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C HAPITRE DEUX : RÉÉCRITURES MODERNES DU MYTHE D ’Œ DIPE

« L’art accomplit et ruine tout ce qu’il touche »

Alain Robbe-Grillet

« Je veux avaler tel quel tout le chaos du monde, et écrire un grand roman de synthèse pour y suggérer […] une direction concrète. C’est mon plus grand désir d’écrivain. »

Haruki Murakami

RÉÉCRITURES : TRANSPOSITION DU MYTHE

Selon Lubomír Dolezel, théoricien des mondes fictifs, la réécriture (et à travers elle la reprise d’éléments issus d’univers fictifs préexistants) est une stratégie de création privilégiée par les écrivains de la postmodernité. La réécriture présente trois modes d’exploration de l’écriture qui « redessine[nt], relocalise[nt], réévalue[nt] le protomonde classique121. Sans doute, cette refonte

est motivée par des facteurs politiques, au sens large et postmoderne de la “politique122123. »

Cette opération est au cœur des romans à l’étude, comme nous l’avons montré grâce à ce que Jean-Jacques Wunenburger appelle respectivement la réécriture baroque et le bricolage mythique, qui nous permettent d’observer les effets de sens qui se dégagent de la réécriture. Dolezel renforce et approfondit ce que le système de Wunenburger présentait succinctement en offrant une explication cette fois ontologique. Même si les romans de Robbe-Grillet et Murakami se donnent deux textes fondateurs (selon la terminologie de Siganos), l’Œdipe roi de Sophocle et l’analyse freudienne du complexe d’Œdipe, il n’y a pourtant qu’un seul protomonde canonique à l’œuvre dans leurs œuvres respectives. Il en va ainsi puisqu’il n’y a pas création de monde fictif

121 C’est-à-dire un monde fictif construit dans un texte qui est à l’origine des réécritures qui s’ensuivent. 122 Dolezel se réfère à la définition par Linda Hutcheon de la politique :

« The politics of gender, race, class, ethnicity, and sexual preference, to mention the most obvious. »

« Les politiques de genre, de race, de classe, d’ethnie, et de préférences sexuelles, pour ne mentionner que les plus évidentes. » Notre traduction.

Tiré de : « The politics of Impossible Worlds » dans Calin-Andrei Mihailescu et Walid Hamarneh [dir.], Fiction

updated : Theories of Fictionality, Narratology, and Poetics, Toronto & Buffalo, University of Toronto Press (coll.

Theory/culture series), 1996, p. 213.

123 La réécriture « redesign, relocate, reevaluate the classic protoworld. Undoubtedly, this remaking is motivated by

political factors, in the wide, postmodernistic sense of “politics”. » Lubomír Dolezel, Heterocosmica : Fiction and

dans la théorie de Freud, qui est essentiellement basée sur des notions théoriques (même si elles sont établies sur une interprétation du monde fictif d’Œdipe roi). Alors qu’une analyse des textes d’accueil à travers le système de Wunenburger permet d’éclaircir le sens de la réécriture, le système de Dolezel se focalise cette fois sur le passage du référent fictif d’un texte à son nouveau contexte, ce qui enrichit, à notre avis, la portée de notre analyse. Murakami et Robbe-Grillet créent des œuvres fictionnelles : ils élaborent donc, comme Sophocle, des mondes fictifs (tributaires de l’univers fictif d’Œdipe roi). Ils intègrent aussi, dans le cadre du monde successeur qu’ils élaborent, des éléments issus de la psychanalyse réinvestis d’une charge nouvelle, au moyen du passage à la fiction. Il reste à se demander à laquelle des modalités décrites par Dolezel (transposition, expansion et déplacement) les deux romans se rattachent.

D’emblée, nous pouvons écarter l’expansion de notre analyse, car elle se définit par « [une expansion de] la portée du protomonde, en remplissant ses blancs, en construisant sa préhistoire, sa posthistoire, etc. Le protomonde et son successeur sont complémentaires. Le protomonde est inséré dans un nouveau co-texte, et la structure établie est ainsi modifiée.124 »

Œdipe à Colone est un bon exemple de l’expansion. Cette pièce, aussi composée par Sophocle, a

pour sujet les derniers moments de la vie d’Œdipe, des années après les événements qui l’ont mené à s’aveugler. L’ancien monarque, désormais pauvre vieillard aveugle guidé par sa fille Antigone, trouve refuge à Colone. Il y connaît une mort surnaturelle, d’ordre presque divin, qui fait de lui un protecteur de la ville d’Athènes. Œdipe sur la route d’Henry Bauchau en est un autre exemple : son intrigue prend place lors du voyage qui a lieu entre les deux pièces de Sophocle, soit dans le parcours qui mène Œdipe et Antigone vers Athènes. Les romans de Murakami et de Robbe-Grillet effectuent plutôt, comme nous avons pu l’expliquer avec la réécriture baroque, une reprise de la trame générale de l’intrigue dans un nouveau contexte, cette fois moderne, ce qui correspond à la définition de la transposition : « La transposition préserve le schéma et l'histoire principale du protomonde tout en le réinsérant dans un cadre temporel ou spatial différent. Le protomonde et le monde successeur sont parallèles, mais la réécriture met à l'épreuve la topicalité

124 « [an extension of] the scope of the protoworld, by filling its gaps, constructing a prehistory or protohistory, and

so on. The protoworld and its successor world are complementary. The protoworld is put into a new co-text, and the established structure is thus shifted. » Lubomír Dolezel, op. cit., p. 206. Traduit par Richard Saint-Gelais dans

Ambitions et limites de la sémantique de la fiction, [En ligne]. http://www.fabula.org/revue/cr/122.php [site consulté le

de l'œuvre canonique en la plaçant dans un nouveau contexte historique, politique et culturel, souvent contemporain.125 »

Les Gommes et Kafka sur le rivage conservent plusieurs éléments cruciaux de la trame de

leur protomonde afin de la réinsérer dans un contexte nouveau, étranger. L’entreprise de Robbe- Grillet, qui selon plusieurs critiques vise à discréditer ses textes fondateurs, nous mène à envisager la possibilité que le roman puisse aussi relever du dernier mode répertorié par Dolezel. Il nous paraît tout aussi opérant dans le cadre de ce roman que la transposition (tout comme le roman jumelle d’ailleurs un usage balancé du bricolage mythique et de la réécriture baroque). Cette catégorie, le déplacement, correspond aux cas les plus extrêmes de réécriture. Selon Dolezel, le déplacement « construit une version essentiellement différente du protomonde, en réélaborant sa structure et en réinventant l'histoire qui s'y déroulait. De telles réécritures postmodernistes, les plus radicales, créent des antimondes polémiques, qui sapent ou qui nient la légitimité du protomonde canonique126. » Le roman Les Gommes se situe entre la transposition

et le déplacement : il teste les limites du protomonde canonique par de multiples tentatives de destruction de ce que l’auteur lui-même appelle « la sacro-sainte analyse psychologique127 » ; or il

le fait en réinsérant la trame narrative du texte fondateur en un nouveau contexte, combinant ainsi deux modes de réécriture répertoriés par Dolezel.

Murakami opère de façon plus modérée ses changements, dans le sens où il ne tente pas de décrédibiliser la source de ses influences. Il transpose l’univers fictif provenant du protomonde canonique dans un Japon visiblement contemporain, teinté par du réalisme magique. Selon Strecher, ce contexte particulier « est utilisé comme outil afin de retrouver une impression hautement individualisée d'identité personnelle en chaque personnage128 […] ».

Pourtant, si plusieurs éléments reconduisent et sauvegardent certains traits issus du protomonde canonique, le monde successeur élaboré dans Kafka sur le rivage pousse suffisamment loin les

125 « […] transposition preserves the design and the main story of the protoworld but locates them in a different

temporal or spatial setting, or both. The protoworld and the successor world are parallel, but the rewrite tests the topicality of the canonical world by placing it in a new, usually contemporary, historical, political, and cultural context » Lubomír Dolezel, op. cit., p. 206. Traduction de Richard Saint-Gelais, op. cit.

126 « […] constructs an essentially different version of the protoworld, redesigning its structure and reinventing its

story. These most radical postmodernist rewrites create polemical antiworlds, wich undermine or negate the legitimacy of the canonical protoworld. »Lubomír Dolezel, op. cit., p. 207. Traduction de Richard Saint-Gelais, op. cit.

127 Alain Robbe-Grillet, « Une voie pour le roman futur – 1956 », dans Pour un Nouveau Roman, Paris, Éditions de

Minuit (coll. Double), 2013, p. 17.

128« […] is used as a tool to seek a highly individualized, personal sense of identity in each person . » Matthew C.

Strecher, « Magical Realism and the Search for Identity in the Fiction of Murakami Haruki », dans Journal of

transformations de la structure de l’univers fictif d’Œdipe roi pour que nous les associons au déplacement tel que théorisé par Dolezel129. Dans les deux romans étudiés, la transposition et le

déplacement des éléments mythiques dans un univers moderne perturbe la nature et les relations des éléments issus de la tragédie antique de Sophocle. Les récits des romans mettent en place un contexte propice àune création à la fois hybride et originale, forte de ce remaniement du contexte de l’intrigue, ce que nous tenterons désormais d’expliciter.

LA TRANSPOSITION OU LE DÉPLACEMENTDANS LES GOMMES

L’intrigue des Gommes se déroule lors d’une froide journée d’automne, dans une ville anonyme du nord de l’Europe traversée par un canal qui mène à l’océan. Cette ville, qualifiée de « calme130 », « triste131 » sans toutefois être « ennuyeuse132 » est vivifiée par sa proximité avec la

mer, qui « [aère] les esprits133 ». Sous le couvert d’une ville sans intérêt qui n’est « […] troublé[e]

que par l’armée des bicyclettes qui se rend au travail134 », le lecteur réalise rapidement que celle-

ci est beaucoup moins anodine que le texte semble initialement le suggérer. Bruce Morrissette vient souligner l’aspect étrange de la ville :

Le prologue s’ouvre à 6 heures du matin le mardi 27 octobre au café des Alliés, rue des Arpenteurs (noter le thème du parcours et du jalonnement, faisant écho à l’arpenteur du Château de Kafka) juste en lisière du boulevard Circulaire qui entoure une ville d’atmosphère flamande, un dédale d’artères droites ou courbes coupées de canaux, bordées de façades sévères, identiques […]. Tout, des ponts-bascules aux places, aux fontaines et aux statues, revêt un aspect à la fois conventionnel et inquiétant.135

C’est dans cette ville qu’a lieu l’assassinat supposé de Daniel Dupont, déclenchant une série d’imbroglios qui mènent paradoxalement à sa mort ; Wallas, on le rappelle, est chargé d’enquêter sur ce simulacre de meurtre qu’il finira par commettre par accident. Or cette ville, si ordinaire puisse-t-elle sembler, n’est pas que le simple théâtre d’une série d’événements étranges. Par la toponymie des rues, par les statues ou les broderies sur les rideaux, comme nous l’avons

129 Nous verrons comment sous peu. 130 LG, p. 22.

131 LG, p. 21. 132 Idem. 133 Idem. 134 LG, p. 22.

précédemment expliqué, le récit comporte toutes les indications qui mènent à identifier le texte comme une réécriture de la tragédie de Sophocle. Or, ces indications, plutôt que de constituer des indices éclairants sur la progression du récit ou sur la résolution de l’intrigue, vont plutôt exposer une réalité énigmatique, difficile à interpréter. Elles soulèvent du même coup une nouvelle série d’ambiguïtés qui témoignent à la fois de la transposition et du déplacement du protomonde canonique. Prenons, afin de mieux comprendre, le cas de la rue de Corinthe et celui de la photographie des ruines de Thèbes, qui à notre avis sont révélateurs de la position qu’adopte Robbe-Grillet face aux éléments mythiques de son récit.

TRANSPOSITION/DÉPLACEMENT DE CORINTHE

Corinthe est une des cités grecques les plus anciennes et les plus puissantes. Dans la version antique du mythe, c’est la cité où Œdipe, après avoir été abandonné par ses véritables parents sur le mont Cithéron136 pour y mourir, est ensuite recueilli et sauvé par des bergers qui

l’y amènent. Il grandit en paix auprès de ses parents adoptifs, Polybe et Mérope, souverains de cette cité. On retrouve une mention de la Corinthe légendaire dans Les Gommes. Daniel Dupont, après avoir survécu à la tentative d’assassinat de Garinati, cherche asile chez son ami le docteur Juard, dans l’enceinte de sa clinique de gynécologie et d’obstétrique137. Cette clinique a pignon

sur la rue de Corinthe, ce qui, de toute évidence, paraît s’harmoniser avec la vocation du médecin d’assister les femmes qui enfantent. D’une certaine façon, elles sont toutes deux synonymes de vie et de protection, Corinthe étant la grande salvatrice du héros antique. Pourtant, à partir de sous-entendus, l’on peut d’ores et déjà repérer une permutation actantielle par rapport au mythe antique. Dans Les Gommes, Corinthe n’accueille pas l’enfant Œdipe, mais Dupont en fuite. Or Dupont, on le verra, est la possible contrepartie dans Les Gommes du père d’Œdipe, Laïos. Ce n’est donc pas l’alter ego d’Œdipe dans ce roman qui tente d’échapper à son destin, mais bien celui de Laïos (en Dupont). Il trouve donc refuge sur la rue de Corinthe chez son ami Juard, le médecin, qui est prêt à mentir sur l’acte de décès de Dupont afin de le protéger d’une nouvelle tentative d’assassinat.

136 Cette montagne est située dans les environs de Thèbes. 137 LG, p. 115.

Or, si la clinique sert de lieu sûr pour Daniel Dupont comme la ville de Corinthe a protégé l’enfant Œdipe, le lecteur réalise, s’il repère certains indices discrets, que cette clinique et son médecin ne sont pas vraiment ce que les apparences laissent croire. Au fur et à mesure que le récit progresse, la réputation du docteur Juard paraît de moins en moins limpide : on apprendra plus tard que sa clinique fait l’objet de rumeurs concernant les avortements illégaux qui y seraient effectués. Wallas s’y rend pour demander des détails sur la mort de Dupont. Il n’y trouve qu’une infirmière. Wallas, étranger dans cette ville, ne connaît pas les rumeurs qui circulent à propos du médecin et de sa pratique. Or, à sa sortie de la clinique, il demeure en lui une étrange impression suite à la discussion avec l’infirmière, qui corrobore le sentiment de méfiance du lecteur : « C’est à ce moment qu’il s’est aperçu que, depuis près d’une demi-heure, son esprit avait été uniquement occupé par la mine et le ton de l’infirmière : polis, mais comme remplis de sous-entendus. Elle avait presque l’air de supposer qu’il était à la recherche d’un médecin complaisant – pour Dieu sait quelle besogne138. » C’est Anna Smite, la gouvernante de

Dupont, qui va révéler à Wallas – et au lecteur – la véritable vocation du docteur Juard. Elle va d’abord l’accuser de meurtre : « Du reste, tout le monde sait que c’est un assassin ; vous n’avez qu’à demander à n’importe qui dans la rue139 », pour ensuite le qualifier, quelques pages plus tard,

de « faiseur d’anges140 ». Le lecteur découvre à ce moment que la clinique de gynécologie Juard,

sur la rue de Corinthe, est soupçonnée par plusieurs de procéder à des avortements illégaux. On assiste à travers cet épisode à un procédé d’inversion des valeurs symboliques141 par rapport au

mythe : les attentes du lecteur se voient bouleversées par le traitement qu’en fait Robbe-Grillet. Quand les apparences laissent croire à une similarité entre la clinique de naissances du docteur Juard, qui ne peut vraisemblablement pas être située par hasard sur la rue de Corinthe, et la cité grecque du même nom, Robbe-Grillet vient ébranler les fondations de cette analogie. Cité d’adoption, voire cité maternelle pour Œdipe dans la version antique, Corinthe devient, par le processus de transposition, synonyme de mort, de corruption, d’immoralité à travers les pratiques du médecin.

Pourtant, il faut le mentionner, cet épisode constitue l’un des rares évènements des

Gommes que l’on peut interpréter de manière aussi limpide par rapport à l’héritage mythologique

138 LG, p. 106. 139 LG, p. 113. 140 LG, p. 116.

141 Nous faisons ici référence à l’expression qu’emploie Laurent Jenny dans « La stratégie de la forme », dans

du texte. Pour Jean Alter, « […] il s’agit au reste d’un détail sans influence sur la tonalité du roman142 », tandis que pour nous, il est plutôt à l’origine d’une intuition selon laquelle Robbe-

Grillet tenterait de déconstruire le mythe en inversant ses valeurs. Il nous semble que l’épisode de la rue de Corinthe ait échappé à la vigilance de Robbe-Grillet, car cet épisode jure face au traitement général que l’écrivain réserve au mythe grec, qui s’apparente davantage à ce qu’Olga Bernal a identifié dans son ouvrage intitulé Alain Robbe-Grillet ou le roman de l’absence. Selon l’étude de cette dernière, l’objectif derrière la transposition robbe-grilletienne du mythe dans un contexte moderne était « […] [d’en détruire] pas à pas les points de repère, [d’en démanteler] les jalons familiers parce qu’ils étaient les coordonnées de rien, parce que l’ordre, l’“ensemble glorieux” auquel ils renvoyaient n’existe pas […]143 ». Toutefois, dans cette péripétie, il y a renversement,

ce qui, selon nous, est encore une façon de percevoir le mythe comme significatif et pertinent, car subvertir, c’est encore reconduire. Or, si l’épisode de la rue de Corinthe demeure bel et bien la coordonnée de « quelque chose », pour reprendre la terminologie de Bernal, la stratégie de destruction des points de repères qu’elle évoque s’avère, à notre avis, généralisée partout ailleurs dans le roman. Elle a comme première conséquence de rendre presque impossible l’interprétation de la symbolique mythique dans le texte. La récurrence des allusions aux ruines de Thèbes joue un rôle particulièrement éloquent et représentatif de la nébulosité caractérisant le traitement général du mythe d’Œdipe dans le roman. Nous nous livrons donc à un examen plus en profondeur de cet épisode.

TRANSPOSITION/DÉPLACEMENT DE THÈBES

Thèbes, nous le savons, est la cité qui a vu naître Œdipe, celle-là aussi qui le couronne pour avoir résolu l’énigme du Sphinx. C’est la ville qu’Apollon maudit parce qu’Œdipe a épousé à son insu sa mère biologique. Par la répétition des évocations de cette cité, le processus de transposition du mythe se fait apparent dans Les Gommes. Aussi ostensibles soient-elles, les références à Thèbes, bien qu’elles affilient la quête de Wallas à celle d’Œdipe, plongent le protagoniste dans l’incertitude, car elles sont liées de près à la mission saugrenue qu’il effectue parallèlement à son travail d’enquêteur, celle de trouver la gomme à effacer parfaite, une

142 Idem.

« gomme douce, légère, friable, que l’écrasement ne déforme pas mais réduit en poussière144 ».

Cette quête fait en sorte qu’il fréquente à plusieurs reprises la papeterie Victor-Hugo. La vitrine du commerce met en scène un décor bien particulier :

Un mannequin, vêtu d’une salopette toute maculée de peinture et dont le visage disparaît sous une vaste barbe “à la bohême”, est en plein travail devant son chevalet ; […] il met la dernière main à un paysage au crayon d’une grande finesse – qui doit être en réalité quelque copie de maître. C’est une colline où s’élèvent, au milieu des cyprès, les ruines d’un temple grec ; au premier plan, des fragments de colonnes gisent çà et là ; au loin, dans la vallée, apparaît une ville entière avec ses arcs de triomphe et ses palais – traités, malgré la distance et l’entassement des constructions, avec un rare souci de détail. Mais devant l’homme, au lieu de la campagne hellénique, se dresse en guise de décor un immense tirage photographique d’un carrefour de ville, au vingtième siècle. La qualité de cette image et sa disposition habile confèrent au panorama une réalité d’autant plus frappante qu’il est lanégation du dessin censé le reproduire ; et tout à coup Wallas reconnaît l’endroit : ce pavillon entouré de grands immeubles, cette grille de fer, cette haie de fusains, c’est l’hôtel particulier qui fait l’angle de la rue des Arpenteurs. Évidemment.145.

Le premier élément qui retient l’attention dans la description de la scène, vue à travers les yeux