls plans utilisables sont le plus souvent ceux de sites « lisibles » en surface, très rarement ceux de sites fouillés ou prospectés par électromagnétisme : les grands sites de Hinû az-Zurayr, Bi’r ‘Alî, Najrân, Shabwa, Khawr Rûrî, Makaynûn, Raybûn, Sirwâh-Khawlân, ou les sites plus petits tels que Hajar Khamûma, Hajar Surbân 1, Hajar as-Safrâ’, Hajar Zâlimayn ou Qârat Kibda133.

- par ailleurs, les sondages profonds permettant de connaître la chronologie des principaux sites depuis leur fondation sont tout aussi exceptionnels. L’exploitation de coupes provoquées par l’érosion ou la réalisation de sondages profonds ont été publiées pour les sites de Hajar Ibn Humayd, Hajar Kuhlân, Hajar am-Dhaybiyya, Hajar ar-Rayhânî, Makaynûn, Najrân, Shabwa, Yalâ, auxquelles ils faut ajouter la publication des séquences céramiques de Bi’r ‘Alî, Khawr Rûrî et Raybûn.

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Ce chapitre nous a permis de présenter les différents types de données disponibles pour une étude du fait urbain en Arabie du Sud. Elles sont géographiques, géologiques, climatiques, hydrologiques, épigraphiques, littéraires, enfin et surtout archéologiques. Ces dernières seront essentielles dans notre propos mais ne pourront faire cavalier seul.

Tout au long de cette étude, il nous faudra jongler, nous l’avons vu, avec des déséquilibres dans la nature des données, avec la combinaison ou la confrontation des données épigraphiques, littéraires et archéologiques, mais aussi avec les lacunes documentaires. Cette contrainte impose de garder à l’esprit ce déséquilibre permanent des

133 Nous excluons de la liste les tracés de remparts publiés par J.-F. Breton (1994 a) qui ne fournissent que des indications de superficie et des données architecturales défensives.

données lorsque l’on tentera de définir les hiérarchies urbaines et les phénomènes d’attraction à l’échelle de l’Arabie du Sud.

La présentation succincte de ces données laisse peut-être l’impression d’un corpus indigent. Il n’en est rien. La discipline aujourd’hui présentée sous le terme de

« sabéologie »134, ou « Sabaic studies »135, est certes récente mais a accumulé quantité

d’informations dont il convient désormais de faire la synthèse. Cette nouvelle étape est marquée par un renouveau de la production écrite durant ces dix dernières années, avec la

constitution de nouveaux corpus épigraphiques136 et bibliographiques137, la parution de

plusieurs catalogues faisant, à travers la présentation d’une exposition itinérante, l’état de la

recherche de ces cinquante dernières années138, la rédaction d’ouvrages de synthèse

généraux139 ou thématiques140. C’est dans cet élan que nous tentons de placer notre étude.

134 Ch. Robin, 1996 b, p. 1.

135 Y. M. ‘Abdallah, 2003, p. 17.

136 Ce sont, par exemple, les sept tomes de l’Inventaire des inscriptions sudarabiques publiés sous l’égide de l’Académie des inscriptions et belles-lettres de Paris et l’Istituto Italiano per l’Africa e l’Oriente de Rome, ou les trois premiers numéros du Corpus of South Arabian Inscriptions édités en 2004 par A. Avanzini.

137 W. W. Müller, 2001.

138 Le catalogue de l’exposition qui s’est tenue en France en 1997-98 est édité par Ch. Robin & B. Vogt (1997).

139 A. de Maigret, 1996.

140 Ce sont, pour l’architecture défensive, l’ouvrage de J.-F. Breton (1994 a) ou, pour la statuaire en pierre, l’ouvrage de S. Antonini (2001) par exemple.