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Autres phénomènes remarquables concernant les voyelles :

1. Le groupe nominal

a.Emploi des pronoms.

- Systématiquement, on rencontre le régime anaphorique à la place du réfléchi : Lam 1863 cescuns le puet en li sentir, Mon 999 par li mortifÿer…

- Le pronom sujet alterne avec la forme forte du complément en emploi prédicatif : Lam 1048 ty et autrui, Lam 1256 tu, ti enfant et te maisnie.

- Devant un infinitif apparaît normalement le pronom tonique : Lam 256 de my mettre en religïon, Med 236 mi pourpenser, Med 44 mi embourer.

- Leur est employé une fois en fonction de complément direct : Mon 94 volentiers leur aidoient.

- Avec l’impératif affirmatif, quand le pronom est postposé, il est généralement atone ; c’est un trait picard (Gossen, § 81) : Lam 959 voille me aidier. Quand il est tonique, c’est sous l’influence du francien et c’est la forme moi qui apparaît : Or I 46 Deffent moi, Or I 67 Fai moi . On ne rencontre jamais mi dans cette position.

b.Ordre des pronoms : quand il y a succession de deux pronoms régime, le complément direct précède le complément indirect, contrairement à l’habitude moderne (Gossen, § 81). On ne rencontre pas l’ordre inverse : Mon 243 le t’otte, Lam 935 qui le t’ait ottrÿet, Lam 1691 De lonc temps le m’avés prestet, Mon 358 je le vous di de voir…

- Noms ou pronoms entraînant une référence au pluriel :

- Noms génériques à valeur collective : ils entraînent un accord au pluriel du verbe, ou des références au pluriel.

Prol 474-475 : De sen peuple toudis avoir leurs boins corages ; / Grasses et dons lor fache(…)

- Pronoms indéfinis : l’accord peut être au singulier, mais suivi d’une reprise par un pronom complément pluriel.

Mon 929-931 : Cescuns qui sages est doit moult bien ascouter / Q’an dist dou jugement darrain, se doit doubter / Que peckiés ne les fache hors des eslieus bouter.

- Préposition :

La préposition est parfois mise en facteur commun, Mon 141 : Mestier avons del ayr et parens visiter.

2. Le verbe

- Accords :

- accord au pluriel avec un nom singulier à valeur collective : Or IV 23, 24 : Dou peule vos prenge pités / Qui ensi vont ore morant

- accord au pluriel avec une énumération de sujets singuliers, en contexte négatif :

Et 203 : Nuls princes, nuls prelas, nulle personne quelle que elle fust ne mangoient en nul liu car (…)

- accord au singulier avec plusieurs sujets coordonnés : Mon 303 Car Dieus, et sains Benois, conseil y mettera

- Emplois des modes :

Certains verbes sont suivis de l’indicatif là où l’on attendrait un subjonctif : Ordonner que + indicatif, Non 13-14 : Li sainte Trinités soutieument ordonna / Que Dieus li Fiulz en vous nuef mois s’emprisonna. On peut penser ici que la phrase se rapportant à la Bible, « qui ne ment », l’aspect historique a pris le pas sur la nuance jussive du verbe.

Au contraire, on rencontre croire + subjonctif : Mon 160 Je croi que sains Benois souvent a Dieu s’en plaigne.

- Les modes non personnels :

a. Formes en ant.

- emploi absolu : dans une structure rappelant les ablatifs absolus latins, on rencontre des séquences sujet + forme en –ant autonomes :

Lam 556 mien ensïant

Mon 1271 Ains voelt que cescuns cuers l’autre taisant hors die Non 268 : Les drois chou deffendans soutieument aveulissent Et 339 : comment non contrestant le appel

- périphrases modales :

La plus fréquente est aler + forme en –ant. Elle porte en principe un aspect duratif : Mon 173-176 : (…) cest siecle puant / Qui va de jour en jour les corages muant, /Les boines consciences de virtus denuant, / Et tous religïeus moult griefment argüant.

Mais très souvent la périphrase est un simple substitut du verbe employé seul, probablement pour des raisons métriques :

OM 54 ne fu mie celans, OM 497 me vois apercevant , OM 498 vont les mos recevant…

b. Infinitifs

-Périphrases verbales :

Faire a, fréquent et assez difficile à traduire, signifie « doit être », « est digne d’être » : Mon 461 : Orgieulz est uns peckiés qui moult fait a doubter

Mon 906 : Sentense dou vrai juge forment fait a cremir Non 163 : Car moult fait a cremir des anemis li tempte

Dans un texte de toute évidence marqué par les latinismes, on trouve d’authentiques propositions infinitives avec un « sujet » de l’infinitif exprimé et postposé :

Lam 1340, avec une relative substantive en fonction de sujet de l’infinitif : Chou k’en escrit pewisse mettre / Pour lire chiaus qui sevent lettre

Mon 882-883 : Car vous avés souffiert et lonc temps enduret / Pulluler les grans visces Non 546 : Certes, c’est grans honneurs de tenir ses promesses, / D’obeïr les subgis as abbés, as abbesses (…)

Il peut y avoir double construction de l’infinitif, ici avec préposition puis en proposition infinitive appelée par doinst :

Mon 7-8 : Et de nuit et de jour songneusement prÿer / Que se grasce nous doinst de nous ensonnÿer, / Cescuns se conscïence tous les jours naitÿer (…)

c. Participe passé.

On note quelques emplois absolus :

Non 31 : Dou Saint Espir conchut, onques riens ne sonna Non 165 : Toute stabilitet promise bien tenissent

3. La phrase

a. Pronoms pléonastiques :

Surprenante à la lecture, l’ habitude d’annoncer par un pronom une proposition ou un groupe nominal a pu être motivée en partie par les conditions de composition de l’œuvre : si le texte était dicté, elle permettait de garder en mémoire la structure de la phrase. Il reste que l’on se trouve devant des redites parfois déroutantes, surtout quand un pronom singulier annonce un sujet pluriel. On passera en revue les modes de prolepses les plus fréquents.

Lam 1710-1711 Si double moult qu’il ne m’espautre / Chou que j’ay en men coer celet Lam 1850- 1851 : On pecke en sen corps et en Dieu / Qui en visces carneuls s’enlace Med 279 -280 : Comment on se doit maintenir / Qui voelt a boine fin venir

- un pronom complément annonce une relative substantive : Lam 1800 Je leur prie qu’il le ravoient / Chou qu’il en verront desvoyet Mon 650 Moult bien les eslira chiaus qui bien fait l’aront

- il annonce un groupe nominal: Med 137 S’il apperent nuls des morteuls

Et 319 : qu’il est amenuisis li numbre des personnes Mon 1600 il vous sievront vo monne

Mon 1790 Comment il sont trouvet de boins clers grans plentés Non 256 il va tout chou devant derriere

- on en emploi cataphorique annonce le sujet réel du verbe : Mon 1353 On m’en a mainte fois pluseur gent rampronnet

Non 450 Les paroles qu’on ot les gens d’entendement

Beg 63-64 Et leur fait on souvent des predicatïons / Boin clerc, et qui leur font boines monitïons

OM 813- 820 (…) on en feroit meçongne /Moult de gent, s’il pooient, pour vous faire viergongne

Dans cette configuration, le sujet grammatical on entraîne un accord au singulier du verbe, alors que le sujet réel est au pluriel.

- en annonce une relative :

Lam 1380-1381 : Doinsent que n’en soie peris / De chou que me sui delités

b. Inversion des sujets et phénomènes d’enclise :

Les pronoms ge et on sont très régulièrement postposés au verbe. Il se produit alors une enclise : le manuscrit donne en un seul mot la forme verbale et le pronom postposé, par exemple maige (Or I 60), voroige (Med 190), feroige (Med 225), sage

(Beg 65), laison ( Med 204), apaison Non 78… Le pronom a été isolé dans la transcription pour des raisons de facilité de lecture.

Cette enclise a donné lieu, en picard, à un phénomène particulier touchant la deuxième personne du pluriel (Gossen, § 82) : le pronom vous, postposé en contexte interrogatif, se réduit à une particule « -es ». On en trouve un exemple en Med 101 : S’auchuns preudons va vers l’eglise, / Savées or en quelle guise / Il en dient et en parollent (…) Gossen cite des extraits d’un article de Michel Dubois, « Sur un cas d’enclise du pronom sujet en ancien picard »1, où l’auteur a relevé des cas similaires : « Conmere, alees esbourer par disiete ? », « Puis ke vos i pierdés, por quoi les prendees ? »2. M. Dubois analyse ces formes comme l’enclise du pronom vous, réduit à une voyelle de timbre assourdi.

c. Négation et emploi de ne

Ne est apparemment utilisé, de préférence à ou, pour coordonner noms, verbes ou propositions dès que le contexte n’est pas pleinement positif :

- dans une relative attributive :

Mon 739 Fos est qui les offisces ne convoite ne prie - en contexte interrogatif :

OM 103-104 Qui vous feroit cognoistre les virtus ne les visces, / Et chou dont li corps font as ames prejudisses ?

- en contexte hypothétique :

Mon 1098 : S’il se vont espargant, grand paour a d’ychiaus / Ne s’il se vont muchant par desous ces ronchiaus

Parfois le texte accumule les négations, jusqu’au point où le sens s’inverse : Mon 1055 : Sans juner, sans orer en nul temps il n’estoit

Mon 1165 : Outrages en nul temps n’eut onques se saison

1

Michel Dubois, « Sur un cas d’enclise du pronom sujet en ancien picard », in Mélanges Mario Roques, t. IV, pp. 99-101, Paris, 1952.

2

Exemples tirés de la « Réparation testamentaire de Jehan Boinebroke », in G. Espinas, Les origines du

d. Comparaison.

Le comparant est régulièrement introduit par de, contrairement à l’usage moderne d’utiliser que :

Lam 1809 : Nuls plus pekieres de mi n’est

Or I 30 : Plus pekieres de mi ne nasqui ains de femme

Med 40-14 : li varlés vault mains dou sire / Et li meskine de le dame

On trouve parfois ke pour introduire le terme de la comparaison, à la place de comme : Prol 15 : De leurs boines doctrines les alaitent ke mere

e. Construction des propositions subordonnées.

- Extractions, prolepses (voir Ménard, § 224) : Comme en latin, une partie d’une proposition subordonnée, relative ou conjonctive, peut passer avant le mot subordonnant.

- extraction depuis une subordonnée complétive :

Lam 466- 467 : On met chiertes en non caloir / L’ame que tout jours doit durer . On pourrait aussi penser qu’il s’agit d’un cas de confusion entre le relatif en fonction de sujet de la subordonnée qui, et le relatif en fonction d’objet, que ; mais ce serait alors un cas isolé, tandis que les extractions ne sont pas rares.

Mon 1035 : Sains Benois voelt le rieule que souvent on le lise - extraction depuis une subordonnée relative :

Mon 1330-1331 : Le psaltier bien savoir doivent et leur serviche, / A faire leur devoir par quoy ne soient niche

Non 187 : Celli par aventures qui la s’aquointera

- Subordonnées hypothétiques détachées : on rencontre un certain nombre de cas où dans les subordonnées exprimant la condition et introduites par se, le temps employé n’est pas celui qu’exigerait une concordance des temps régulière. Le plus souvent, mais pas toujours, la subordonnée porte une nuance de regret, ou de concession ( « même si ») :

Lam 110 Par quoy, s’on faisoit orison, / A Dieu nuls hom ne se retourne : la protase est à l’imparfait, l’apodose au présent.

Med 314 : Chiertes il fist un biel ouvrage, / S’il estoit venus en usage !

Mon 46 : Il le prisent voir boin, se bien on le tenoit ! Dans ces deux cas, on ne peut pas vraiment parler de système hypothétique : la proposition principale au passé est assez indépendante, l’auteur a simplement ajouté une subordonnée hypothétique à nuance de regret (« si seulement… ») plutôt détachée du reste de la phrase.

Cette autonomie des subordonnées en se se manifeste cette fois par une rupture d’accord, en Non 89-90 : Che note vos habis, se bien les remirés : / Jamais d’orghilleus cuer ne seroit desirés.

Il semble donc que le lien entre les subordonnées en se et le reste de la phrase était souvent ressenti comme assez lâche, au point de ne pas les accorder, que ce soit pour les temps ou pour les accords en nombre, avec leur contexte.

- Dans les systèmes hypothétiques complexes, on note des phénomènes de distorsion temporelle ou d’attraction à la rime :

Mon 783-784 : S’on leur voelt retollir, tantost metteroient bare / A toutes les besongnes et y seront contraire.

Lam 334 : Mes se cescuns s’apercevoit / Que c’est tous fiens de ces rikaices / Et aussi de ces grans noblaices / Et de le mort li souvenroit / Trestout pour vanitet tenroit.

- Les temps dans les propositions interrogatives indirectes : Le latin utilisait le subjonctif. On rencontre essentiellement conditionnel et imparfait dans le Registre : OM 411 : Et en men cuer venoient moult de diverses luites / Se je diroie voir ou je queroie fuites,

Mon 1114-1115 : Comment et nuit et jour il ne se voelt tarder / S’il pooit les pouillons tolir ou escarder

- Parataxes : les marques de subordination, que ce soient les mots relatifs ou les conjonctions de subordination, sont très souvent omises. On peut y voir, encore une fois, un latinisme :

Lam 1638 : Grant peur ay ne soye avallés

Prol 247-248 Ke par se douce grasce no voelle consentir / Tous les jours le puissons en nos coers bien sentir

Prol 272 S’avient bien a le fois ensi vivre les laisce Mon 460 : Or se wart bien cescuns avoec li ne voist mie. Mon 610 : S’avient bien a le fois aucun si se rewardent

Mon 829-830 : (…) li jours vient et venra / Li sires qui tout scet se jugement tenra Mon 1269 : je tieng Dieus ne l’ot mie

Curieusement, on relève aussi un cas de redondance de la marque de subordination (Mon 561) : On dist que la n’a kat que soris y revielle.

-Ruptures de construction.

Elles sont assez fréquentes, l’auteur ayant tendance à suivre le fil de ses associations d’idées plus que la syntaxe phrastique dans toute sa rigueur : c’est essentiellement un fait de style. On se contentera ici de signaler quelques faits.

-Passages brusques du singulier au pluriel, accords sur le sens :

Mon 785 : C’est le pais des abbés, che dient ore monne, / Pour honniestement iestre, pour viestir argent donne.

- Construction d’un même verbe selon des valences différentes : Mon 1674 : La doit on ses peckiés et dou peuple plorer