• Aucun résultat trouvé

« Les hauts revenus »

Dans le document Rapport annuel sur l’état de la France (Page 175-178)

S’il existe bien des raisons objectives à ce qu’une grande majorité de Français ressente une stagnation de leur pouvoir d’achat, voire une baisse pour une partie non négligeable d’entre eux, s’ajoute dans leur perception des évolutions de revenus un sentiment de déclassement qui tient, autant qu’à leur situation propre, au fait qu’une partie des ménages échappe à la rigueur des conséquences de la crise. Qu’un Français devienne, avec 41 mds $, 4e sur la liste des milliardaires du monde telle que publiée par le magazine américain Forbes et que les entreprises du CAC 40 distribuent à nouveau 40 mds € de dividendes en 2011, soit le même niveau qu’en 2007 et 2008, contribuent évidemment à cette perception. Ce ne sont pourtant que les signes les plus visibles d’un phénomène plus profond qui concourt à l’injustice ressentie par la plupart des ménages, en particulier du fait d’une fiscalité des plus avantageuses.

Comme toujours en matière de revenus, on ne dispose que de peu de données sur les années récentes. Nous avons vu néanmoins, au travers des chiffres de la comptabilité nationale, qu’entre 2005 et 2008, la progression des niveaux de vie des 10 % des revenus les plus élevés était beaucoup plus forte que celle des autres déciles. Des travaux plus approfondis menés récemment apportent un éclairage précieux sur un mouvement dont rien n’indique qu’il ait pu s’infléchir depuis, au contraire.

Amorcées par le chercheur Camille Landais45 et prolongées par ceux de l’Insee46 et du Conseil des prélèvements obligatoires47, ces études se sont employées d’abord à mieux cerner la distribution des très hauts revenus qui se résumait en 2007 selon le schéma de l’Insee ci-dessous. (Rappelons qu’un décile - 10 % - correspond à environ 6 millions de personnes.

Les « très aisés » et les « plus aisés », selon les dénominations de l’Insee, représentent donc environ 60 000 personnes).

44 Impact des ajustements de qualité dans le calcul de l’indice des prix à la consommation, Dominique Guédès, mai 2004.

45 Landais 2008, Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités ?, 2008

46 Les très hauts revenus : des différences de plus en plus marquées entre 2004 et 2007, Julie Solard, Insee, 2010.

47 Rapport 2011 du Conseil des prélèvements obligatoires, Prélèvements obligatoires sur les ménages : progressivité et effets redistributifs.

Graphique 63 : distribution des hauts revenus en France (2007)

Source : Insee.

L’Insee observe par ailleurs que les 10 % de personnes ayant les revenus les plus élevés reçoivent près des deux tiers des revenus du patrimoine et quatre cinquièmes des revenus exceptionnels (principalement les plus-values). De manière générale, plus les revenus augmentent, plus la part des revenus non salariaux s’accroît.

Ces trois études convergent pour confirmer que « les revenus moyens des très hauts revenus ont augmenté plus rapidement que ceux de l’ensemble de la population. Le nombre de personnes franchissant des seuils symboliques de revenus annuels s’est également accru, d’où une augmentation notable des inégalités par le haut ».

Graphique 64 : évolution du revenu réel moyen en France

Source : Landais 2008, Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités ?

L’Insee a calculé par ailleurs que la part des revenus détenue par les ménages les plus aisés avait progressé de 26 % entre 2004 et 2007 alors que celle des ménages des 9 premiers déciles se réduisait de 1 %.

Mais que fait la fiscalité ?

Ce que l’Insee lui-même n’a pas hésité à qualifier de « véritable explosion » des hauts revenus aurait dû, en toute logique, trouver sa compensation en termes de rentrées fiscales.

Si deux des trois seuls impôts progressifs sont loin de faire consensus (droits de succession et ISF), il est en général admis par une large majorité que l’impôt sur le revenu, même si certains en souhaitent la rénovation des principes, devrait jouer ce rôle de redistribution.

En 2009, le CESE s’était d’ailleurs prononcé à l’unanimité en faveur d’une « évolution des prélèvements obligatoires conforme à la justice sociale et confortant donc leur progressivité, pouvant passer notamment par la création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu »48. Plus fondamentalement, en 2010, dans l’avis Budgets publics (État et collectivités locales) : contribuables et citoyens rapporté par Philippe Valletoux, le CESE soulignait la nécessité de repenser l’intégralité du système fiscal, car « il en va du plein consentement à l’impôt, au terme d’un «pacte fiscal citoyen «, fondement financier du contrat social de notre République ». Il estimait que « le niveau et la structure des prélèvements obligatoires doivent être évalués selon un triple enjeu : l’efficacité, l’équité et la simplicité ».

Or, les revenus les plus élevés sont au contraire soumis à un prélèvement moindre ! C’est ce qui ressort des travaux menés par Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez49.

Graphique 65 : répartition des impôts par catégories de contribuables

Source : Alternatives économiques, février 2011 (cf. renvoi).

Un constat que partage le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2011 déjà cité :

48 La Conjoncture économique et sociale en 2009, rapporteur Pierre Duharcourt.

49 Pour une révolution fiscale, Piketty, Landais et Saez, La République des idées, Seuil, 2010.

Tableau 34 : répartition des contribuables

Source : CPO, données DGFIP, 6ème émission.

Contrairement à l’idée commune, ce ne sont pas les niches fiscales qui expliquent ce phénomène, du moins pas celles qui sont officiellement recensées chaque année dans l’annexe « Voies et moyens » de la Loi de finances. La plupart d’entre elles sont en effet plafonnées et les revenus les plus élevés en tirent proportionnellement moins profit que les revenus du dernier quartile. Deux raisons majeures expliquent la faiblesse du taux de prélèvement et sa dégressivité sur le dernier centile de revenu : les baisses du barème intervenues depuis une quinzaine d’années et les dispositions concernant les revenus de capitaux.

Dans le document Rapport annuel sur l’état de la France (Page 175-178)